Cour d’appel administrative de Lyon, le 19 juin 2025, n°24LY02502

Par un arrêt en date du 19 juin 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon se prononce sur la responsabilité d’une collectivité territoriale à la suite d’un accident survenu aux abords d’un chantier de travaux publics. En l’espèce, un cycliste a chuté dans une tranchée creusée sur la chaussée dans le cadre de travaux d’assainissement. L’accident est survenu alors qu’il circulait sur un passage piétonnier aménagé le long du chantier, connaissant au demeurant la configuration des lieux. S’estimant victime, avec son épouse, d’un préjudice du fait d’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public, il a saisi la juridiction administrative.

Le tribunal administratif de Grenoble, par un jugement du 4 juillet 2024, a rejeté leur demande indemnitaire. Les requérants ont alors interjeté appel de cette décision, maintenant que la responsabilité de la collectivité devait être engagée en raison d’un entretien défaillant du trottoir. La collectivité intimée concluait pour sa part au rejet de la requête, arguant de l’absence de défaut d’entretien normal et de la faute exclusive de la victime. La question se posait donc pour la cour de déterminer si le comportement d’un usager, circulant à bicyclette dans un passage réservé aux piétons et bordant une zone de travaux, était de nature à exonérer totalement la collectivité de sa responsabilité.

La Cour administrative d’appel de Lyon répond par l’affirmative et rejette la requête. Elle juge que la collectivité rapporte la preuve de l’entretien normal de la voie et que la victime, en choisissant de circuler à vélo dans un passage inadapté et signalé comme dangereux, « a commis une faute d’imprudence qui doit en l’espèce être regardée comme étant seule à l’origine de l’accident dont il a été victime ». Cette décision, qui fait une application classique des mécanismes de la responsabilité administrative, illustre la manière dont le juge apprécie l’enchaînement des causes pour retenir une faute exclusive de la victime (I), ce qui conduit inéluctablement au rejet de toute prétention indemnitaire (II).

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I. L’appréciation souveraine du lien de causalité

La Cour administrative d’appel, pour écarter la responsabilité de la personne publique, procède en deux temps. Elle vérifie d’abord l’absence de défaut d’entretien normal de l’ouvrage public (A) avant de caractériser de manière détaillée le comportement fautif de la victime (B).

A. La démonstration de l’entretien normal de l’ouvrage

Le régime de la responsabilité pour défaut d’entretien normal d’un ouvrage public est une responsabilité sans faute, mais il appartient à la victime de prouver l’existence d’un tel défaut et le lien de causalité avec son préjudice. La personne publique peut s’exonérer en prouvant qu’elle a normalement entretenu l’ouvrage. En l’espèce, la cour relève que la collectivité territoriale satisfait à cette exigence. Elle s’appuie sur les éléments de l’enquête de gendarmerie pour constater que la zone de chantier était correctement matérialisée.

La décision souligne que « des barrières encastrables auto-stables, d’une hauteur de 1,20 mètre, étaient disposées de façon continue pour délimiter la zone de chantier ». Elle précise également qu’aucun texte n’imposait une protection plus contraignante, telle qu’une rambarde ou un garde-corps. Le juge en déduit qu’« aucun manquement aux règles de sécurité n’est établi » et que la métropole « doit ainsi être regardée comme établissant l’entretien normal de la voie ». Cette analyse factuelle, précise et rigoureuse, permet au juge de clore le premier volet de son raisonnement : en l’absence de défaillance de la part de la collectivité, l’origine du dommage doit être recherchée ailleurs.

B. La caractérisation d’une imprudence manifeste de la victime

Une fois l’entretien normal de l’ouvrage établi, la cour se concentre sur le comportement de la victime pour déterminer son rôle dans la survenance du dommage. L’arrêt met en évidence une accumulation de manquements de la part du cycliste. Il est d’abord relevé que l’intéressé « s’est engagé à vélo sur le trottoir, sans mettre pied à terre en méconnaissance de l’article R. 412-34, II, 2° du code de la route ». Cette violation d’une prescription réglementaire constitue une première faute caractérisée.

De surcroît, le juge insiste sur le contexte particulier des lieux, « une voie limitée en secteur de travaux qui appelait à l’évidence de la part des usagers une prudence particulière ». La victime, qui habitait à proximité et connaissait l’existence du chantier, ne pouvait ignorer les risques encourus. En choisissant délibérément de ne pas emprunter la déviation prévue ou de ne pas mettre pied à terre, l’usager a fait preuve d’une imprudence grave. Les témoignages faisant état d’un « équilibre incertain » et d’« écarts » avant la chute ne font que renforcer la conviction du juge quant au caractère fautif de son comportement, qui devient ainsi la cause directe et déterminante de l’accident.

II. La faute de la victime, cause exclusive du dommage

La reconnaissance de la faute de la victime emporte des conséquences radicales sur son droit à indemnisation. Elle conduit le juge à retenir cette faute comme la cause unique de l’accident, exonérant ainsi totalement la collectivité (A), ce qui rend la solution dépendante des circonstances précises de l’espèce et en limite la portée (B).

A. L’application de la théorie de la cause exonératoire

En matière de responsabilité administrative, la faute de la victime est l’une des trois causes d’exonération, avec la force majeure et le fait d’un tiers. Selon sa gravité, elle peut conduire à un partage de responsabilité ou, comme en l’espèce, à une exonération totale de la personne publique. Pour que l’exonération soit totale, il faut que la faute présente un caractère de gravité tel qu’elle puisse être considérée comme la cause exclusive du dommage.

Dans cette affaire, la cour estime que les conditions sont réunies. Elle synthétise son analyse en jugeant qu’« en s’engageant à vélo, avec un équilibre incertain, dans un passage délimité pour les piétons en secteur de chantier, alors que la limitation du passage et l’existence d’une tranchée en bordure étaient signalées et visibles », la victime a commis une faute qui est la cause unique de son préjudice. Le lien de causalité entre l’état de l’ouvrage public et le dommage est ainsi rompu par l’interposition du comportement de l’usager. Par conséquent, la cour en tire la conclusion logique qu’il n’y a pas lieu de diligenter une expertise médicale ni d’allouer de provision, la responsabilité de la collectivité étant entièrement écartée.

B. Une solution d’espèce à la portée limitée

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui apprécie de manière concrète le comportement de la victime d’un dommage de travaux publics. La solution retenue est avant tout une décision d’espèce, fortement conditionnée par l’accumulation des faits relevés par les juges du fond. La connaissance des lieux par la victime, la violation caractérisée du code de la route, l’existence d’une déviation et la parfaite visibilité des obstacles sont autant d’éléments qui, combinés, ont forgé la conviction de la cour.

Il est peu probable qu’un tel arrêt ait une portée normative significative ou qu’il modifie l’équilibre jurisprudentiel en la matière. Il ne constitue pas un revirement ni ne fixe un principe nouveau. Il se borne à rappeler que l’usager d’un ouvrage public, même en travaux, doit faire preuve d’une prudence élémentaire et que son comportement manifestement imprudent peut le priver de tout droit à indemnisation. En ce sens, la décision a une valeur pédagogique : elle souligne que le droit à la sécurité sur le domaine public a pour corollaire un devoir de vigilance de la part des usagers, dont la défaillance peut être lourdement sanctionnée sur le terrain de la responsabilité.

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Hassan KOHEN
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