Cour d’appel administrative de Lyon, le 19 juin 2025, n°24LY01175

Par un arrêt en date du 19 juin 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un jeune majeur et des mesures d’éloignement qui en découlent. En l’espèce, un ressortissant étranger, arrivé sur le territoire national à l’âge de quatorze ans en compagnie de sa mère et de sa sœur, s’était vu opposer un refus à sa demande de titre de séjour par l’autorité préfectorale le 29 mars 2023. Cette décision était assortie d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de destination. L’intéressé a saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de ces décisions, mais sa demande fut rejetée par un jugement du 19 février 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et qu’il était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

Il était donc demandé aux juges d’appel de déterminer si le refus d’accorder un titre de séjour à un jeune majeur, scolarisé et intégré depuis plusieurs années, mais dont l’ensemble du noyau familial se trouve en situation irrégulière, constitue une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour administrative d’appel répond par la négative et rejette la requête. Elle estime que, malgré une scolarisation continue et une présence de plus de quatre ans sur le territoire, la décision préfectorale ne porte pas une atteinte excessive aux droits du requérant, eu égard notamment à la précarité de la situation administrative de ses parents et à la possibilité pour la cellule familiale de se reconstituer dans le pays d’origine. L’arrêt confirme ainsi une appréciation rigoureuse des conditions d’intégration (I), dont la portée révèle une conception restrictive de la protection de la vie privée et familiale pour les jeunes majeurs dans sa situation (II).

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I. Une appréciation rigoureuse des critères d’intégration

La cour administrative d’appel, pour confirmer le rejet de la demande, procède à une analyse stricte des éléments constitutifs de la vie privée et familiale du requérant, en faisant prévaloir les objectifs de contrôle des flux migratoires (A) et en s’en tenant à une évaluation des faits figée à la date de la décision contestée (B).

A. La mise en balance du droit au respect de la vie privée et familiale et des buts de la décision

L’arrêt fonde son raisonnement sur une application classique de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui autorise une ingérence de l’autorité publique si elle est prévue par la loi et poursuit un but légitime. En l’espèce, les juges d’appel ont considéré que le refus de titre de séjour, bien que constituant une ingérence dans la vie privée et familiale du requérant, était justifié. Pour ce faire, ils ont examiné plusieurs éléments de la situation personnelle de l’intéressé. La cour relève ainsi une durée de résidence en France de « seulement un peu plus de quatre ans », son statut de célibataire sans enfant et surtout la situation de ses parents, eux-mêmes sous le coup d’une obligation de quitter le territoire.

Cette approche conduit la juridiction à minimiser le poids de l’intégration sociale et scolaire de l’individu au profit d’une vision globale de la situation du noyau familial. La cour conclut que « la décision contestée n’a pas porté au droit de M. B… au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise ». Ce faisant, elle valide l’analyse de l’administration selon laquelle la solidité des liens privés et familiaux sur le territoire national n’était pas suffisamment établie pour faire obstacle à une mesure d’éloignement, le centre de ses intérêts ne s’y trouvant pas définitivement fixé.

B. La temporalité stricte de l’évaluation des faits par le juge

L’un des apports de la décision réside dans l’application rigoureuse du principe selon lequel la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de son édiction. Le requérant avait produit en cours d’instance des éléments nouveaux, notamment un contrat d’apprentissage débuté en juin 2023, soit après la décision préfectorale. Ces éléments, de nature à renforcer la preuve de son intégration professionnelle, n’ont pas été pris en compte par la cour pour apprécier la légalité du refus de séjour.

La juridiction écarte ces pièces en soulignant qu’elles « sont postérieures à la décision en litige ». Cette position, juridiquement orthodoxe, a pour conséquence de figer l’appréciation de la situation de l’étranger à un instant précis, sans tenir compte de son évolution positive ultérieure. Bien que le juge administratif puisse, et parfois doive, prendre en compte des circonstances postérieures dans le cadre de l’injonction, il s’en tient pour le contrôle de légalité à une photographie de la situation au moment de l’acte. Cette méthode, si elle garantit la sécurité juridique, peut aboutir à des solutions paraissant sévères lorsque l’étranger a démontré une capacité d’intégration rapide précisément dans la période qui suit le refus.

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II. La portée limitée de la protection accordée au jeune majeur

Au-delà du sens de la décision, sa valeur et sa portée méritent d’être interrogées. L’arrêt témoigne d’un refus de consacrer une autonomie à la situation du jeune majeur par rapport à celle de ses parents (A), ce qui en fait une solution d’espèce dont l’influence future demeure circonscrite (B).

A. Le refus de reconnaître une autonomie à la situation du jeune majeur

En liant étroitement le sort du requérant à celui de ses parents, l’arrêt révèle une conception restrictive de l’autonomie du jeune majeur. La cour justifie en partie sa décision par le fait que « la cellule familiale » peut se reconstruire dans le pays d’origine. Cette formule suggère que, malgré sa majorité légale, l’intéressé n’est pas considéré comme un individu ayant vocation à développer un projet de vie indépendant en France, mais plutôt comme une composante d’un groupe familial dont la destinée est commune.

Cette approche peut être discutée au regard de l’objectif d’intégration. En effet, un jeune adulte ayant passé une partie significative de son adolescence en France et y poursuivant un parcours de formation est susceptible d’avoir développé des liens sociaux et professionnels distincts de ceux de ses parents. En subordonnant son droit au séjour à la régularité de la situation de ces derniers, la juridiction semble freiner la reconnaissance d’un parcours d’intégration personnel réussi. La décision privilégie la cohérence de la situation administrative de la famille au détriment de l’appréciation individualisée de la situation du jeune majeur.

B. Une solution d’espèce à la portée jurisprudentielle incertaine

L’arrêt commenté doit être qualifié de décision d’espèce. Sa solution est fortement dépendante des faits particuliers de la cause : la durée de séjour jugée relativement brève, l’absence de résultats scolaires « spécialement remarquables » et, surtout, le fait que l’ensemble du noyau familial était en situation irrégulière. Il est probable que dans une affaire présentant un profil différent, par exemple une durée de séjour plus longue ou une intégration professionnelle avérée avant la date de la décision, la solution aurait pu être différente.

Par conséquent, cette décision ne saurait être interprétée comme un durcissement général de la jurisprudence relative au droit au séjour des jeunes majeurs. Elle s’inscrit plutôt dans le courant jurisprudentiel constant qui exige une mise en balance concrète et circonstanciée des intérêts en présence. Elle rappelle que le juge administratif exerce un contrôle de proportionnalité qui laisse une marge d’appréciation importante à l’administration. La portée de cet arrêt est donc avant tout illustrative : il montre comment le critère de la précarité de la situation familiale peut peser de manière décisive dans la balance, même face à des éléments d’intégration non négligeables.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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