Cour d’appel administrative de Lyon, le 15 mai 2025, n°24LY01722

Par un arrêt en date du 15 mai 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté la requête d’un ressortissant algérien dirigée contre un jugement du tribunal administratif de Dijon du 3 juin 2024, lequel avait validé les décisions préfectorales lui faisant obligation de quitter le territoire français, refusant un délai de départ volontaire, fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour de deux ans. En l’espèce, l’intéressé avait été interpellé en situation irrégulière, en possession d’un faux document d’identité. Son séjour en France, qu’il datait de 2016, n’était attesté de manière continue qu’à partir de 2021, marqué par des missions d’intérim discontinues et une absence de domicile fixe. L’administration avait également relevé des antécédents judiciaires pour vol aggravé. Le requérant faisait valoir que sa situation personnelle et familiale, ainsi que son insertion professionnelle, rendaient la mesure d’éloignement disproportionnée au regard de son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le tribunal administratif avait écarté ses moyens, le conduisant à interjeter appel. La question de droit qui se posait à la cour était de déterminer si les attaches développées en France par un étranger en situation irrégulière, bien que récentes et précaires, étaient suffisantes pour faire obstacle à une mesure d’éloignement justifiée par la fraude documentaire, l’irrégularité du séjour et des faits de nature à troubler l’ordre public. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que l’arrêté préfectoral ne portait pas une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant. Elle a en outre jugé que ce dernier ne pouvait utilement se prévaloir des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, sa situation relevant exclusivement de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968.

L’arrêt confirme ainsi avec rigueur la légalité de la mesure d’éloignement (I), consacrant une solution dont la portée, au demeurant limitée, s’inscrit dans un cadre jurisprudentiel bien établi (II).

I. La confirmation rigoureuse de la légalité de l’éloignement

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une double analyse. D’une part, elle procède à un contrôle classique de la proportionnalité de l’atteinte portée à la vie privée et familiale du requérant (A). D’autre part, elle réaffirme le principe de l’application exclusive de l’accord franco-algérien pour les ressortissants de cette nationalité (B).

A. Le contrôle classique de l’atteinte à la vie privée et familiale

La cour, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, se livre à un bilan concret des intérêts en présence. Elle examine avec minutie les éléments de la situation personnelle de l’intéressé, mais constate la faiblesse des liens qu’il a tissés sur le territoire français. Elle relève que celui-ci « ne justifie ni même n’invoque aucune communauté de vie » et « ne fait valoir aucune attache familiale sur le territoire français ». Sa vie professionnelle est jugée tout aussi précaire, constituée de « missions diverses d’intérim accomplies depuis 2021, de façon discontinue et sans qualification particulière ». L’absence de domicile stable, l’intéressé déclarant être hébergé « à droite à gauche », achève de dépeindre une intégration superficielle.

Face à cette situation, la cour met en balance la gravité des manquements de l’étranger. Elle prend en compte non seulement l’irrégularité de son séjour, mais aussi l’usage d’une « fausse carte d’identité italienne » et le fait qu’il soit « défavorablement connu pour des faits de vol aggravé ». Dans ces conditions, la mesure d’éloignement apparaît comme une réponse légitime de l’autorité administrative. La décision illustre la méthode du bilan coûts-avantages chère au juge administratif, qui conclut que « le préfet de la Côte-d’Or n’a pas porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts que la décision d’éloignement en litige poursuit ». Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation est, par voie de conséquence, également écarté.

B. Le rappel de l’application exclusive de l’accord franco-algérien

L’un des apports essentiels de la décision réside dans la fermeté avec laquelle la cour écarte les moyens fondés sur le droit commun des étrangers. Le requérant invoquait le bénéfice de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, relatif à l’admission exceptionnelle au séjour, ainsi que la circulaire du 28 novembre 2012 dite « circulaire Valls ». La réponse du juge est sans équivoque et s’inscrit dans le respect de la hiérarchie des normes et du principe de spécialité.

