Cour d’appel administrative de Lyon, le 19 juin 2025, n°24LY00399

Par un arrêt du 19 juin 2025, la Cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une sanction disciplinaire de déplacement d’office infligée à une administratrice des finances publiques adjointe. Cette décision offre l’occasion de préciser le régime des garanties procédurales applicables à l’agent public poursuivi, ainsi que l’étendue du contrôle du juge sur l’appréciation des faits et de la proportionnalité de la sanction par l’administration. En l’espèce, une cadre de la direction du contrôle fiscal a fait l’objet de poursuites pénales pour des faits susceptibles de constituer une prise illégale d’intérêt et une violation du secret professionnel. Parallèlement, l’administration a engagé une procédure disciplinaire à son encontre, lui reprochant d’avoir manqué à ses obligations déontologiques en ne signalant pas ses liens de proximité avec des contribuables faisant l’objet de contrôles et en s’immisçant dans le suivi de leurs dossiers. Le retentissement de l’affaire dans la presse, jetant le discrédit sur l’administration fiscale, a également été retenu comme un grief.

La procédure a débuté par un arrêté du ministre de l’économie lui infligeant un déplacement d’office, suivi d’un arrêté d’affectation. L’agente a saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande d’annulation de ces deux décisions. Par un jugement du 29 décembre 2023, le tribunal a rejeté sa requête. L’intéressée a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la régularité de la procédure disciplinaire qu’au bien-fondé de la sanction. Elle invoquait notamment la violation de son droit à consulter son dossier, la méconnaissance du droit de se taire, la prescription d’une partie des faits, l’inexactitude matérielle des griefs retenus, l’absence de faute personnelle concernant l’atteinte à la réputation de l’administration et, enfin, le caractère disproportionné de la sanction. La question de droit posée aux juges d’appel était donc double : d’une part, de déterminer si la méconnaissance du droit d’être informé de son droit de se taire vicie nécessairement la procédure disciplinaire et, d’autre part, d’apprécier si les faits, constitutifs de manquements aux obligations d’impartialité et de probité, justifiaient une sanction de déplacement d’office.

La Cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que si l’agent doit être informé de son droit de garder le silence, l’omission de cette information n’entraîne l’annulation de la sanction que si celle-ci repose de manière déterminante sur les déclarations de l’intéressé. Par ailleurs, elle confirme que les faits reprochés étaient matériellement établis, non prescrits et de nature à justifier la sanction prononcée, laquelle n’apparaît pas disproportionnée au regard de la gravité des manquements commis par une agente occupant des fonctions d’encadrement.

L’arrêt permet ainsi de clarifier le régime de garanties procédurales reconnues à l’agent public, en conditionnant la portée de leur violation (I), avant de réaffirmer l’étendue du contrôle juridictionnel sur l’appréciation souveraine par l’administration de la faute et de la sanction (II).

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I. La consolidation de garanties procédurales à l’efficacité conditionnée

La Cour examine avec attention les moyens de procédure soulevés par la requérante, relatifs au droit au silence (A) et à la prescription (B). Tout en consacrant l’existence de ces garanties, elle en limite strictement la portée effective, subordonnant leur violation à un impact concret sur la décision finale.

A. La reconnaissance du droit au silence tempérée par l’exigence d’une influence déterminante

L’arrêt apporte une contribution notable en appliquant le droit de se taire, issu de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à la procédure disciplinaire de la fonction publique. Les juges affirment sans ambiguïté que de telles exigences impliquent que « l’agent public faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire ». Cette reconnaissance formelle aligne les garanties de l’agent public sur celles de la personne poursuivie en matière pénale, renforçant ainsi les droits de la défense dans un cadre administratif punitif.

Cependant, la Cour assortit immédiatement ce principe d’une condition restrictive quant à sa sanction. En effet, elle précise que l’irrégularité tirée du défaut d’information sur le droit de se taire n’entraîne l’annulation que si la sanction « repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l’intéressé n’avait pas été informé de ce droit ». En l’espèce, les juges constatent que, bien que l’agente n’ait jamais été informée de son droit, la sanction se fondait sur un ensemble d’éléments objectifs distincts de ses propres déclarations, tels que des rapports d’enquête et des témoignages. La solution, tout en consacrant un droit fondamental, en neutralise l’effet lorsque l’administration dispose d’un dossier suffisamment solide. Cette approche pragmatique évite une annulation pour un vice de procédure purement formel, mais affaiblit considérablement la portée pratique de la garantie nouvellement affirmée.

