Par un arrêt en date du 20 février 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus de renouvellement de titre de séjour opposé au parent d’un enfant français, lorsque la présence de ce dernier est considérée comme une menace pour l’ordre public. En l’espèce, un ressortissant étranger, présent en France de manière intermittente et père d’un enfant de nationalité française, a sollicité le renouvellement de son titre de séjour. Faisant suite à une plainte pour violences volontaires déposée par son épouse, le préfet de la Haute-Savoie a, par un arrêté du 2 mars 2024, refusé de lui délivrer ce titre, a assorti sa décision d’une obligation de quitter le territoire français sans délai et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix ans. Le ressortissant a saisi le tribunal administratif de Grenoble, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 18 juin 2024. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Lyon, arguant notamment d’une erreur d’appréciation sur la menace à l’ordre public et d’une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Se posait dès lors la question de savoir si un passif pénal particulièrement chargé, marqué par la réitération de faits délictueux graves, suffisait à caractériser une menace actuelle à l’ordre public justifiant un refus de séjour et des mesures d’éloignement d’une sévérité maximale, nonobstant l’existence d’attaches familiales en France. La Cour administrative d’appel de Lyon a répondu par l’affirmative en rejetant la requête. Elle estime que l’accumulation d’infractions pénales, leur nature et leur persistance dans le temps suffisent à établir une menace grave pour l’ordre public, laquelle fait légalement obstacle au renouvellement du titre de séjour et justifie tant le départ sans délai du territoire que la durée de l’interdiction de retour prononcée par l’autorité préfectorale.
La solution retenue par la Cour administrative d’appel de Lyon s’articule autour de la notion de menace à l’ordre public, dont elle admet une appréciation extensive justifiant le refus de séjour (I), avant de valider les conséquences rigoristes qui en découlent en matière d’éloignement (II).
I. La consécration d’une menace à l’ordre public justifiant le refus de séjour
L’arrêt confirme que la menace à l’ordre public constitue un motif autonome et prépondérant pour refuser le renouvellement d’un titre de séjour, même lorsque celui-ci est sollicité sur le fondement de la parentalité d’un enfant français. La Cour valide ainsi la caractérisation extensive de cette menace par l’administration (A) et affirme sa primauté sur le droit au séjour de l’étranger (B).
A. La caractérisation extensive de la menace à l’ordre public
La Cour administrative d’appel opère une analyse concrète et particulièrement détaillée du comportement de l’intéressé pour asseoir la légalité de la décision préfectorale. Elle ne se contente pas de relever l’existence de condamnations pénales, mais en souligne la multiplicité, la diversité et l’échelonnement dans le temps pour établir la persistance du danger que représente l’individu pour la société. L’arrêt énumère ainsi un lourd passif judiciaire, relevant que le requérant « cumule les infractions pénales », citant des faits d’aide au séjour irrégulier, de vol, de trafic de stupéfiants, et surtout de multiples violences conjugales, dont certaines commises en récidive et en violation d’une mesure de contrôle judiciaire. Cette énumération factuelle et exhaustive permet au juge de conclure à l’existence d’une menace actuelle, et non simplement passée. En écartant l’argument du requérant qui soutenait l’absence de menace actuelle, la Cour considère que la répétition des infractions et le mépris manifeste pour les décisions de justice antérieures, y compris une interdiction du territoire, sont des éléments déterminants pour apprécier le comportement présent et futur de l’individu.
B. La primauté de l’ordre public sur le droit au séjour
Une fois la menace à l’ordre public solidement établie, la Cour en tire les conséquences logiques sur le droit au séjour de l’intéressé. Elle rappelle que la circonstance que la présence d’un étranger constitue une menace pour l’ordre public fait légalement obstacle, en vertu de l’article L. 412-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à la délivrance ou au renouvellement d’un titre de séjour. Cette disposition prime sur les conditions de délivrance de plein droit du titre sollicité. Le juge prend également soin de vérifier si le requérant remplit les conditions de l’article L. 423-7 du même code, qui prévoit la délivrance d’une carte de séjour au parent d’un enfant français qui contribue à son entretien et à son éducation. Il constate que le requérant « ne démontre pas subvenir de manière régulière à l’éducation et l’entretien de son fils de nationalité française ». Ce faisant, la Cour établit que le titre de séjour n’était de toute façon pas de droit, ce qui prive d’effet le moyen tiré du défaut de saisine de la commission du titre de séjour. La menace à l’ordre public apparaît alors comme un motif surabondant mais essentiel, qui justifie à lui seul la décision de refus et emporte la conviction des juges lorsqu’ils procèdent au bilan entre l’atteinte à la vie privée et familiale du requérant et la défense de l’ordre public.
La validation du refus de séjour fondé sur une menace aussi clairement définie emporte l’approbation par le juge des mesures complémentaires d’éloignement, qui sont appréciées à l’aune de la même gravité.
II. La validation des conséquences rigoristes de la mesure d’éloignement
L’arrêt ne se limite pas à confirmer la légalité du refus de titre de séjour ; il valide également la sévérité des mesures qui l’accompagnent. La Cour juge ainsi que le préfet était fondé à refuser un délai de départ volontaire (A) et à prononcer une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée maximale (B).
A. La justification du départ sans délai
La Cour écarte avec fermeté le moyen du requérant contestant le refus de lui accorder un délai de départ volontaire. Pour ce faire, elle s’appuie sur deux des cas prévus par l’article L. 612-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. D’une part, elle réaffirme que « le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public », motif suffisant pour justifier un départ immédiat. D’autre part, et de manière complémentaire, elle relève un élément factuel déterminant, tiré d’un procès-verbal de police du 2 mars 2024, dans lequel l’intéressé « a indiqué (…) qu’il refusait de regagner le Kosovo ». Cet élément matérialise le risque de soustraction à l’exécution de la mesure d’éloignement, autre motif prévu par la loi pour refuser un délai de départ. En combinant ces deux justifications, la Cour adopte une lecture stricte des textes qui laisse peu de marge d’appréciation à l’administration face à un individu jugé dangereux et peu coopératif, confirmant que la fermeté est de mise en pareilles circonstances.
B. La proportionnalité de l’interdiction maximale de retour
L’aspect le plus sévère de la décision préfectorale résidait dans l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de dix ans, soit le maximum prévu par la loi en cas de menace grave pour l’ordre public. La Cour contrôle avec soin la motivation de cette mesure au regard des critères de l’article L. 612-10 du code. Elle relève que la décision du préfet « vise les articles L. 612-6 et L. 612-10 » et fait état des éléments concrets de la situation de l’intéressé. La motivation mentionne la durée de présence, l’absence d’attaches réelles en France hormis une famille fragilisée par ses propres agissements, et surtout, la gravité de la menace constituée par son passif pénal. La Cour estime que ces éléments sont suffisants et que la décision n’est entachée ni d’insuffisance de motivation, ni de défaut d’examen particulier. En jugeant la durée de dix ans proportionnée à la gravité de la menace, elle confirme la large latitude dont dispose l’administration pour moduler la durée de l’interdiction de retour. Cet arrêt illustre ainsi que, face à un profil jugé particulièrement problématique, le juge administratif n’hésite pas à valider les mesures les plus rigoureuses du droit des étrangers, considérant que la protection de la société l’emporte sur la situation personnelle de l’individu.