Cour d’appel administrative de Lyon, le 19 décembre 2024, n°24LY00230

Par un arrêt en date du 19 décembre 2024, une cour administrative d’appel a statué sur le recours d’un ressortissant algérien contre un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 28 novembre 2023. Ce jugement avait rejeté sa demande d’annulation de plusieurs décisions préfectorales, incluant un refus de titre de séjour, une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, la désignation du pays de renvoi et une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

En l’espèce, un ressortissant algérien, entré en France en 2016 à l’âge de dix-huit ans, avait sollicité en 2022 la délivrance d’un titre de séjour en se prévalant de ses liens privés et familiaux, puis de son statut d’étudiant après avoir validé une première année de licence. Il justifiait de plusieurs périodes d’emploi, dont certaines exercées sans autorisation de travail, et de la présence de membres de sa famille en France. Ses parents et deux frères résidaient cependant toujours dans son pays d’origine.

Le préfet de l’Isère a opposé un refus à sa demande le 19 septembre 2023, assortissant cette décision des mesures d’éloignement habituelles. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Grenoble, qui a confirmé la légalité des actes attaqués. L’intéressé a alors interjeté appel, soutenant notamment que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 6 de l’accord franco-algérien. Il invoquait également une erreur manifeste d’appréciation du préfet quant à sa situation.

Dès lors, il revenait à la cour de déterminer si le refus d’accorder un titre de séjour à un étranger présent sur le territoire depuis plusieurs années, y ayant noué des liens professionnels et universitaires, mais ne justifiant pas d’une intégration jugée suffisante et conservant des attaches familiales dans son pays d’origine, constitue une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.

La cour administrative d’appel a rejeté la requête. Elle a estimé que les éléments produits ne permettaient pas de caractériser une intégration particulière en France ni une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé. De surcroît, elle a jugé que le préfet n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en refusant de régulariser sa situation à titre exceptionnel et en prononçant une interdiction de retour de deux ans.

La décision commentée illustre l’application rigoureuse par le juge administratif des critères d’appréciation de l’intégration d’un étranger (I), validant en conséquence le large pouvoir discrétionnaire de l’autorité préfectorale en matière de police des étrangers (II).

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I. La confirmation d’une appréciation restrictive des critères d’intégration

La cour administrative d’appel procède à une analyse détaillée de la situation du requérant, concluant que ni son parcours professionnel et universitaire (A), ni ses attaches personnelles en France (B) ne sont suffisants pour remettre en cause la décision préfectorale.

A. L’insuffisance des éléments d’insertion professionnelle et sociale

Le juge examine en premier lieu les preuves de l’insertion professionnelle et sociale du requérant. L’arrêt relève une activité salariée exercée sur plusieurs périodes en qualité de commis de cuisine ou d’employé polyvalent. Cependant, la portée de cette expérience est immédiatement relativisée par la mention qu’elle fut « exercée pour partie sans autorisation ». Cette précision souligne que l’activité irrégulière, loin de constituer un facteur d’intégration positif, peut être vue comme un élément confortant le bien-fondé d’un refus de séjour.

Ensuite, la réussite universitaire de l’intéressé, matérialisée par la validation d’une première année de licence, est certes prise en compte. Toutefois, la cour la juge insuffisante pour renverser l’analyse. Elle estime que l’ensemble de ces éléments « ne suffit pas à témoigner, au regard d’un séjour d’un peu plus de sept années, ponctué d’une mesure d’éloignement, d’une particulière insertion en France ». Cette formule met en évidence le niveau d’exigence élevé du juge, pour qui la durée du séjour et les efforts d’intégration doivent être appréciés globalement, et peuvent être neutralisés par des éléments négatifs comme une précédente mesure d’éloignement.

B. La prévalence des attaches dans le pays d’origine

Le second volet de l’analyse porte sur les liens personnels et familiaux. La cour reconnaît la présence en France d’un oncle hébergeant, d’une tante et de cousins. Ces liens, bien que réels, sont mis en balance avec ceux que le requérant conserve dans son pays d’origine. L’arrêt prend soin de préciser que « le requérant n’est pas dépourvu d’attaches en Algérie, pays qu’il a quitté âgé de 18 ans et 8 mois, où vivent ses parents et deux autres frères ». Le fait d’avoir vécu les dix-huit premières années de sa vie dans son pays d’origine et la présence de son noyau familial proche apparaissent ici comme des éléments déterminants.

Par ailleurs, l’allégation d’une vie de couple avec une ressortissante française est écartée d’un revers de main, la cour notant que l’intéressé « n’apporte aucune précision sur la durée et les conditions » de cette relation. Cette mention rappelle que dans ce type de contentieux, de simples déclarations non étayées sont dépourvues de toute force probante. En définitive, le bilan des attaches familiales penche, aux yeux du juge, en faveur du pays d’origine, ce qui justifie que le refus de séjour ne porte pas une « atteinte excessive » à la vie privée et familiale.

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II. La validation du large pouvoir d’appréciation de l’autorité préfectorale

La cour ne se contente pas de valider l’appréciation des faits par le préfet ; elle confirme également la légalité de l’usage de son pouvoir discrétionnaire, tant dans le refus de régularisation (A) que dans le prononcé des mesures accessoires d’éloignement (B).

A. Le rejet de la régularisation à titre exceptionnel

Le requérant tentait de soutenir que, même en l’absence d’un droit de plein droit au séjour, sa situation aurait dû conduire le préfet à user de son pouvoir de régularisation à titre exceptionnel. Il invoquait à ce titre une circulaire ministérielle de 2012. La cour écarte cet argument de manière péremptoire, rappelant un principe constant du contentieux administratif : le requérant « ne saurait utilement se prévaloir » d’une circulaire, celle-ci étant dépourvue de caractère réglementaire et donc inopposable à l’administration.

En conséquence, l’appréciation de l’opportunité d’une régularisation relève du seul pouvoir du préfet. Le juge se limite à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Reprenant les éléments déjà analysés, tels que l’activité professionnelle et les attaches familiales, la cour conclut que ces « circonstances » n’étaient pas de nature à contraindre le préfet à accorder le séjour. Le moyen est donc écarté, consacrant la pleine latitude de l’administration pour décider des admissions au séjour qui ne relèvent pas d’un cas de délivrance de plein droit.

B. La justification des mesures d’éloignement et d’interdiction de retour

La légalité des décisions d’obligation de quitter le territoire et de désignation du pays de renvoi est confirmée par un raisonnement en cascade. Le refus de séjour étant jugé légal, l’exception d’illégalité soulevée à l’encontre de ces mesures d’éloignement devient inopérante. Il s’agit d’une application logique de la jurisprudence « Préfet de l’Eure » (CE, 2005).

Plus intéressant est le contrôle opéré sur la décision d’interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. La cour rappelle les critères légaux que le préfet doit prendre en compte : la durée de présence, la nature des liens avec la France, l’existence de précédentes mesures d’éloignement et la menace pour l’ordre public. En l’espèce, elle note qu’aucun « trouble à l’ordre public ne peut être reproché au requérant ». Néanmoins, la combinaison des autres critères – existence d’une mesure d’éloignement antérieure, absence d’insertion « particulière » et de situation d’isolement dans le pays d’origine – suffit à justifier la durée maximale de deux ans. En jugeant que le préfet « n’a pas entaché sa décision d’une erreur d’appréciation », la cour confirme qu’une interdiction de retour peut être légalement fixée à son maximum même en l’absence totale de menace à l’ordre public, dès lors que le dossier de l’étranger révèle une intégration jugée précaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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