Cour d’appel administrative de Lyon, le 15 mai 2025, n°24LY03602

Par un arrêt en date du 15 mai 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un ensemble de décisions préfectorales emportant éloignement d’une ressortissante étrangère. En l’espèce, une personne de nationalité ivoirienne, présente sur le territoire français depuis environ deux ans, s’est vu notifier une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, assortie d’une interdiction de retour d’une durée d’un an. Cette mesure a été prise alors que l’intéressée est mère d’un enfant né en France quelques mois auparavant et que son conjoint est titulaire d’une carte de résident. L’administration a notamment fondé sa décision sur des éléments factuels erronés, à savoir l’absence d’enfant et le fait que son compagnon serait inconnu des services administratifs. Saisi d’un recours par la requérante, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande par un jugement du 23 août 2024. La ressortissante étrangère a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la validité des décisions préfectorales au motif, notamment, des erreurs de fait commises par l’administration et d’une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Le juge administratif était ainsi conduit à s’interroger sur la question de savoir si des erreurs de fait, même substantielles, affectant la motivation d’une mesure d’éloignement, suffisent à entraîner son annulation, ou si elles peuvent être privées d’effet par le juge. Dans sa décision, la cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que les inexactitudes matérielles relevées ne sont pas de nature à vicier la décision du préfet, dès lors qu’il résulte de l’instruction que celui-ci « aurait pris la même décision s’il ne s’était pas fondé sur ces faits matériellement inexacts ». Par ailleurs, la cour estime que la mesure d’éloignement ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressée, eu égard à la brièveté de son séjour en France. Cette solution conduit à examiner la manière dont le juge neutralise les vices de la décision administrative avant de se pencher sur l’appréciation restrictive qu’il retient du droit à la vie familiale.

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I. La neutralisation par le juge d’une décision administrative entachée d’erreurs de fait

La cour administrative d’appel, tout en constatant les erreurs factuelles commises par le préfet (A), choisit de les priver de toute portée en appliquant un mécanisme de substitution de motifs qui préserve l’acte contesté (B).

A. La reconnaissance d’inexactitudes matérielles substantielles

Le raisonnement du juge d’appel prend acte sans ambiguïté des manquements de l’administration dans l’établissement des faits fondant sa décision. L’arrêt relève en effet que « le préfet (…) a indiqué dans la décision portant obligation de quitter le territoire français que [l’intéressée] avait déclaré ne pas avoir d’enfant et que son concubin (…) était inconnu de l’administration, alors, d’une part, que son fils est né (…) et, d’autre part, que son concubin bénéficie d’une carte de résident ». Ces éléments ne constituent pas de simples détails, mais touchent au cœur même de la situation personnelle et familiale de l’administrée, dont l’examen constitue pourtant une obligation pour l’autorité préfectorale avant toute mesure d’éloignement.

La présence d’un enfant sur le territoire et le statut de séjour régulier du conjoint sont des facteurs déterminants dans l’appréciation du droit au respect de la vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En retenant des informations erronées sur des points aussi essentiels, le préfet a manifestement failli à son devoir d’instruire le dossier de manière complète et exacte. On aurait pu s’attendre à ce qu’une telle défaillance, qui affecte directement les garanties de l’administrée, conduise logiquement à la censure de la décision pour erreur de fait, voire pour défaut d’examen particulier de la situation.

B. L’application d’un mécanisme correcteur pour maintenir la décision

Pourtant, la cour écarte cette conclusion en mobilisant une technique prétorienne bien établie en contentieux administratif. Elle considère en effet qu’« il résulte de l’instruction que le préfet aurait pris la même décision s’il ne s’était pas fondé sur ces faits matériellement inexacts ». Ce faisant, le juge opère une forme de neutralisation du vice, considérant que les erreurs de fait n’ont pas eu d’incidence réelle sur le sens de la décision prise. Cette approche pragmatique permet de ne pas annuler un acte administratif pour un vice de forme ou de procédure lorsque, sur le fond, la même décision aurait pu être légalement prise sur la base de motifs exacts.

Cette substitution implicite de motifs a également pour conséquence directe de priver d’effectivité le moyen tiré de la violation du droit d’être entendu. La cour applique une jurisprudence constante selon laquelle une telle violation n’entraîne l’annulation que si l’intéressé a été privé de la possibilité de présenter des observations susceptibles d’influencer le sens de la décision. En l’espèce, puisque le juge estime que l’issue aurait été identique même si les faits avaient été correctement établis, il en déduit logiquement que la requérante n’est pas fondée à se prévaloir de cette garantie procédurale. Si cette solution favorise l’économie processuelle, elle interroge néanmoins sur le niveau d’exigence attendu de l’administration dans l’exercice de ses pouvoirs de police.

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II. La stricte appréciation du droit au respect de la vie privée et familiale

Au-delà de la question des erreurs de fait, l’arrêt illustre une conception rigoureuse de la protection de la vie familiale face aux impératifs de contrôle de l’immigration (A), aboutissant à valider la proportionnalité de la mesure d’éloignement (B).

A. Le poids limité accordé aux liens familiaux récemment constitués en France

Pour écarter l’argumentation fondée sur la violation de l’article 8 de la Convention européenne, la cour se fonde principalement sur la durée de présence de l’intéressée sur le territoire national. Elle souligne que « [l’intéressée] séjournait en France depuis deux ans seulement à la date à laquelle le préfet (…) a décidé son éloignement et elle n’établit pas être dans l’impossibilité de reconstituer sa cellule familiale dans son pays d’origine où elle a vécu l’essentiel de son existence ». Cette motivation révèle que, dans la balance des intérêts effectuée par le juge, le caractère récent de l’installation en France constitue un facteur prépondérant, capable de l’emporter sur l’existence de liens familiaux pourtant forts, tels que la naissance d’un enfant et la présence d’un conjoint en situation régulière.

L’analyse de la cour met également en exergue le critère de la possibilité de reconstituer la vie familiale dans le pays d’origine. Cette approche place de fait la charge de la preuve sur la requérante, qui doit démontrer une impossibilité ou une difficulté excessive à poursuivre sa vie de famille hors de France. L’intérêt supérieur de l’enfant, bien que mentionné, ne semble pas peser de manière décisive face à la brièveté du séjour de sa mère, le juge considérant que cet intérêt n’est pas méconnu par la décision d’éloignement.

B. Un contrôle de proportionnalité favorable aux objectifs de la puissance publique

En définitive, l’arrêt procède à une mise en balance classique entre le droit de l’individu au respect de sa vie privée et familiale et les objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure, à savoir la maîtrise des flux migratoires. La conclusion de ce contrôle est sans équivoque, la cour jugeant que « le préfet n’a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale (…) une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris cette décision ». Cette formule consacre la prééminence des prérogatives de l’État en matière de police des étrangers.

La portée de cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel constant qui accorde une marge d’appréciation importante à l’administration pour évaluer l’intensité des liens de l’étranger avec la France. Elle confirme que la seule présence de membres de la famille, même proches et en situation régulière, ne suffit pas à constituer un obstacle dirimant à une mesure d’éloignement lorsque la durée du séjour est jugée insuffisante pour caractériser une intégration durable. La solution retenue témoigne ainsi d’une application rigoureuse des critères d’appréciation, où l’ancienneté de la présence sur le territoire demeure la clé de voûte de la protection accordée par le juge au titre de la vie familiale.

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