B. La neutralisation de la prescription par l’effet interruptif des poursuites pénales

La requérante soutenait qu’une partie des faits reprochés, connus de l’administration depuis 2018, était prescrite lors de l’engagement de la procédure disciplinaire en 2022, en application du délai de trois ans prévu par l’article L. 532-2 du code général de la fonction publique. La Cour écarte ce moyen en appliquant avec rigueur le mécanisme d’interruption de la prescription en cas de poursuites pénales. Elle juge que l’argument de l’agente, qui tentait de distinguer les faits sur le plan pénal et disciplinaire en raison de leurs qualifications juridiques distinctes, est inopérant.

Pour la Cour, l’interruption de la prescription s’applique dès lors que les faits matériels à l’origine des deux procédures sont identiques. Elle relève que cette condition « est sans incidence sur l’application des dispositions précitées nécessitant seulement que ces faits soient identiques, ce qui est le cas en l’espèce ». Cette interprétation confirme une jurisprudence constante qui assure la cohérence entre les actions disciplinaire et pénale, empêchant qu’un agent ne puisse échapper à sa responsabilité administrative au seul motif de la lenteur de la justice répressive. La solution garantit ainsi que l’administration puisse attendre l’issue des poursuites pénales pour prendre une décision disciplinaire en pleine connaissance de cause, sans que le délai de prescription ne lui soit opposable.

II. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration sous le contrôle du juge

Après avoir écarté les moyens de procédure, la Cour examine les griefs portant sur le bien-fondé de la sanction. Elle exerce un contrôle sur la matérialité des faits et la qualification de la faute (A), ainsi que sur la proportionnalité de la sanction (B), tout en laissant une marge d’appréciation significative à l’autorité disciplinaire.

A. La caractérisation de la faute par le manquement aux obligations déontologiques

L’arrêt confirme que le juge de l’excès de pouvoir contrôle la matérialité des faits sur lesquels l’administration fonde sa décision. La requérante soutenait que les faits étaient inexacts, relevant de simples rumeurs. Toutefois, la Cour estime que les éléments versés au dossier par l’administration, notamment le « rapport d’enquête réalisé par la mission « Risques et Audit » », ainsi que les témoignages d’autres agents, établissent suffisamment la réalité des manquements. La Cour souligne que l’agente « se borne à critiquer les éléments précités en indiquant qu’ils constitueraient seulement des rumeurs ou des allégations », ce qui est insuffisant pour renverser la présomption de véracité des pièces administratives.

De plus, la Cour valide la qualification de faute concernant l’atteinte à la réputation de l’administration. L’agente arguait ne pas être personnellement responsable du retentissement médiatique de l’affaire. Les juges rejettent cette défense en considérant que cette atteinte est une conséquence directe de son comportement fautif initial. Ils estiment que « le ministre pouvait légalement retenir à son encontre que son comportement avait entraîné une atteinte au renom de l’administration ». Cette analyse rattache fermement la responsabilité de l’agent aux conséquences de ses actes, même indirectes, dès lors qu’elles portent préjudice au service public et à la confiance que les citoyens doivent lui accorder.

B. L’appréciation de la proportionnalité de la sanction au regard de la gravité des faits

Enfin, la Cour exerce son contrôle sur la proportionnalité de la sanction. Elle rappelle que le déplacement d’office est une sanction du deuxième groupe, et évalue son adéquation avec la gravité des fautes commises. La Cour prend en considération le statut de l’agente, cadre de l’administration fiscale, et la nature de ses manquements, qui portent atteinte aux obligations d’impartialité, de neutralité et de loyauté. Elle juge que ces manquements « rendent impossible son maintien en fonctions au sein de la DIRCOFI Sud-Pyrénées ».

Les juges écartent les arguments de la requérante tenant à sa carrière antérieure et à l’absence de sanction disciplinaire passée. Ils estiment que, face à la gravité des faits, ces éléments ne suffisent pas à rendre la sanction disproportionnée. En relevant que le ministre « n’a pas (…) prononcé une sanction disproportionnée », la Cour valide le choix de l’administration. Cette solution illustre que, pour des manquements graves à la déontologie, notamment dans des fonctions sensibles, l’exemplarité de la carrière antérieure d’un agent ne constitue pas une circonstance atténuante suffisante pour justifier une clémence particulière. Le besoin de préserver l’intégrité et le bon fonctionnement du service prime sur la situation personnelle de l’agent.

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Hassan KOHEN
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