Cour d’appel administrative de Lyon, le 15 mai 2025, n°24LY02007

Par un arrêt en date du 15 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour au titre de l’article L. 435-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En l’espèce, un ressortissant ghanéen avait sollicité la délivrance d’un titre de séjour après avoir été accueilli et avoir exercé une activité ininterrompue de trois ans au sein d’un organisme communautaire.

La préfète de l’Allier a rejeté sa demande par un arrêté du 8 novembre 2022, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination, au motif principal que l’intéressé ne faisait plus partie de ladite communauté à la date de sa décision. Saisi par le requérant, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a confirmé le bien-fondé de ce refus par un jugement du 14 juin 2024. L’étranger a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’administration avait commis une erreur de droit en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne prévoyait pas.

Il convenait donc de déterminer si l’obtention d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 435-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est subordonnée à la poursuite de l’activité au sein de l’organisme d’accueil à la date de la décision préfectorale.

La cour répond par la négative, annulant le jugement et l’arrêté préfectoral. Elle juge que la condition de trois années d’activité ininterrompue se suffit à elle-même, et précise qu’il n’est nul besoin pour le demandeur « qu’il exerce toujours cette activité à la date de sa demande de titre de séjour ou à celle de la décision contestée ». Cette décision vient ainsi clarifier les exigences temporelles d’une voie d’admission au séjour spécifique (I), consacrant une interprétation qui sécurise le parcours d’intégration des personnes concernées (II).

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I. La clarification des conditions temporelles d’application de l’article L. 435-2 du CESEDA

La Cour administrative d’appel, par une interprétation littérale du texte, rejette l’ajout d’une condition de persistance de l’activité (A) et fait de l’accomplissement de la période triennale le seul critère temporel pertinent (B).

A. Le rejet d’une condition de persistance de l’activité

L’administration, suivie en première instance par le tribunal administratif, avait subordonné la régularisation de l’étranger à la continuité de son activité au sein de l’organisme d’accueil au moment où elle statuait. Ce faisant, elle ajoutait une condition non stipulée par l’article L. 435-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le juge d’appel censure cette lecture extensive de la loi, qui aurait pour effet de précariser la situation de l’étranger ayant pourtant satisfait à l’exigence légale principale.

La Cour rappelle la teneur de la disposition, puis énonce sa propre interprétation dans un considérant de principe limpide. Elle juge en effet qu’un étranger peut se voir délivrer un titre sur ce fondement dès lors qu’il justifie de la période d’activité requise, « sans qu’il soit besoin qu’il exerce toujours cette activité à la date de sa demande de titre de séjour ou à celle de la décision contestée ». Cette formule dénuée d’ambiguïté met fin à l’incertitude juridique que l’interprétation préfectorale faisait peser sur les demandeurs. Le juge administratif réaffirme ainsi son rôle de gardien de la légalité en s’assurant que l’administration n’outrepasse pas les prérogatives que lui confère le législateur.

B. La consécration de la période triennale comme unique critère temporel

En censurant l’erreur de droit de la préfète, la cour redonne toute sa force à la seule condition temporelle explicitement formulée par le législateur : l’accomplissement de « trois années d’activité ininterrompue ». La décision met ainsi en lumière la volonté du législateur de créer une voie de régularisation fondée sur un parcours passé, et non sur une situation présente. L’intégration est appréciée au travers d’un engagement durable et avéré dans une structure spécifique, cet engagement étant considéré comme une preuve suffisante des perspectives d’intégration.

Cette solution offre une prévisibilité bienvenue pour les étrangers engagés dans ce parcours. Ils ont désormais l’assurance que la fin de leur activité au sein de l’organisme, une fois la période de trois ans achevée, ne peut à elle seule justifier un refus de titre de séjour. La condition s’analyse comme un jalon validant un parcours, dont les effets ne sauraient être remis en cause par un changement de situation postérieur, du moins tant que l’administration examine la demande. La logique de l’intégration par l’activité passée est ainsi pleinement reconnue.

II. La portée de la solution : la sécurisation d’une voie d’intégration spécifique

La valeur de cet arrêt réside dans la protection qu’il accorde aux droits des administrés par la sanction de l’erreur de droit (A), tandis que sa portée se mesure à l’aune de la consolidation d’un modèle d’intégration par le parcours accompli (B).

A. La censure de l’erreur de droit comme garantie des droits des administrés

La décision commentée illustre parfaitement le contrôle exercé par le juge administratif sur les décisions préfectorales en matière de droit des étrangers. En qualifiant d’erreur de droit le raisonnement de l’administration, la cour emploie un moyen de légalité externe qui souligne la gravité de la faute commise. L’administration n’a pas seulement mal apprécié une situation de fait ; elle a interprété la loi de manière erronée, méconnaissant ainsi sa propre compétence liée lorsque les conditions légales sont remplies.

Cette censure est une garantie fondamentale pour les administrés. Elle rappelle que l’autorité préfectorale, si elle dispose d’un pouvoir d’appréciation, ne peut en aucun cas ajouter des conditions à la loi pour refuser un droit. L’annulation de la décision de refus de séjour, ainsi que par voie de conséquence de l’obligation de quitter le territoire, démontre que le respect scrupuleux du principe de légalité est une exigence cardinale, particulièrement dans un domaine où les décisions administratives ont des conséquences majeures sur la vie des personnes. La solution protège l’étranger contre une application trop restrictive, voire arbitraire, des critères d’admission au séjour.

B. L’affirmation d’une logique d’intégration par l’activité passée

Au-delà de la correction d’une erreur juridique, cet arrêt éclaire la philosophie de certaines dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il confirme que le droit au séjour peut être envisagé non seulement comme la reconnaissance d’une situation actuelle, mais aussi comme la validation d’un parcours d’intégration antérieur. L’article L. 435-2 s’inscrit dans cette logique, en faisant de l’engagement de trois ans dans une communauté un fait générateur de droit.

La portée de la décision est donc significative pour les étrangers se trouvant dans une situation similaire. Elle consolide une voie d’accès à la régularisation qui valorise un investissement passé et démontre une volonté d’insertion sociale et professionnelle. En jugeant que cet investissement ne perd pas sa valeur du seul fait que l’activité a cessé, la cour aligne le droit sur une réalité sociale : un tel engagement est souvent un tremplin vers une autre forme d’autonomie et d’intégration. La solution adoptée favorise ainsi une lecture cohérente et pragmatique du droit à l’intégration.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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