Cour d’appel administrative de Lyon, le 16 avril 2025, n°24LY00041

Par un arrêt en date du 16 avril 2025, la cour administrative d’appel a partiellement réformé un jugement du tribunal administratif de Lyon concernant le droit au séjour de deux ressortissants étrangers. Saisie de la situation de deux époux menacés d’éloignement, la juridiction a été amenée à se prononcer sur la légalité de plusieurs décisions préfectorales, à savoir un refus de titre de séjour, une obligation de quitter le territoire français et une interdiction de retour. Les faits de l’espèce concernent deux ressortissants kosovars, entrés en France en 2017 après un premier séjour de 2013 à 2015, et qui s’y sont maintenus en situation irrégulière après le rejet de leur demande d’asile et une première mesure d’éloignement non exécutée en 2018. Invoquant leur intégration et des promesses d’embauche, ils ont sollicité leur régularisation.

En première instance, le tribunal administratif de Lyon avait rejeté l’ensemble de leurs demandes visant à annuler les arrêtés préfectoraux du 20 octobre 2022. Devant la cour administrative d’appel, les requérants soutenaient que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ils alléguaient également une erreur manifeste d’appréciation de leur situation au regard des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et contestaient par voie de conséquence la légalité de l’obligation de quitter le territoire. Enfin, ils soutenaient que l’interdiction de retour prononcée à leur encontre reposait sur un fondement juridique erroné. Il revenait ainsi à la cour de déterminer si le refus de régularisation opposé à des personnes présentes depuis plusieurs années sur le territoire mais sans titre de séjour était entaché d’une erreur d’appréciation, et si l’administration avait correctement appliqué les dispositions légales relatives à l’interdiction de retour sur le territoire français.

La cour administrative d’appel a estimé que le refus de séjour ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés. En revanche, elle a annulé l’interdiction de retour, jugeant que l’administration avait fondé sa décision sur une base légale incorrecte. La décision de la cour illustre ainsi une dualité dans le contrôle opéré par le juge administratif : une appréciation souveraine des éléments de fait pour le droit au séjour (I) se conjugue à une censure rigoureuse de l’erreur de droit commise par l’administration dans le prononcé d’une mesure de police (II).

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I. La confirmation du refus de séjour fondée sur une appréciation restrictive de l’intégration

La cour administrative d’appel confirme la validité du refus de séjour en s’appuyant d’une part sur une lecture stricte des conditions d’atteinte à la vie privée et familiale (A), et d’autre part sur une évaluation concrète de l’insertion professionnelle des requérants (B).

A. La prévalence de la situation administrative sur l’ancienneté du séjour

La juridiction administrative, pour écarter la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, procède à une balance des intérêts en présence. Elle constate que les requérants, bien que présents en France depuis plusieurs années, n’ont jamais été admis au séjour en dehors de l’examen de leur demande d’asile. La cour relève qu’ils « ont fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français assortie d’un délai de départ volontaire le 29 juin 2018 qu’ils n’ont pas exécutée ». Cet élément factuel démontre que la précarité de leur situation administrative est une constante, ce qui affaiblit considérablement la portée de leur droit au respect de la vie privée et familiale sur le territoire français.

De plus, le juge prend soin de souligner que les attaches des intéressés dans leur pays d’origine demeurent substantielles. Il note qu’il n’existe « aucun élément faisant obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue au Kosovo, pays dans lequel ils ont vécu jusqu’à l’âge de, respectivement, cinquante et quarante-six ans, et où ils conservent l’essentiel de leurs attaches privées et familiales ». Par ce raisonnement, la cour signifie que l’intégration en France n’est pas suffisamment dense pour l’emporter sur la légitimité des objectifs de la politique migratoire, notamment le contrôle des flux migratoires. Le caractère irrégulier du séjour et la persistance de liens forts avec le pays d’origine sont ainsi des critères déterminants qui justifient le refus de titre de séjour.

