Cour d’appel administrative de Lyon, le 20 mars 2025, n°23LY01663

Un patient, agent technique territorial, a subi en octobre 2006 une intervention chirurgicale consistant en une laminectomie cervicale au sein d’un établissement public hospitalier. Se plaignant de douleurs invalidantes consécutives à cette opération, il a recherché la responsabilité de l’établissement. Par un jugement du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande indemnitaire. Le requérant a interjeté appel de cette décision, augmentant par ailleurs le montant de ses prétentions indemnitaires, tandis que son employeur public et la caisse de retraite des agents des collectivités locales sont intervenus à l’instance pour demander le remboursement des prestations versées. Par la décision commentée, la cour administrative d’appel annule le jugement de première instance pour un vice de procédure, tenant à l’omission de mise en cause des tiers payeurs, et statue au fond par la voie de l’évocation.

Saisie de l’entier litige, la cour devait se prononcer sur l’existence d’une faute de l’établissement hospitalier, que ce soit dans la réalisation de l’acte médical ou dans l’information préalable du patient. En cas de responsabilité avérée, il lui incombait ensuite de déterminer la nature et l’étendue des préjudices indemnisables, en distinguant notamment la réparation consécutive à la perte d’une chance de se soustraire au risque et celle du préjudice moral spécifique d’impréparation, tout en statuant sur les recours subrogatoires des tiers payeurs. La cour administrative d’appel retient la responsabilité pour faute de l’établissement hospitalier en raison d’un manquement à son obligation d’information, tout en écartant toute faute dans la réalisation de l’acte chirurgical. Elle procède à l’indemnisation des préjudices en appliquant un taux de perte de chance, auquel s’ajoute une réparation distincte au titre du préjudice d’impréparation, et statue sur les demandes des tiers payeurs en opérant un contrôle strict du lien de causalité.

La décision illustre ainsi la dualité de l’appréciation de la responsabilité médicale, en distinguant rigoureusement la faute technique de celle liée à l’information (I), pour en tirer ensuite des conséquences précises sur la méthode de réparation des dommages et la répartition de leur charge (II).

I. La dissociation de la faute technique et du manquement au devoir d’information

La cour examine de manière distincte la responsabilité de l’établissement sous l’angle de l’acte chirurgical lui-même et sous celui de l’information délivrée au patient. Si elle écarte toute faute dans la réalisation de l’intervention (A), elle retient la responsabilité de l’hôpital pour avoir manqué à son devoir d’information sur les risques inhérents à l’opération (B).

A. L’absence de faute dans l’indication et la réalisation de l’acte médical

Le juge administratif rappelle d’abord que la responsabilité d’un établissement public de santé ne peut être engagée, en dehors d’un défaut d’un produit de santé, qu’en cas de faute prouvée dans l’organisation ou le fonctionnement du service. En l’espèce, le requérant mettait en cause tant la justification de l’intervention que sa conformité aux règles de l’art. La cour, s’appuyant sur les éléments du dossier et le rapport d’expertise, considère que l’opération, bien que non urgente, était justifiée par un objectif préventif visant à « éviter une dégradation de l’état neurologique » du patient. Elle estime ainsi que l’intervention « ne peut pas être regardée comme dépourvue de nécessité ».

Par ailleurs, la cour constate que l’expertise a conclu que « la technique de laminectomie cervicale est conforme aux règles de l’art » et n’a relevé « aucun manquement dans les conditions de réalisation de cette intervention ». Le juge écarte ainsi toute faute technique dans la conduite de l’acte médical. Il précise également que l’incapacité de l’établissement à communiquer l’intégralité du dossier médical ne suffit pas, à elle seule, à établir l’existence d’une faute dans la prise en charge. Cette position confirme une jurisprudence constante qui refuse de faire de la perte du dossier une présomption de faute, mais enjoint au juge de tenir compte de cette circonstance dans son appréciation globale des preuves qui lui sont soumises.

B. La caractérisation d’une faute résultant du défaut d’information

Si aucune faute technique n’est retenue, la cour engage cependant la responsabilité de l’établissement sur un autre terrain. Conformément aux dispositions de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique, tout patient doit être informé des risques fréquents ou graves normalement prévisibles que comporte une intervention. Or, il ressort de l’instruction que si l’acte médical était prévu, le patient n’a pas été spécifiquement averti de certains risques. La cour relève en effet que le requérant « n’a pas été informé des risques que comportait l’intervention, en particulier du risque de douleurs cervico-bracchiales post-opératoires ».

Ce manquement à l’obligation d’information constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement, dès lors que le risque omis s’est réalisé. La cour souligne que l’intervention n’était « pas urgente ni impérieusement requise », ce qui renforce l’exigence d’une information complète pour permettre au patient de donner un consentement véritablement éclairé. Cette solution classique réaffirme que le consentement ne saurait se limiter à l’acceptation du principe de l’intervention, mais doit porter sur ses modalités et ses risques connus, la qualité de l’information étant une condition essentielle du respect de l’autonomie du patient.

II. La réparation différenciée des conséquences du défaut d’information

Une fois la faute établie, la cour se livre à une évaluation détaillée des préjudices qui en découlent. Elle combine l’indemnisation d’une perte de chance d’échapper au dommage (A) avec celle, autonome, du préjudice d’impréparation, tout en examinant avec rigueur les recours des tiers payeurs (B).

A. La réparation du dommage corporel par l’indemnisation d’une perte de chance

La conséquence directe du manquement au devoir d’information est que le patient a été privé de la possibilité de refuser l’intervention en connaissance de cause. La réparation ne porte donc pas sur l’intégralité du dommage corporel, mais sur la perte de la chance d’échapper au risque qui s’est réalisé. Le juge évalue souverainement cette perte de chance en fonction des circonstances de l’espèce, notamment de l’état de santé du patient et des alternatives thérapeutiques. En l’occurrence, la cour fixe le « taux de perte de chance d’échapper aux conséquences dommageables de cette intervention » à 30 %.

Ce pourcentage est ensuite appliqué à l’ensemble des postes de préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux reconnus comme étant en lien direct avec la réalisation du risque non signalé. Ainsi, les indemnités allouées au titre de l’incidence professionnelle, du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent sont calculées sur la base de l’évaluation de chaque préjudice, puis réduites à hauteur de 30 %. Cette méthode, bien établie, permet d’ajuster la réparation à la nature même du préjudice subi, qui n’est pas le dommage lui-même mais la disparition d’une éventualité favorable.

B. L’indemnisation autonome du préjudice d’impréparation et le traitement des recours des tiers payeurs

La cour distingue nettement la perte de chance du préjudice d’impréparation. Suivant une jurisprudence désormais bien ancrée, elle reconnaît qu’« indépendamment de la perte d’une chance de refuser l’intervention », le défaut d’information cause au patient un préjudice moral autonome du fait de ne pas avoir pu « se préparer à cette éventualité ». Ce préjudice, qui consiste en la souffrance morale de découvrir les conséquences de l’intervention sans y avoir été préparé, est présumé et indemnisé en tant que tel. La cour lui alloue une somme de 1 000 euros, sans lui appliquer le taux de perte de chance de 30 %, soulignant ainsi sa nature particulière et son autonomie par rapport au dommage corporel.

Enfin, la décision se prononce sur les recours subrogatoires de la collectivité employeur et de la caisse de retraite. Le juge opère un contrôle strict et concret du lien de causalité direct entre la faute et les dépenses dont le remboursement est demandé. Il n’admet que le remboursement des salaires versés pendant le congé maladie ordinaire immédiatement consécutif à l’intervention de 2006, en lui appliquant le taux de perte de chance. En revanche, il rejette les demandes relatives à un congé de longue maladie débutant dix ans plus tard et à la mise en retraite pour invalidité, au motif que le lien de causalité avec la faute commise en 2006 n’est pas établi. Cette approche rigoureuse illustre la volonté du juge de ne faire supporter au responsable que les charges qui sont la conséquence directe et certaine de sa faute.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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