Cour d’appel administrative de Lyon, le 20 février 2025, n°24LY01956

Par un arrêt en date du 20 février 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la légalité d’une décision préfectorale refusant une protection contre l’éloignement pour raisons médicales, assortie d’une obligation de quitter le territoire français et d’une interdiction de retour. Une ressortissante étrangère, dont la demande d’asile avait été antérieurement rejetée, a sollicité un titre de séjour en invoquant son état de santé. Face au refus de l’administration, confirmé en première instance par le tribunal administratif de Grenoble le 10 juin 2024, l’intéressée a interjeté appel. Elle soutenait que la décision contestée méconnaissait les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives à l’admission au séjour pour soins, ainsi que les articles 3 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Se posait alors la question de savoir si un état de santé ne présentant pas de risque d’une exceptionnelle gravité en cas de défaut de prise en charge, combiné à une intégration limitée en France, faisait obstacle à une mesure d’éloignement. La cour administrative d’appel y répond par la négative, en rejetant l’ensemble des moyens soulevés par la requérante. La décision s’articule autour d’une vérification rigoureuse des conditions légales d’octroi de la protection pour raisons de santé (I), conditionnant la validation des mesures d’éloignement qui en découlent (II).

I. L’application stricte des critères de protection de l’étranger malade

La cour administrative d’appel examine en premier lieu le bien-fondé du refus de titre de séjour au regard des exigences posées par le droit au séjour pour raisons médicales. Elle s’en tient à une interprétation rigoureuse de la gravité de l’état de santé (A), ce qui la conduit à écarter l’application du régime de protection spécifique (B).

A. L’appréciation de la gravité de l’état de santé

Le juge administratif rappelle que la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est subordonnée à la condition que l’état de santé de l’étranger nécessite une prise en charge médicale « dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité ». Pour évaluer cette condition, la loi prévoit l’avis d’un collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. En l’espèce, cet avis, en date du 19 octobre 2023, avait conclu que le défaut de prise en charge « ne devrait pas entraîner de conséquences d’une exceptionnelle gravité ». Le juge administratif, tout en exerçant son propre contrôle, accorde un poids déterminant à cette expertise médicale. Il relève que la requérante, qui souffre de douleurs chroniques et d’une insuffisance veineuse, « n’apporte aucune précision, ni justificatif, tendant à établir que les défauts de suivi et de traitement auraient des conséquences d’une exceptionnelle gravité ». Le certificat médical produit est même utilisé pour minimiser la pathologie, en soulignant que « l’insuffisance veineuse est superficielle ». Cette démarche illustre que la charge de la preuve d’une situation médicale d’une gravité exceptionnelle pèse entièrement sur le demandeur et que, sans éléments probants contraires, l’avis du collège de médecins fonde solidement la décision de l’administration.

B. Le rejet de la protection en l’absence de gravité exceptionnelle

Dès lors que la condition tenant à l’exceptionnelle gravité n’est pas remplie, le moyen tiré de la violation de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne peut qu’être écarté. La cour opère une déduction logique et confirme la légalité du refus de séjour sur ce fondement. Le raisonnement est étendu au grief fondé sur l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants. En écartant ce moyen « pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 4 », la cour considère que le seuil de gravité requis pour qu’un renvoi emporte violation de l’article 3 en raison de l’état de santé n’est pas atteint. L’absence de conséquences d’une exceptionnelle gravité exclut ainsi non seulement le droit au séjour mais également l’existence d’un traitement inhumain ou dégradant du seul fait de l’éloignement vers un pays où la prise en charge médicale serait potentiellement différente.

Une fois la question de la protection spécifique pour raisons de santé écartée, il appartenait à la cour de vérifier si les mesures d’éloignement ne portaient pas une atteinte excessive à d’autres droits fondamentaux de la requérante.

II. La validation conséquente des mesures d’éloignement

La cour administrative d’appel, ayant écarté le bénéfice d’une protection de plein droit, procède à un contrôle de proportionnalité classique pour valider l’obligation de quitter le territoire (A) et confirme la régularité de l’interdiction de retour qui l’accompagne (B).

A. Le contrôle de proportionnalité de l’atteinte à la vie privée et familiale

La requérante invoquait une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour effectue une balance entre l’intérêt général, qui commande l’exécution des décisions d’éloignement, et la situation personnelle de l’intéressée. Plusieurs éléments sont pesés pour conclure à l’absence d’atteinte disproportionnée. Le juge note la durée de séjour relativement brève en France, « un peu plus de quatre ans et demi », opposée à quarante-huit années de vie en Russie, pays où elle « ne peut être dépourvue de toute attache personnelle ». L’absence « d’aucune insertion dans la société française » et la situation administrative similaire de son concubin, lui-même visé par une mesure d’éloignement, sont également prises en compte. L’ensemble de ces circonstances conduit la cour à estimer que la décision du préfet « n’a pas, en rejetant sa demande et en décidant son éloignement, porté au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels l’arrêté a été pris ».

B. La légalité confirmée de l’interdiction de retour

Enfin, l’arrêt se penche sur la légalité de l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de deux ans. La cour examine successivement la suffisance de la motivation et l’erreur d’appréciation. Sur la motivation, elle juge que la décision est suffisamment fondée dès lors qu’elle vise les textes applicables et mentionne les éléments concrets de la situation de l’intéressée, notamment « la durée de sa présence », son absence « d’attaches familiales ou personnelles en France, hormis son concubin », et le fait qu’elle « s’est soustraite » à une précédente mesure d’éloignement. Sur le fond, la cour écarte le moyen tiré de l’erreur d’appréciation « pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6 », reliant la proportionnalité de la durée de l’interdiction à l’analyse déjà menée au titre de l’article 8 de la convention. La durée de deux ans n’est donc pas jugée excessive au regard de la situation personnelle et du comportement antérieur de la requérante. L’ensemble des décisions préfectorales est ainsi validé, la cour rejetant la requête dans sa totalité.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture