Cour d’appel administrative de Lyon, le 16 avril 2025, n°23LY01941

Par un arrêt en date du 16 avril 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre une décision administrative implicite de rejet. En l’espèce, un détenu a fait l’objet d’une sanction de cellule disciplinaire prononcée par la commission de discipline d’un centre pénitentiaire le 30 septembre 2019. Conformément à la procédure applicable, il a exercé un recours administratif préalable obligatoire auprès du directeur interrégional des services pénitentiaires le 3 octobre 2019. Croyant ce recours implicitement rejeté, le détenu a saisi le tribunal administratif de Grenoble, qui a annulé cette prétendue décision implicite par un jugement du 7 avril 2023. Le garde des sceaux, ministre de la justice, a alors interjeté appel de ce jugement. Devant la cour, il est apparu que le recours administratif du détenu avait en réalité fait l’objet d’une décision expresse de rejet le 30 octobre 2019, notifiée à l’intéressé le 6 novembre 2019, soit plusieurs mois avant l’introduction de sa requête devant le tribunal administratif le 10 mai 2020. Se posait dès lors la question de savoir si une requête tendant à l’annulation d’une décision implicite de rejet demeure recevable lorsqu’elle est introduite après qu’une décision expresse s’est déjà substituée à la décision implicite qui aurait pu naître. La cour administrative d’appel de Lyon répond par la négative, annulant le jugement de première instance et jugeant la demande du détenu irrecevable comme étant dépourvue d’objet.

La solution, qui rappelle une règle fondamentale de la procédure contentieuse administrative, consacre le caractère dirimant de l’erreur d’aiguillage du recours. Elle repose sur la constatation de l’inexistence de l’acte attaqué (I), ce qui conduit à une réaffirmation rigoureuse des conditions de recevabilité d’une requête (II).

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I. L’inexistence de l’acte attaqué, fondement de l’irrecevabilité

La cour fonde sa décision sur l’absence de matière à litige, en relevant d’une part que la décision implicite contestée n’a jamais pu se former (A), et en déduisant d’autre part que la requête était par conséquent dépourvue d’objet (B).

A. La formation empêchée de la décision implicite de rejet

Le mécanisme du recours administratif préalable obligatoire en matière de sanctions disciplinaires pénitentiaires est encadré par des délais stricts. L’article R. 57-7-32 du code de procédure pénale dispose que l’autorité administrative compétente « dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception du recours pour répondre par décision motivée. L’absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet ». Ce texte instaure une fiction juridique destinée à garantir au requérant la naissance d’une décision susceptible de recours contentieux. Cependant, cette fiction ne joue que subsidiairement, en cas de silence gardé par l’administration pendant toute la durée du délai imparti.

En l’espèce, le recours administratif ayant été présenté le 3 octobre 2019, l’administration disposait d’un mois pour se prononcer. Or, une décision expresse de rejet a été prise le 30 octobre 2019. Cette intervention expresse, survenue avant l’expiration du délai d’un mois, a eu pour effet d’interrompre le processus de naissance de la décision implicite. Celle-ci n’a donc jamais acquis d’existence légale. En saisissant le tribunal pour contester une décision implicite, le requérant a dirigé son action contre un acte qui n’était pas né et ne pouvait plus naître, la place ayant déjà été prise par un acte explicite.

B. L’absence d’objet de la demande contentieuse

La conséquence logique de l’inexistence de l’acte attaqué est l’absence d’objet de la requête. Le juge administratif ne peut statuer que sur un litige né et actuel, ce qui suppose l’existence d’une décision faisant grief. En attaquant une décision purement putative, le requérant a demandé au juge d’annuler un acte inexistant. La cour le formule sans ambiguïté en jugeant que « la demande d’annulation d’une prétendue décision implicite, dépourvue d’objet, était irrecevable ».

Cette irrecevabilité, que le juge peut et même doit soulever d’office, est absolue. Elle ne peut être couverte, car l’objet même du procès fait défaut. L’erreur du requérant, qui a persisté à croire en l’existence d’une décision implicite malgré la notification d’une décision expresse, a ainsi vicié sa saisine à la racine. La cour administrative d’appel ne fait ici qu’appliquer une solution classique, mais dont la rigueur démontre l’importance pour le justiciable d’identifier avec certitude l’acte administratif qu’il entend contester.

Cette application stricte des règles de procédure, si elle est juridiquement orthodoxe, n’est pas sans portée quant à la conduite du procès administratif.

II. La réaffirmation de la rigueur procédurale et sa portée

L’arrêt, par sa solution, constitue un rappel pédagogique de l’importance des conditions de recevabilité (A) et illustre, en creux, les conséquences d’une erreur procédurale pour le justiciable (B).

A. La valeur pédagogique d’une censure de l’erreur d’appréciation des premiers juges

En annulant le jugement du tribunal administratif de Grenoble, la cour d’appel censure une erreur manifeste d’appréciation. Les premiers juges avaient en effet accueilli la demande, annulant une décision implicite sans relever son inexistence. La cour souligne d’ailleurs qu’elle avait informé les parties que son arrêt « était susceptible d’être fondé sur l’irrecevabilité de la demande de première instance ». Cette mention atteste du caractère fondamental de la règle méconnue et de la nature d’ordre public du moyen soulevé.

La décision a donc une valeur qui dépasse le simple cas d’espèce. Elle rappelle à l’ensemble des acteurs du procès, et notamment aux juridictions du fond, la nécessité de vérifier, en premier lieu, l’existence matérielle et juridique de l’acte déféré. Cette exigence constitue le préalable indispensable à tout examen au fond. L’arrêt réaffirme ainsi que le formalisme contentieux n’est pas une contrainte vaine, mais la garantie d’une bonne administration de la justice, qui ne saurait se prononcer sur des litiges sans objet.

B. La portée limitée d’une décision d’espèce aux conséquences concrètes

Cet arrêt doit être qualifié de décision d’espèce. Il n’innove pas en droit et se contente d’appliquer une jurisprudence constante en matière de recevabilité. Sa portée doctrinale est donc limitée. Il ne modifie pas l’état du droit positif mais l’illustre avec clarté. Sa principale portée est pratique : elle met en lumière les risques encourus par le requérant en cas d’erreur dans l’identification de la décision à contester.

Pour le détenu, la conséquence est sévère. En dirigeant sa requête contre une décision inexistante, non seulement sa demande est rejetée comme irrecevable, mais il se trouve forclos pour contester la seule décision qui lui faisait grief : la décision expresse de rejet du 30 octobre 2019. Le délai de recours contentieux contre cette dernière, qui a couru à compter de sa notification le 6 novembre 2019, était en effet expiré depuis longtemps au moment où la cour statue. L’erreur procédurale initiale a donc eu pour effet de priver définitivement le requérant de la possibilité de faire examiner par le juge le bien-fondé de la sanction qui lui avait été infligée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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