La cour énonce que l’intéressé, « qui est de nationalité algérienne », voit sa situation relever « dès lors des prévisions de l’accord franco-algérien susvisé ». Par conséquent, il « ne peut ainsi utilement invoquer la méconnaissance de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Cette solution est constante : les stipulations d’une convention internationale régulièrement intégrée dans l’ordre juridique interne prévalent sur la loi nationale postérieure et, a fortiori, sur les textes de portée générale lorsque la convention a un caractère spécial. L’accord franco-algérien constitue un régime complet et dérogatoire en matière de séjour des ressortissants algériens. Le juge qualifie donc le moyen d’inopérant, signifiant qu’il est sans pertinence pour la solution du litige. Le même raisonnement est appliqué à la « circulaire Valls », dont la cour rappelle au passage qu’elle est « dénuée de portée juridique ».

Après avoir ainsi solidement assis la légalité de l’obligation de quitter le territoire, l’arrêt en tire les conséquences logiques quant aux autres mesures contestées, révélant la portée somme toute limitée d’une décision qui s’inscrit dans un courant jurisprudentiel constant.

II. La portée limitée d’une décision d’espèce

Cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais s’analyse plutôt comme une décision d’espèce, dont l’intérêt principal est de fournir une illustration claire de la faible protection accordée aux attaches récentes et précaires (A). Il démontre également l’effet mécanique de la validation de l’obligation de quitter le territoire sur les décisions qui lui sont accessoires (B).

A. Une illustration de la faible protection accordée aux attaches récentes et précaires

La valeur de la décision commentée tient moins à son caractère novateur qu’à sa fonction pédagogique. Elle synthétise parfaitement les critères retenus par le juge administratif pour apprécier l’intensité des liens d’un étranger avec la France. Seuls des liens anciens, stables et multiples peuvent faire échec à une mesure d’éloignement, surtout lorsque le comportement de l’intéressé a été marqué par la fraude ou la commission d’infractions. En l’espèce, la brièveté de la présence prouvée, l’instabilité professionnelle, l’isolement familial et social en France, et l’absence de domicile fixe ont constitué un faisceau d’indices défavorables que le juge n’a pu ignorer.

Cette solution réaffirme une ligne jurisprudentielle constante qui refuse de faire de la simple présence sur le territoire, même prolongée de quelques années et accompagnée d’une activité professionnelle intermittente, un obstacle dirimant à l’éloignement. Elle souligne implicitement que l’intégration doit être positive et respecter les cadres légaux pour être prise en compte de manière substantielle dans la balance des intérêts. La décision a donc une portée limitée, en ce sens qu’elle ne fait que confirmer une jurisprudence bien établie. Elle n’en demeure pas moins un rappel clair des exigences posées par les juridictions en matière de droit au séjour.

B. La validation en cascade des décisions accessoires

L’arrêt illustre également la logique procédurale qui gouverne le contentieux de l’éloignement. La légalité des décisions refusant le délai de départ volontaire, fixant le pays de renvoi ou prononçant une interdiction de retour est appréciée en grande partie par ricochet de la légalité de l’obligation de quitter le territoire français. Le requérant se bornant « à renvoyer aux moyens qu’il a invoqués à l’encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, sans faire valoir aucun argument spécifique », le juge ne pouvait que rejeter ses conclusions.

S’agissant du refus de délai de départ volontaire, la cour note que le requérant ne conteste pas l’existence d’un risque de soustraction, critère légal justifiant ce refus. Pour la décision fixant le pays de renvoi, elle souligne l’évidence du choix de l’Algérie, « pays dont il a la nationalité, où demeure toute sa famille et où il a lui-même vécu l’essentiel de son existence ». Enfin, l’interdiction de retour, dont la durée de deux ans est jugée proportionnée, est justifiée par les mêmes motifs qui fondent l’obligation de quitter le territoire. Cette approche confirme que sans une argumentation distincte et propre à chacune de ces mesures, le contentieux des décisions accessoires est voué à l’échec dès lors que la mesure principale est jugée légale. La solution est donc une application rigoureuse du droit existant, dépourvue d’ambition normative nouvelle.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture