Par un arrêt en date du 22 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a précisé l’étendue du droit à réparation d’un agent public à la suite de l’annulation contentieuse d’une décision de mutation. En l’espèce, un agent de maîtrise principal a fait l’objet d’un premier arrêté de mutation en date du 21 octobre 2014. Cette décision fut annulée par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand le 5 novembre 2015, avant que ce jugement ne soit lui-même annulé par la cour administrative d’appel le 11 janvier 2018. Entre-temps, l’administration avait pris un second arrêté de mutation le 14 avril 2016 afin de régulariser la situation de l’agent. Ce second acte fut également annulé par un jugement du tribunal administratif du 11 juillet 2017, cette fois sur le fondement d’une erreur de fait, et cette annulation est devenue définitive. L’agent, placé en congé de maladie à compter du 28 octobre 2014, soit avant même la prise d’effet de la première mutation, puis en congé de longue durée et enfin admis à la retraite pour invalidité, n’a jamais rejoint sa nouvelle affectation. Ayant vu sa demande d’indemnisation des préjudices subis rejetée par l’administration puis par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, il a interjeté appel.
Il appartenait ainsi aux juges d’appel de déterminer dans quelle mesure l’annulation d’une décision de mutation, dans un contexte procédural complexe marqué par la réapparition d’un acte antérieur, ouvre droit à réparation pour un agent qui n’a jamais exercé les fonctions auxquelles il était affecté en raison de son état de santé.
La Cour administrative d’appel de Lyon, annulant le jugement de première instance, ne reconnaît que très partiellement le droit à indemnisation de l’agent. Elle juge que la responsabilité de l’administration ne peut être engagée qu’à raison de l’illégalité fautive du second arrêté de mutation, et ce uniquement pour la période courant à compter de sa prise d’effet. Par conséquent, la cour écarte la plupart des préjudices financiers invoqués, faute d’un lien de causalité direct avec cette illégalité, mais admet une réparation limitée à la perte d’une chance sérieuse de percevoir la nouvelle bonification indiciaire durant une période de congé de maladie ordinaire.
I. Une appréciation restrictive de l’étendue de la responsabilité administrative
La cour procède à une analyse rigoureuse pour circonscrire la faute de l’administration dans le temps (A) avant d’en déduire une application stricte de l’exigence d’un lien de causalité pour évaluer les préjudices (B).
A. Une délimitation temporelle rigoureuse de la faute de l’administration
La principale difficulté de l’affaire résidait dans l’enchevêtrement de décisions administratives et juridictionnelles successives. L’agent soutenait que l’illégalité de sa mutation devait être appréciée dès la première décision du 21 octobre 2014. Toutefois, la cour écarte ce raisonnement en s’appuyant sur les effets de l’instance d’appel. Elle relève en effet que l’annulation du jugement qui avait lui-même annulé le premier arrêté de mutation a eu pour conséquence de restaurer la validité de cet acte initial. La cour énonce ainsi que l’annulation du jugement de première instance « a fait revivre dans l’ordonnancement juridique ce premier arrêté ». Il en résulte que l’administration n’a commis aucune faute pour la période allant du 1er novembre 2014 au 14 février 2016, puisque la situation de l’agent était régie par une décision devenue légalement inattaquable.
La seule illégalité fautive imputable à l’administration découle donc de l’arrêté du 14 avril 2016, pris sur le fondement d’une erreur de fait et définitivement annulé. La responsabilité du département ne peut par conséquent être recherchée qu’à compter du 15 février 2016, date d’effet de cette seconde décision. Cette délimitation temporelle précise de la faute conditionne entièrement l’analyse des préjudices indemnisables, en réduisant considérablement la période durant laquelle un préjudice a pu naître de l’action illégale de l’administration.
