Par un arrêt en date du 17 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la légalité d’une autorisation de licenciement accordée par l’inspecteur du travail pour un salarié protégé déclaré inapte. En l’espèce, un salarié, membre titulaire du conseil social et économique, avait été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail. Son employeur a sollicité et obtenu de l’inspecteur du travail l’autorisation de le licencier. Le salarié a alors saisi le tribunal administratif de Lyon afin d’obtenir l’annulation de cette décision, soutenant que son inaptitude résultait d’une dégradation de son état de santé provoquée par des agissements discriminatoires de son employeur liés à son mandat. Le tribunal administratif a rejeté sa demande par un jugement du 11 juin 2024. Le salarié a interjeté appel de ce jugement, réitérant ses arguments relatifs à un lien entre la demande de licenciement et ses fonctions représentatives, et soulevant également l’incompétence du signataire de l’autorisation administrative. Il s’agissait donc pour la cour de déterminer si l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique doit être refusée lorsque cette inaptitude résulterait elle-même de faits de harcèlement et de discrimination syndicale imputables à l’employeur. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que si le principe d’un tel contrôle s’impose à l’administration, les éléments de preuve apportés par le requérant n’étaient pas suffisants pour établir la matérialité de la discrimination syndicale alléguée et son lien de causalité avec l’inaptitude constatée.
Le contrôle opéré par l’autorité administrative, et par extension par le juge, sur l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude, demeure rigoureux dans son principe (I), bien que son application concrète dépende étroitement de l’appréciation souveraine des faits et de la charge de la preuve (II).
I. Le contrôle rigoureux de l’autorité administrative sur l’autorisation de licenciement du salarié protégé
La cour administrative d’appel confirme que l’examen de la demande d’autorisation de licenciement d’un salarié inapte ne se limite pas à une simple validation formelle. Elle procède d’abord à la vérification de la compétence de l’auteur de l’acte (A) avant de rappeler le principe fondamental de la recherche d’un lien potentiel entre le licenciement et le mandat syndical (B).
A. La vérification formelle de la compétence de l’auteur de l’acte
L’appelant soulevait un moyen de légalité externe tiré de l’incompétence du signataire de la décision d’autorisation. La cour écarte rapidement ce moyen en se fondant sur la publication régulière de l’acte d’affectation de l’inspecteur du travail concerné. Elle relève que la directrice régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités avait bien affecté l’agent signataire au sein de la section compétente, par une décision publiée au recueil des actes administratifs du département. Cette vérification, bien que procédurale, démontre que le juge administratif s’assure du respect des règles de compétence matérielle et territoriale qui encadrent l’action de l’inspection du travail, première garantie pour le salarié protégé. En validant la compétence de l’agent, la cour confirme que la procédure administrative s’est déroulée dans le respect des formes requises, lui permettant ainsi de se concentrer sur l’examen au fond du dossier.
B. Le rappel du principe de la recherche d’un lien avec le mandat syndical
Après avoir écarté le moyen de procédure, la cour rappelle avec force l’étendue du contrôle que l’inspecteur du travail doit exercer lorsqu’il est saisi d’une demande de licenciement pour inaptitude. Elle énonce clairement que la protection exceptionnelle dont bénéficient les salariés protégés impose à l’administration de s’assurer que le licenciement est dénué de tout rapport avec le mandat. La décision va plus loin en précisant la portée de cette investigation dans le cas spécifique de l’inaptitude. Elle affirme que l’administration doit refuser l’autorisation si l’inaptitude est la conséquence d’une dégradation de la santé du salarié directement liée à des agissements de l’employeur visant à entraver son mandat. L’arrêt cite à cet égard que « Le fait que l’inaptitude du salarié résulte d’une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l’employeur à l’exercice de ses fonctions représentatives, est, à cet égard, de nature à révéler l’existence d’un tel rapport. » En consacrant cette solution, la cour confirme une jurisprudence protectrice qui ne s’arrête pas à la cause médicale de l’inaptitude mais en recherche l’origine, dès lors qu’un lien avec le mandat est allégué.
II. L’appréciation souveraine des faits face à l’exigence de la preuve
Si le principe protecteur est clairement réaffirmé, son application en l’espèce se heurte à l’appréciation des éléments de preuve fournis par le requérant. La cour procède à un examen méticuleux des allégations du salarié et les rejette de manière systématique faute de preuves suffisantes (A), ce qui met en lumière le poids de la charge probatoire comme un obstacle potentiel à l’effectivité de la protection (B).
A. Le rejet systématique des allégations de discrimination non étayées
La cour examine point par point les différents griefs formulés par le salarié pour étayer ses accusations de harcèlement et de discrimination. Qu’il s’agisse des difficultés relationnelles avec sa hiérarchie, de la stagnation de sa rémunération, de l’absence d’entretiens professionnels, des contraintes sur ses heures de délégation ou des conditions de travail durant la crise sanitaire, le juge administratif constate l’absence de preuves matérielles. Pour chaque allégation, la cour oppose soit l’absence d’éléments probants, soit l’existence d’explications objectives et non discriminatoires fournies par l’employeur. Par exemple, concernant la rémunération, elle note que l’évolution de celle-ci ne « présente pas de disparité avec les autres salariés ». Concernant les entretiens non tenus, elle admet que les circonstances matérielles pouvaient l’expliquer pour l’une des années. Ce faisant, la cour se livre à une appréciation souveraine des faits de l’espèce et conclut qu’aucun des éléments avancés ne permet de « révéler une attitude discriminatoire ».
B. La charge de la preuve, obstacle à la protection du salarié
Cette décision illustre la difficulté majeure pour un salarié protégé de rapporter la preuve d’un lien entre la dégradation de son état de santé et des agissements discriminatoires de l’employeur. Bien que le droit du travail prévoie des aménagements de la charge de la preuve en matière de discrimination, le contentieux de l’autorisation administrative de licenciement semble exiger du salarié qu’il présente un faisceau d’indices suffisamment précis et concordants pour convaincre l’administration, puis le juge. En l’espèce, la cour relève que « aucune des pièces du dossier ne permet de confirmer » les accusations du salarié. Elle souligne même que l’employeur a diligenté une enquête interne dès qu’il a eu connaissance des accusations de harcèlement. En définitive, en l’absence de preuves tangibles, la protection, pourtant fermement rappelée dans son principe, reste théorique. L’arrêt confirme ainsi que si l’inaptitude, même médicalement constatée, ne suffit pas à justifier le licenciement d’un salarié protégé, les seules allégations de discrimination, aussi nombreuses soient-elles, ne suffisent pas non plus à l’empêcher.