Cour d’appel administrative de Lyon, le 17 avril 2025, n°24LY02146

Par un arrêt en date du 17 avril 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger, ainsi que sur les mesures accessoires l’accompagnant. En l’espèce, un individu de nationalité algérienne, entré irrégulièrement sur le territoire français en 2021, a fait l’objet, à la suite d’une interpellation, d’une série de décisions préfectorales en date du 26 juin 2024. Celles-ci comprenaient une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, la désignation de son pays de renvoi, une interdiction de retour sur le territoire d’une durée d’un an et une assignation à résidence.

Saisi par l’intéressé, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a, par un jugement du 2 juillet 2024, annulé la seule décision portant interdiction de retour, mais a rejeté le surplus de ses demandes. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, en tant qu’il validait l’obligation de quitter le territoire, le refus de délai de départ volontaire et l’assignation à résidence. Devant la cour, il soutenait que la mesure d’éloignement était dépourvue de base légale, portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et entraînait des conséquences d’une exceptionnelle gravité sur sa situation. Il contestait également le refus de délai de départ volontaire, arguant de l’illégalité de la mesure principale et de la nécessité d’un délai pour se marier. Enfin, il affirmait que l’assignation à résidence l’empêchait d’exercer son activité professionnelle.

Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si la mesure d’éloignement d’un étranger en situation irrégulière, mais justifiant de certains liens professionnels et personnels en France, constituait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale. Secondairement, il leur appartenait de vérifier si le risque de fuite était suffisamment caractérisé pour justifier un refus de délai de départ volontaire et si les modalités de l’assignation à résidence n’étaient pas excessives.

La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que la mesure d’éloignement repose sur une base légale valide, à savoir le maintien sur le territoire sans titre de séjour après une entrée irrégulière. Elle considère ensuite que, malgré l’existence d’une activité professionnelle et d’une relation de couple, l’ingérence dans la vie privée et familiale du requérant n’est pas excessive au regard de la brièveté de son séjour en France et de ses attaches conservées dans son pays d’origine. La cour valide par conséquent les décisions accessoires, estimant que le risque de fuite justifiait le refus d’un délai de départ volontaire et que les contraintes de l’assignation à résidence étaient proportionnées.

Il convient dès lors d’examiner la validation du principe de l’éloignement en dépit d’attaches personnelles et professionnelles naissantes (I), avant d’analyser la justification des modalités restrictives qui l’accompagnent (II).

I. La validation du principe de l’éloignement en dépit d’attaches personnelles et professionnelles naissantes

La cour administrative d’appel confirme la légalité de l’obligation de quitter le territoire français en s’appuyant d’une part sur une application rigoureuse de son fondement légal (A), et d’autre part sur une appréciation contrôlée du droit au respect de la vie privée et familiale (B).

A. L’application rigoureuse du fondement légal de l’obligation de quitter le territoire

La cour écarte d’emblée le moyen tiré de l’absence de base légale de la mesure d’éloignement. Le requérant soutenait que la décision n’était pas fondée sur un refus de séjour, ce qui la priverait de fondement juridique. Toutefois, la cour rappelle que l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit plusieurs cas d’édiction d’une telle mesure. Elle constate que « si aucun refus de délivrance d’un titre de séjour n’a été opposé » au requérant, ce dernier « ne justifie pas d’une entrée régulière sur le territoire français et n’est pas titulaire d’un titre de séjour en cours de validité ».

Ce faisant, la cour ancre sa décision dans le premier cas prévu par le texte, celui de l’étranger qui, entré irrégulièrement, s’est maintenu sur le territoire sans détenir de titre de séjour. La solution est une application classique et littérale de la loi, qui n’exige nullement qu’une demande de titre de séjour ait été préalablement déposée et refusée pour qu’une obligation de quitter le territoire puisse être prononcée. La seule constatation de la situation d’irrégularité du séjour, combinée à une entrée également irrégulière, suffit à fonder légalement la compétence du préfet pour édicter une mesure d’éloignement. La décision commentée réaffirme ainsi l’autonomie de ce cas d’ouverture par rapport aux autres hypothèses prévues par le même article.

Une fois la base légale de la décision solidement établie, il restait à la cour à vérifier sa conformité avec les exigences conventionnelles, notamment au regard de l’intégration de l’intéressé en France.

