Par un arrêt en date du 19 juin 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon se prononce sur le refus d’un titre de séjour opposé à une ressortissante algérienne. Une femme, entrée régulièrement en France en 2017 avec son conjoint et ses enfants, a sollicité la délivrance d’un certificat de résidence sur le fondement de ses liens personnels et familiaux en France. Par une décision du 25 juillet 2023, la préfète du Rhône a rejeté sa demande. La requérante a alors saisi le tribunal administratif de Lyon aux fins d’annulation de ce refus. Par une ordonnance du 25 juin 2024, le président de la première chambre de ce tribunal a constaté un non-lieu à statuer, au motif que l’administration aurait délivré à l’intéressée un titre de séjour postérieurement à l’introduction de sa requête. La requérante a interjeté appel de cette ordonnance, soutenant qu’elle reposait sur une erreur de fait, le titre de séjour en question ayant été attribué non pas à elle, mais à sa fille.
La question de droit qui se posait à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si une erreur de fait sur l’identité du bénéficiaire d’un acte administratif pouvait vicier une ordonnance de non-lieu à statuer. D’autre part, et consécutivement, la cour devait se demander si le refus d’autoriser le séjour d’une personne installée en France depuis plusieurs années avec ses enfants, dont plusieurs y sont scolarisés, portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.
À la première question, la Cour administrative d’appel de Lyon répond par l’affirmative en annulant l’ordonnance du premier juge. Elle relève qu’« il ne résulte d’aucune pièce du dossier que Mme C… épouse Naamani se serait vu délivrer un certificat de résidence algérien », le titre mentionné ayant en réalité été délivré à sa fille. Usant de son pouvoir d’évocation, la cour examine ensuite directement le fond de l’affaire. Elle juge que le refus de titre de séjour porte une « atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale », annule la décision préfectorale et enjoint à l’administration de délivrer le titre sollicité.
La décision de la cour s’articule en deux temps : elle sanctionne d’abord une erreur procédurale manifeste commise par le premier juge (I), avant de procéder à une application concrète et détaillée du contrôle de proportionnalité en matière de droit au séjour (II).
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I. La rectification d’une erreur de jugement comme préalable à l’examen au fond
L’intervention du juge d’appel est d’abord marquée par la censure d’une ordonnance entachée d’une erreur matérielle (A), ce qui lui ouvre la voie pour statuer directement sur le litige par le mécanisme de l’évocation (B).
A. L’annulation d’une ordonnance fondée sur une confusion factuelle
Le premier apport de l’arrêt réside dans le rappel d’une exigence fondamentale de la fonction de juger : la correcte appréciation des faits de la cause. En l’espèce, le tribunal administratif de Lyon avait prononcé un non-lieu à statuer, estimant que la demande de la requérante était devenue sans objet. Cette conclusion reposait sur la conviction que l’administration avait, en cours d’instance, satisfait à la demande de l’intéressée en lui octroyant un certificat de résidence de dix ans le 26 mars 2024. Or, la cour constate que ce raisonnement est fondé sur une méprise, le titre en question n’ayant pas été délivré à la requérante elle-même, mais à sa fille.
En annulant cette ordonnance, la cour réaffirme que le non-lieu à statuer, qui a pour effet de clore prématurément le débat juridictionnel, ne peut se fonder que sur des certitudes factuelles. Une simple confusion sur la personne destinataire d’une décision administrative suffit à rendre irrégulière l’ordonnance qui en tire des conséquences procédurales aussi radicales. Cette solution, bien que classique, souligne l’importance du soin que le juge doit apporter à l’examen des pièces du dossier, une diligence d’autant plus cruciale lorsqu’il est statué par un juge unique dans le cadre des procédures simplifiées de l’article R. 222-1 du code de justice administrative. Le juge d’appel exerce ici pleinement son rôle de régulateur de la procédure de première instance.
