Par un arrêt en date du 2 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une série de mesures d’éloignement prises à l’encontre d’une ressortissante étrangère. En l’espèce, une jeune femme, entrée en France à l’âge de seize ans, a vu sa demande d’asile rejetée puis a fait l’objet d’une première obligation de quitter le territoire français en 2019, qu’elle n’a pas exécutée. Ayant sollicité en 2023 un titre de séjour sur le fondement de ses études et de sa vie privée et familiale, elle s’est vu opposer un refus par le préfet, assorti d’une nouvelle obligation de quitter le territoire sans délai, d’une interdiction de retour, d’une décision fixant le pays de destination et d’une assignation à résidence. Saisi en première instance, le magistrat désigné du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, par un jugement du 12 avril 2024, disjoint le contentieux du refus de séjour pour le renvoyer à une formation collégiale, mais a rejeté les conclusions dirigées contre les autres mesures. La requérante a interjeté appel de ce rejet. Le juge d’appel devait donc déterminer si le jugement de première instance était régulier, puis, le cas échéant, apprécier la légalité des mesures d’éloignement contestées. La cour annule le jugement pour irrégularité en raison d’une omission de statuer, puis, statuant par la voie de l’évocation, rejette au fond l’ensemble des prétentions de la requérante, confirmant ainsi la validité des décisions préfectorales. L’arrêt illustre ainsi le contrôle rigoureux du juge d’appel sur le respect des obligations de motivation par les premiers juges, avant de procéder à une application stricte des conditions de séjour et d’éloignement des étrangers.
I. La censure d’un jugement vicié par une omission de statuer
La cour administrative d’appel, avant tout examen au fond, s’attache à vérifier la régularité du jugement qui lui est déféré. Elle identifie une carence dans le raisonnement du premier juge qui justifie l’annulation de la décision (A), ce qui la conduit logiquement à user de son pouvoir d’évocation pour juger l’affaire au fond (B).
A. L’obligation pour le juge de répondre à tous les moyens opérants
Le juge administratif a l’obligation de répondre à l’ensemble des moyens soulevés par les parties, à moins que ceux-ci ne soient manifestement inopérants. En l’espèce, la cour relève que la requérante avait excipé de l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire en arguant que la décision de refus de titre de séjour était entachée d’une « erreur manifeste d’appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ». Or, le premier juge n’a pas examiné cet argument dans sa globalité, se contentant de répondre à une branche plus spécifique du moyen relative à la dispense de visa de long séjour. La cour en conclut que « en s’abstenant de se prononcer sur ce moyen soulevé par la requérante, qui n’était pas inopérant, le premier juge a entaché d’irrégularité son jugement ». Cette censure rappelle l’exigence d’un dialogue complet entre le juge et le justiciable, garantissant que chaque argument pertinent soit entendu et pris en considération dans la motivation de la décision. L’omission de statuer constitue ainsi une violation des règles fondamentales du procès équitable, justifiant l’annulation du jugement, même partielle. La cour démontre ici son rôle de gardien de la bonne administration de la justice et du respect scrupuleux des devoirs qui incombent aux juridictions inférieures.
B. La mise en œuvre du pouvoir d’évocation pour une bonne administration de la justice
Une fois l’irrégularité constatée et le jugement annulé sur le point litigieux, la cour administrative d’appel aurait pu renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif. Elle choisit cependant de recourir à son pouvoir d’évocation, lui permettant de statuer directement sur les conclusions présentées en première instance. Cette technique processuelle, qui vise à accélérer le traitement des litiges et à éviter des allers-retours préjudiciables à une bonne administration de la justice, est particulièrement opportune en contentieux des étrangers où les situations personnelles peuvent être précaires. En décidant de « se prononcer immédiatement par la voie de l’évocation sur la demande de Mme D… tendant à l’annulation de l’obligation de quitter le territoire français », la cour passe d’un contrôle de la régularité du jugement à un examen complet de la légalité de l’acte administratif. Elle se substitue ainsi au premier juge défaillant pour trancher elle-même le fond du litige, ce qui la conduit à une analyse approfondie de la situation de la requérante et des justifications des mesures prises à son encontre.
II. La confirmation de la légalité des mesures d’éloignement
Statuant au fond, la cour procède à un examen détaillé de la légalité de l’obligation de quitter le territoire, en appréciant d’abord les arguments dirigés contre le refus de séjour (A), puis en validant la chaîne de décisions qui en découle (B).
A. L’appréciation restrictive des conditions de séjour
La cour examine successivement les différents fondements invoqués par la requérante pour l’obtention d’un titre de séjour. Concernant la demande au titre d’« étudiant », elle relève que l’intéressée, après plusieurs réorientations, suivait une formation qui « ne relève pas des études supérieures », justifiant ainsi l’exigence par le préfet d’un visa de long séjour dont elle était dépourvue. S’agissant des liens personnels et familiaux, le juge procède à un bilan concret et circonstancié. Il constate que si une partie de sa proche famille réside en France, la requérante « ne séjourne sur le territoire français que depuis environ cinq ans et demi, alors qu’elle a vécu seize années en Albanie où elle ne peut être dépourvue de toute attache personnelle ». De plus, son insertion dans la société française est jugée insuffisante. Cette analyse conduit la cour à écarter toute atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La décision illustre une application classique de la méthode du bilan, où la durée et les conditions de séjour, l’intensité des liens tissés en France et ceux conservés dans le pays d’origine sont pesés au regard des motifs de la décision administrative.
B. La validation en cascade des décisions subséquentes
La légalité de l’obligation de quitter le territoire français étant établie, la cour en tire les conséquences logiques pour l’ensemble des autres mesures contestées. Le moyen tiré de l’exception d’illégalité de l’OQTF, soulevé contre le refus de délai de départ volontaire, la décision fixant le pays de destination et l’interdiction de retour sur le territoire, est systématiquement écarté. La cour valide également le bien-fondé de l’interdiction de retour d’un an en soulignant que la requérante « n’a pas exécuté une obligation de quitter le territoire français de la préfète de l’Allier du 17 décembre 2019 », ce qui caractérise une forme de non-coopération justifiant une telle mesure. Enfin, concernant l’assignation à résidence, le juge confirme que l’éloignement de l’intéressée demeurait une « perspective raisonnable » et que les modalités de contrôle fixées par le préfet n’étaient pas entachées d’erreur d’appréciation. Cet enchaînement démontre comment, en contentieux des étrangers, la légalité d’une décision principale, ici l’OQTF, conditionne très souvent le sort des mesures qui l’accompagnent ou en découlent.