B. Une application stricte du lien de causalité direct pour l’évaluation du préjudice
Fort de cette délimitation, le juge administratif examine chaque chef de préjudice à l’aune du lien de causalité direct qui doit l’unir à l’illégalité fautive de l’arrêté du 14 avril 2016. La cour rappelle la règle applicable en matière d’éviction irrégulière, selon laquelle l’indemnité doit compenser la perte de traitement ainsi que celle des primes dont l’agent avait une « chance sérieuse de bénéficier », à l’exclusion de celles liées à l’exercice effectif des fonctions. Appliquant ce principe, elle rejette la demande d’indemnisation au titre des astreintes non versées. Le juge souligne que l’agent, se trouvant en congé de maladie depuis le 28 octobre 2014, ne pouvait en aucun cas prétendre avoir accompli des astreintes et donc avoir perdu une chance sérieuse de les percevoir.
Le même raisonnement conduit au rejet de la demande relative au préjudice moral. La cour considère que l’agent n’établit pas que ce préjudice serait en lien direct avec l’illégalité de l’arrêté du 14 avril 2016, son placement en congé maladie étant bien antérieur. De même, la réclamation concernant une perte de prime annuelle est écartée, le requérant ne parvenant pas à démontrer que la modulation de cette prime serait liée à son changement d’affectation. Cette analyse rigoureuse du lien de causalité vide de sa substance une grande partie des prétentions de l’agent.
II. La confirmation des principes classiques de la réparation indemnitaire
Si la cour se montre stricte dans l’appréciation du lien de causalité, elle fait une application orthodoxe des règles relatives au maintien de certains avantages statutaires en cas de congé (A), aboutissant à une solution qui réaffirme la place centrale du préjudice direct, réel et certain dans le droit de la responsabilité (B).
A. Le maintien partiel de la nouvelle bonification indiciaire en congé de maladie
Le seul préjudice que la cour reconnaît est celui lié à la non-perception de la nouvelle bonification indiciaire (NBI). Pour y conclure, le juge se livre à une analyse détaillée du statut de cet avantage. Il relève que, selon l’article 2 du décret du 18 juin 1993, le bénéfice de la NBI est maintenu dans les mêmes proportions que le traitement durant les congés de maladie ordinaire. Or, il ressort des pièces du dossier que l’agent, placé dans cette position entre le 15 février 2016 et le 28 juillet 2016, n’a pas perçu la NBI à laquelle il avait droit. La cour considère donc qu’il a perdu une chance sérieuse de bénéficier de cet accessoire de traitement et évalue le préjudice à la somme de 191 euros, correspondant au montant de la NBI sur cette période.
Cependant, le juge refuse d’étendre cette indemnisation à la période postérieure au 28 juillet 2016, date à laquelle l’agent a été placé en congé de longue durée. La cour rappelle que la NBI « dépend seulement de l’exercice effectif des fonctions qui y ouvrent droit » et que le congé de longue durée n’implique l’exercice d’aucune fonction. Cette distinction illustre la logique indemnitaire qui prévaut : la réparation n’est due que pour la perte d’un avantage auquel l’agent aurait eu statutairement droit, et uniquement pendant la période où les conditions légales de son maintien étaient remplies.
B. La portée limitée de la réparation en l’absence de préjudices directement imputables
En définitive, cet arrêt illustre avec clarté que l’annulation d’un acte administratif, si elle constitue une faute, n’ouvre pas automatiquement droit à une réparation intégrale des préjudices allégués. La solution retenue confirme que la charge de la preuve d’un lien de causalité direct entre la faute et le dommage pèse entièrement sur le requérant. En l’espèce, la situation particulière de l’agent, placé en congé de maladie de manière continue, a neutralisé la quasi-totalité de ses préjudices financiers potentiels, ceux-ci n’étant pas imputables à la décision illégale mais à son état de santé qui le tenait éloigné du service.
La décision de la cour, bien que défavorable à l’agent sur le plan financier, apparaît ainsi comme une application orthodoxe et pédagogique des principes de la responsabilité administrative. Elle rappelle que le droit à réparation ne vise pas à sanctionner l’administration pour son illégalité, mais bien à compenser les conséquences dommageables directes de celle-ci. En l’absence de telles conséquences, ou lorsque leur lien avec la faute n’est pas établi, le juge ne peut que rejeter les demandes indemnitaires, même face à une illégalité avérée.