Cour d’appel administrative de Lyon, le 14 mai 2025, n°24LY01786

Par un arrêt rendu le 14 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a précisé les conditions d’appréciation de la menace à l’ordre public justifiant une mesure d’éloignement. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré en France durant sa première année, a fait l’objet, à l’âge de quarante-neuf ans, d’une obligation de quitter le territoire français assortie d’un refus de délai de départ volontaire, d’une interdiction de retour de douze mois et de la fixation du pays de destination. Cette décision préfectorale intervenait alors que le titre de séjour de l’intéressé n’avait pas été renouvelé depuis plus de dix ans et qu’une précédente demande de régularisation avait été rejetée en raison de la menace qu’il représentait pour l’ordre public. L’individu cumulait depuis sa majorité une trentaine de condamnations pénales, totalisant vingt-six années d’emprisonnement, pour des faits variés incluant des vols, des délits routiers et des infractions à la législation sur les stupéfiants.

Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Lyon avait annulé ces décisions par un jugement du 31 mai 2024, retenant une erreur manifeste d’appréciation de sa situation personnelle. L’autorité préfectorale a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la gravité et la récurrence des faits commis par le requérant justifiaient les mesures prises, d’autant que ses liens familiaux en France, notamment avec ses deux enfants majeurs, n’étaient pas solidement établis. Le requérant, quant à lui, n’a pas présenté d’observations en appel.

La question de droit soumise à la cour était de déterminer si une série de condamnations pénales, s’étalant sur plusieurs décennies et se poursuivant jusqu’à une période récente, constituait une menace d’une gravité suffisante pour justifier une mesure d’éloignement, malgré l’ancienneté de la présence de l’étranger sur le territoire national et l’existence de liens familiaux.

La Cour administrative d’appel de Lyon a répondu par l’affirmative. Elle a jugé que « eu égard à la nature des faits en cause, leur réitération sur une très longue période et leur caractère actuel, la présence sur le territoire français de [l’intéressé] représente une menace pour l’ordre public ». La cour a ainsi estimé que l’autorité préfectorale n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. Elle a par conséquent annulé le jugement de première instance et rejeté la demande d’annulation formée par l’étranger, validant l’ensemble des mesures administratives contestées.

Cette décision réaffirme la prééminence de la notion d’ordre public dans le contrôle de la légalité des mesures d’éloignement (I), tout en confirmant la portée des pouvoirs de l’administration dans l’application rigoureuse du droit des étrangers (II).

I. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’autorité préfectorale face à une menace durable à l’ordre public

La cour fonde sa décision sur une analyse détaillée de la situation personnelle de l’étranger, en faisant prévaloir la notion de menace à l’ordre public sur les autres éléments de sa vie privée et familiale. Elle retient une appréciation concrète de cette menace, caractérisée par la continuité du comportement délictueux (A), et constate par ailleurs que les attaches familiales invoquées ne suffisent pas à faire obstacle à l’éloignement (B).

A. Une menace à l’ordre public caractérisée par la réitération et la gravité des infractions

Le juge d’appel a procédé à une évaluation rigoureuse de la dangerosité que représente l’individu pour la société. Il a pris en compte non seulement le nombre élevé de condamnations, mais également la nature et la répétition des faits commis depuis sa majorité. La décision souligne que le comportement délictueux n’était ni isolé ni ancien, mais s’inscrivait dans une continuité préoccupante, comme en témoigne la libération récente de l’intéressé pour des faits similaires. La cour insiste sur « la nature des faits en cause, leur réitération sur une très longue période et leur caractère actuel », concluant que la présence de l’étranger sur le territoire national constituait une menace effective et persistante pour l’ordre public.

En infirmant le jugement du tribunal administratif, la cour restaure l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’autorité préfectorale. Elle juge que, face à un tel dossier pénal, la décision d’éloignement n’était pas entachée d’une erreur manifeste. Cette solution rappelle que la protection de l’ordre public constitue l’une des finalités essentielles de la police des étrangers, et que la récurrence des troubles causés par un individu peut légitimement fonder une mesure administrative de cette nature, même pour une personne ayant passé la quasi-totalité de sa vie en France.

B. Une protection limitée au titre de la vie privée et familiale en l’absence de liens établis

La cour a également examiné l’argument tiré de l’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Si l’étranger faisait valoir la présence de son père, de ses frères et sœur et de ses deux enfants de nationalité française, le juge a relevé qu’il était célibataire et surtout qu’il « ne produit aucun élément de nature à justifier les liens qu’il allègue entretenir avec ses enfants ».

Cette absence de preuve de l’effectivité des liens avec ses enfants majeurs a été déterminante dans la balance des intérêts effectuée par la cour. Les relations avec les autres membres de sa famille, bien que réelles, n’ont pas été jugées suffisantes pour contrebalancer la gravité de la menace à l’ordre public. Cette approche illustre une jurisprudence constante selon laquelle la protection de la vie familiale n’est pas absolue et que son intensité dépend de la solidité et de l’actualité des liens invoqués. L’ingérence dans ce droit a été considérée comme nécessaire et proportionnée à l’objectif de défense de l’ordre et de prévention des infractions pénales.

II. La portée d’une application rigoureuse du droit des étrangers justifiée par l’impératif de sécurité publique

Au-delà de l’appréciation de la menace à l’ordre public, l’arrêt valide la régularité formelle de l’ensemble des décisions préfectorales (A) et confirme la légalité des mesures accessoires qui accompagnent l’obligation de quitter le territoire (B).

A. Le rejet des moyens de légalité externe et interne soulevés à l’encontre des décisions

Saisie de l’entier litige par l’effet dévolutif de l’appel, la cour a examiné les autres moyens que l’étranger avait soulevés en première instance. Elle a d’abord écarté le moyen tiré de l’incompétence de la signataire de l’acte, constatant l’existence d’une délégation de signature régulière. Ensuite, elle a jugé que les décisions étaient suffisamment motivées en fait et en droit, bien que l’une des dispositions légales applicables n’ait pas été expressément visée, dès lors que les motifs pertinents figuraient dans l’arrêté.

Enfin, la cour a rejeté l’argument selon lequel l’autorité préfectorale n’aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de l’intéressé. Elle a relevé que l’arrêté mentionnait bien les éléments essentiels de sa situation, notamment la durée de sa présence en France. Le rejet systématique de ces moyens formels démontre la volonté du juge de ne pas annuler une décision pour des vices de procédure mineurs lorsque le fondement de la mesure, à savoir la menace à l’ordre public, est aussi solidement établi.

B. La justification des mesures accessoires par la persistance du trouble à l’ordre public

La cour a logiquement déduit de sa validation de l’obligation de quitter le territoire la légalité des mesures qui l’accompagnaient. Le refus d’octroyer un délai de départ volontaire a été jugé fondé sur le premier cas prévu par la loi, à savoir le fait que « le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public ». Le juge a également relevé que le risque de soustraction à la mesure d’éloignement était caractérisé par le maintien irrégulier de l’intéressé sur le territoire après l’expiration de son titre de séjour.

De même, l’interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d’un an a été jugée proportionnée. Pour fixer cette durée, l’autorité administrative doit tenir compte de plusieurs critères, dont la durée de présence en France, l’ancienneté des liens avec le pays et la menace pour l’ordre public. Compte tenu de ce dernier élément, jugé prépondérant, la cour a estimé que l’administration n’avait commis ni erreur de droit ni erreur d’appréciation en fixant la durée de l’interdiction à un an, même en l’absence de mesure d’éloignement antérieure.

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Hassan KOHEN
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