B. L’appréciation contrôlée du droit au respect de la vie privée et familiale

Le cœur de l’argumentaire du requérant reposait sur l’atteinte que la mesure d’éloignement portait à sa vie privée et familiale. La cour se livre à une balance des intérêts en présence, une méthode d’appréciation in concreto imposée par la jurisprudence relative à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle prend en considération les éléments avancés par l’intéressé : une activité entrepreneuriale générant des revenus significatifs, la présence d’un frère sur le territoire et une relation stable avec une ressortissante française qu’il projetait d’épouser.

Néanmoins, la cour minore la portée de ces éléments. Elle juge que l’activité professionnelle, bien que réelle, « ne suffit toutefois pas à établir une particulière insertion professionnelle ». Concernant les attaches personnelles, la relation de couple est qualifiée de débutée « à une date indéterminée », ce qui en fragilise l’ancienneté. La cour oppose à ces éléments d’intégration la réalité de la situation de l’étranger, qui n’a quitté son pays d’origine qu’à l’âge de vingt-neuf ans et où il n’est pas « dépourvu d’attaches ». En conclusion de cette pesée, elle estime que le préfet « ne porte pas d’atteinte excessive au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale ». Cette approche, classique dans le contentieux des étrangers, illustre la marge d’appréciation laissée à l’administration, et contrôlée par le juge, pour évaluer l’intensité des liens tissés en France au regard de la durée et des conditions du séjour.

La confirmation du bien-fondé de la mesure d’éloignement entraînait logiquement une analyse des décisions qui en organisaient les modalités d’exécution.

II. La justification des modalités restrictives accompagnant l’éloignement

La cour valide les mesures coercitives assortissant l’obligation de quitter le territoire, en retenant d’une part la caractérisation d’un risque de fuite pour justifier le refus de délai de départ volontaire (A), et d’autre part en jugeant proportionnée l’assignation à résidence (B).

A. La caractérisation du risque de fuite justifiant le refus d’un délai de départ volontaire

Le refus d’octroyer un délai de départ volontaire est une dérogation qui doit être justifiée, notamment par l’existence d’un risque que l’étranger se soustraie à son obligation de quitter le territoire. La cour examine les circonstances de l’espèce au regard des critères légaux définis aux articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle relève plusieurs indices concordants pour établir ce risque.

La cour note que l’intéressé « n’est pas entré régulièrement sur le territoire français et n’a jamais sollicité la délivrance d’un titre de séjour ». Elle ajoute qu’il a « déclaré lors de son audition vouloir rester en France auprès de sa compagne », ce qui est interprété comme une intention de ne pas se conformer à l’obligation de départ. Enfin, si elle corrige l’erreur du préfet sur la validité du passeport, elle estime qu’il « ne présente pas de garanties de représentation suffisantes car, hébergé depuis peu par sa compagne, il ne justifie pas d’une résidence effective et permanente en France ». L’accumulation de ces éléments suffit pour la cour à établir le risque de fuite et à conclure que le préfet n’a pas commis d’erreur d’appréciation. L’argument lié au projet de mariage est également balayé, la cour considérant que la décision n’y fait pas obstacle par principe.

Cette analyse factuelle dense démontre la recherche par le juge d’un faisceau d’indices suffisant pour objectiver le risque de soustraction, justifiant ainsi une mesure privant l’étranger d’une faculté qui constitue pourtant le principe.

B. La proportionnalité de la mesure d’assignation à résidence

Enfin, le requérant contestait son assignation à résidence en faisant valoir qu’elle l’empêchait d’exercer son activité professionnelle. L’arrêté préfectoral lui imposait de demeurer dans l’arrondissement de Chambéry, de se présenter trois fois par semaine à la gendarmerie et de rester à son domicile durant une plage horaire quotidienne. La cour rejette l’argumentaire du requérant d’une manière lapidaire mais juridiquement imparable.

Elle constate en effet que l’intéressé « ne détient pas d’autorisation de travail ». Dès lors, l’argument tiré de l’entrave à l’exercice d’une activité professionnelle devient inopérant. Le préjudice allégué, à savoir la perte de revenus issus d’une activité exercée en méconnaissance de la législation du travail, ne peut être légitimement invoqué. En l’absence d’un droit au travail, l’entrave à ce dernier ne peut constituer une conséquence disproportionnée. La cour conclut que, au regard de la situation personnelle de l’individu et de l’objectif d’éloignement poursuivi, les mesures d’assignation à résidence « ne présentent pas de caractère disproportionné ». Cette solution rappelle que la proportionnalité d’une mesure de police s’apprécie également au regard de la régularité de la situation de la personne qui en fait l’objet.

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Hassan KOHEN
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