B. La mise en œuvre du pouvoir d’évocation pour une bonne administration de la justice
Après avoir annulé l’ordonnance, la cour aurait pu renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif pour qu’il statue à nouveau. Toutefois, elle choisit de faire application de son pouvoir d’évocation, prévu par l’article L. 821-2 du code de justice administrative. En décidant qu’« il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande », elle s’empare de l’entier litige. Cette technique procédurale lui permet de juger elle-même les moyens de fond qui n’avaient pas été examinés par le premier juge.
Le recours à l’évocation se justifie pleinement dans les circonstances de l’espèce. L’affaire était en état d’être jugée, les parties ayant déjà présenté leurs arguments sur le fond. Renvoyer le dossier au tribunal administratif aurait entraîné des délais supplémentaires, contraires à l’exigence d’une bonne administration de la justice et préjudiciables à la situation personnelle de la requérante. Ce choix illustre une volonté d’efficacité procédurale, permettant de clore le litige dans un délai raisonnable tout en assurant à la justiciable un examen complet de ses droits.
Une fois l’affaire valablement portée devant elle, la cour se livre à un contrôle approfondi de la décision préfectorale au regard du droit au respect de la vie privée et familiale.
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II. L’appréciation souveraine du droit au respect de la vie privée et familiale
Pour annuler le refus de titre de séjour, la cour procède à une analyse factuelle détaillée afin d’établir la réalité de l’ancrage de la requérante en France (A), ce qui la conduit à une application rigoureuse du contrôle de proportionnalité (B).
A. La méthode du faisceau d’indices pour caractériser le centre de la vie privée et familiale
Le cœur de l’arrêt repose sur l’appréciation des liens personnels et familiaux de l’intéressée en France, au sens de l’article 6, alinéa 5, de l’accord franco-algérien et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour ce faire, la cour ne se contente pas d’un seul critère, mais rassemble un ensemble d’éléments concordants. Elle relève ainsi la durée de résidence en France de six ans et demi, la présence de ses cinq enfants à ses côtés, dont un né sur le territoire national, et le fait qu’elle en a la charge depuis sa séparation d’avec son époux.
L’analyse de la cour se distingue par l’attention particulière portée à la situation des enfants. Elle note que les trois plus jeunes sont scolarisés et que les deux aînés, bien que majeurs, ont également poursuivi leur scolarité en France, y ont engagé des démarches pour leur propre séjour et y travaillent même pour l’un d’eux. De plus, la cour prend en compte des éléments postérieurs à la décision attaquée, tels que la délivrance effective de titres de séjour à deux de ses enfants. Cet ensemble de faits objectifs conduit la cour à conclure que la requérante « doit être regardée comme ayant fixé en France le centre de ses intérêts personnels et familiaux ». Cette démarche illustre la méthode du faisceau d’indices, par laquelle le juge administratif apprécie une situation dans sa globalité pour en déterminer la substance.
B. Une application orthodoxe du contrôle de proportionnalité
Sur la base de cette constatation, la cour exerce un contrôle de proportionnalité. Elle met en balance, d’une part, les intérêts publics poursuivis par le contrôle des flux migratoires et, d’autre part, le droit de l’intéressée au respect de sa vie privée et familiale. L’arrêt conclut que, au regard de l’ensemble des circonstances précédemment relevées, la décision de refus « porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ». La solution n’est pas novatrice en soi ; elle s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui exige de l’administration qu’elle procède à un examen individualisé et concret de chaque situation.
Toutefois, la portée de la décision réside dans sa rigueur. En prenant en considération non seulement la situation à la date de la décision préfectorale mais aussi des éléments postérieurs, la cour adopte une vision dynamique de la situation personnelle et familiale. Elle confirme que l’intégration ne se mesure pas à un instant T, mais s’apprécie dans la durée et au travers des parcours de vie des membres de la famille. En annulant le refus et en enjoignant à la préfète de délivrer un titre de séjour, le juge administratif ne se substitue pas à l’administration mais la contraint à tirer les conséquences juridiques d’une situation de fait qu’elle n’avait pas appréciée à sa juste mesure. L’arrêt constitue ainsi un rappel que le pouvoir discrétionnaire du préfet en matière de régularisation trouve sa limite dans le respect des droits fondamentaux garantis par les conventions internationales.