B. L’insuffisance de promesses d’embauche non étayées

S’agissant de la demande de régularisation à titre exceptionnel sur le fondement de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la cour adopte une approche pragmatique. Les requérants produisaient des promesses d’embauche pour des postes de façadier et d’employée polyvalente. Toutefois, la juridiction ne s’est pas contentée de ces documents formels pour attester d’une réelle perspective d’insertion professionnelle. Elle a examiné la situation de manière plus approfondie en relevant « l’absence de toute qualification ou expérience professionnelle pour les emplois visés ».

Cette appréciation révèle la nature du contrôle exercé par le juge sur les décisions de régularisation. Il ne s’agit pas d’un simple contrôle de l’existence de pièces justificatives, mais d’une véritable analyse de la crédibilité du projet d’intégration professionnelle. En validant le refus de la préfète, la cour estime que l’admission exceptionnelle au séjour ne saurait se fonder sur de simples opportunités d’emploi qui ne sont pas corroborées par un parcours ou des compétences spécifiques. Le pouvoir d’appréciation de l’administration est ainsi conforté, dès lors qu’il repose sur des considérations objectives et pertinentes quant à la viabilité de l’insertion professionnelle de l’étranger.

Si la cour valide l’analyse de l’administration sur le fond du droit au séjour, elle se montre en revanche intransigeante quant au respect de la légalité formelle de la mesure d’éloignement accessoire.

II. L’annulation de l’interdiction de retour pour erreur de droit

La censure de l’interdiction de retour par la cour repose sur l’identification d’une erreur de fondement légal (A), ce qui réaffirme l’exigence d’une application stricte des règles de compétence par l’administration (B).

A. La qualification erronée de la situation juridique des étrangers

La partie la plus notable de l’arrêt réside dans l’annulation de l’interdiction de retour d’un an prononcée par la préfète. Cette dernière avait fondé sa décision sur l’article L. 612-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui permet à l’administration de prononcer une telle interdiction de manière discrétionnaire. Or, la cour relève que la situation des requérants ne relevait pas de ce cas de figure. En effet, ils s’étaient maintenus sur le territoire après une première obligation de quitter le territoire français notifiée en 2018, au-delà du délai de départ volontaire qui leur avait été imparti.

La cour rappelle avec précision que dans une telle hypothèse, la situation des étrangers tombe sous le coup de l’article L. 612-7 du même code. Ce dernier dispose que l’autorité administrative « édicte une interdiction de retour » lorsque l’étranger s’est maintenu irrégulièrement au-delà d’un délai de départ volontaire. La cour en déduit que les requérants « entraient dans le champ de l’article L. 612-7 précité » et qu’ils ne pouvaient, par conséquent, « faire l’objet d’une interdiction de retour sur le territoire français sur le fondement de l’article L. 612-8 précité ». L’erreur de droit est ici manifeste : l’administration a utilisé une base légale prévoyant un pouvoir discrétionnaire là où la loi lui imposait une compétence liée.

B. La portée du contrôle de la légalité externe de la décision

En annulant l’interdiction de retour pour ce motif, la cour administrative d’appel effectue un contrôle rigoureux de la légalité externe de l’acte administratif. Cette censure illustre un principe fondamental du droit administratif selon lequel l’administration est tenue de fonder ses décisions sur la base légale exacte que le législateur a prévue. Le choix d’un fondement juridique n’est pas neutre, car il détermine l’étendue du pouvoir de l’administration et les garanties offertes à l’administré. En l’espèce, le recours à l’article L. 612-8 au lieu de l’article L. 612-7 a vicié la procédure, indépendamment du fait que l’application du bon article aurait pu conduire au même résultat, à savoir le prononcé d’une interdiction de retour.

La portée de cette solution, bien que technique, n’est pas négligeable. Elle rappelle à l’administration son obligation de rigueur dans l’application des textes, en particulier en matière de police des étrangers où les mesures prises sont souvent attentatoires aux libertés individuelles. Même si la situation des requérants au regard du droit au séjour n’a pas été jugée favorablement, cet arrêt garantit que les mesures d’éloignement et leurs accessoires ne peuvent être pris qu’en respectant scrupuleusement les cadres juridiques définis par la loi. Il s’agit d’une décision d’espèce par ses faits, mais qui réaffirme une exigence de principe quant au respect du principe de légalité.

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Hassan KOHEN
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