En droit des étrangers, l’appréciation de la légalité d’un refus de titre de séjour constitue une source de contentieux abondant, particulièrement lorsque la situation personnelle et familiale de l’intéressé évolue au cours de la procédure. Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 20 février 2025 illustre avec rigueur la méthodologie suivie par le juge administratif dans de telles circonstances.
Un ressortissant algérien, entré sur le territoire français sans visa de long séjour, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour. Au moment de sa demande, il faisait valoir des liens familiaux en France, étant marié à une ressortissante française et entretenant des relations avec les enfants de son épouse issus d’une précédente union. Postérieurement à la décision de l’administration, un enfant est né de son union avec sa conjointe. Le préfet des Bouches-du-Rhône a, par un arrêté du 16 mai 2023, refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de renvoi. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Lyon, qui a rejeté sa demande par un jugement du 4 juin 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, en produisant de nouvelles pièces, notamment l’acte de naissance de son enfant. Il soutenait que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, et méconnaissait l’intérêt supérieur de son enfant.
Il revenait ainsi au juge d’appel de déterminer si des éléments de fait postérieurs à une décision administrative, en l’espèce la naissance d’un enfant, peuvent être utilement invoqués pour contester la légalité de cette décision au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant.
La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de son édiction. Elle juge par conséquent que la naissance de l’enfant du requérant, survenue après l’arrêté préfectoral contesté, constitue un fait « inopérant » pour en contester la légalité. Elle écarte également les autres moyens en confirmant l’appréciation des premiers juges.
La décision de la cour réaffirme avec constance le principe de la cristallisation des moyens à la date de la décision attaquée (I), conduisant à une neutralisation procédurale des éléments nouveaux affectant la vie familiale du requérant (II).
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I. La réaffirmation du cadre temporel de l’appréciation de la légalité
La cour administrative d’appel, en confirmant le jugement de première instance, applique sans équivoque un principe cardinal du contentieux administratif de l’excès de pouvoir. Elle rappelle que le contrôle du juge se place à la date à laquelle l’administration a statué (A), ce qui rend par nature inopérants les changements de circonstances postérieurs à cette date (B).
A. Le principe de l’appréciation de la légalité à la date de l’acte
Le raisonnement du juge administratif repose sur une règle bien établie selon laquelle la légalité d’une décision administrative s’évalue au regard des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de sa signature. Ce principe garantit la sécurité juridique et la cohérence de l’action administrative, l’autorité compétente ne pouvant se voir reprocher d’avoir méconnu des faits qui n’existaient pas encore ou dont elle n’avait pas connaissance. L’arrêt commenté applique cette orthodoxie juridique avec une grande rigueur, sans examiner au fond l’impact de la naissance sur la situation du requérant.
La cour écarte ainsi l’acte de naissance de l’enfant produit en appel, le qualifiant d’élément nouveau survenu « postérieurement à la date d’édiction de l’arrêté en litige ». Cette approche méthodologique est classique en recours pour excès de pouvoir, où le juge contrôle la validité de l’acte au moment de son émission. La solution aurait pu être différente dans le cadre d’un contentieux de pleine juridiction, où le juge statue en fonction des circonstances existantes à la date de sa propre décision. Toutefois, en matière de police des étrangers, le recours contre un refus de séjour est un recours de légalité.
B. Le caractère inopérant des changements de circonstances de fait
La conséquence directe de ce principe est de rendre « inopérant » tout moyen fondé sur une circonstance factuelle nouvelle. Le terme choisi par la cour n’est pas anodin ; il signifie que l’argument n’est pas simplement rejeté comme mal fondé, mais qu’il n’est même pas apte à être discuté dans le cadre du débat contentieux portant sur la légalité de la décision initiale. La naissance de l’enfant, bien que constituant un bouleversement majeur de la vie familiale du requérant, est ainsi juridiquement neutralisée dans cette instance.
Cette solution ne prive pas l’administré de tout droit. En effet, la circonstance nouvelle peut et doit être utilisée à l’appui d’une nouvelle demande de titre de séjour auprès de l’administration préfectorale. Si celle-ci venait à opposer un nouveau refus, le juge administratif pourrait alors être saisi et se prononcerait cette fois en prenant en compte l’ensemble des éléments de la vie familiale, incluant la présence de l’enfant. L’arrêt illustre donc parfaitement la distinction entre l’office du juge de l’excès de pouvoir et la possibilité pour l’administré de faire valoir l’évolution de sa situation dans une procédure ultérieure.
II. Une application rigoureuse aux droits fondamentaux du requérant
La cour ne se contente pas de poser un principe procédural, elle l’applique de manière stricte à l’ensemble des arguments du requérant tirés de ses liens familiaux. Elle estime que les liens préexistants à la décision étaient insuffisamment établis (A) et que l’intérêt supérieur de l’enfant, par la force des choses, ne pouvait être pris en compte (B).
A. L’appréciation restrictive des liens familiaux préexistants
Avant d’écarter la naissance de l’enfant comme un fait inopérant, la cour examine les liens personnels et familiaux du requérant existant au jour de la décision préfectorale. Elle écarte d’une part les photographies produites pour attester des liens avec les enfants de son épouse, les jugeant d’un « caractère insuffisamment probant ». D’autre part, pour le surplus des moyens, elle confirme l’analyse du tribunal administratif par adoption de ses motifs.
Cette démarche montre que, même en se plaçant à la date de la décision, le juge a estimé que le préfet n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation ni porté une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale, tel que garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et l’article 6, paragraphe 5, de l’accord franco-algérien. L’illégalité n’étant pas constituée sur la base des faits initiaux, la circonstance nouvelle ne pouvait, à plus forte raison, la révéler rétroactivement.
B. La neutralisation de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant
L’argument le plus sensible soulevé par le requérant concernait la violation de l’article 3, paragraphe 1, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Cette stipulation impose que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une « considération primordiale » dans toutes les décisions le concernant. Or, la cour applique le même raisonnement temporel pour écarter cet argument.
Logiquement, si l’enfant n’était pas né à la date de la décision, son intérêt supérieur ne pouvait être une considération pour le préfet. La décision attaquée ne « concernait » pas un enfant qui n’existait pas encore. L’arrêt démontre ainsi que la protection, aussi fondamentale soit-elle, de l’intérêt supérieur de l’enfant, ne peut être invoquée pour contester la légalité d’une décision administrative prise avant même la naissance de cet enfant. Cette solution, bien que rigoureuse sur le plan juridique, met en lumière la tension entre la temporalité du contentieux administratif et la réalité évolutive des situations humaines.