Cour d’appel administrative de Lyon, le 22 mai 2025, n°23LY01603

Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 22 mai 2025 offre une illustration de l’appréciation des conditions d’obtention d’un titre de séjour fondé sur la vie privée et familiale. En l’espèce, un ressortissant guinéen, entré en France de manière irrégulière en 2014, avait sollicité la délivrance d’un titre de séjour auprès de la préfecture du Puy-de-Dôme. Il se prévalait notamment de son mariage avec une ressortissante française célébré en janvier 2021, d’une communauté de vie initiée en mai 2019, ainsi que d’une formation professionnelle et d’une promesse d’embauche.

Par un arrêté du 21 décembre 2021, le préfet a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de sa destination. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a confirmé cette décision par un jugement du 6 avril 2023. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et méconnaissait les dispositions de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Il convenait donc pour les juges d’appel de déterminer si les éléments d’intégration personnels, familiaux et professionnels avancés par le requérant étaient de nature à rendre le refus de séjour de l’autorité préfectorale constitutif d’une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

La cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance. Elle a estimé que, malgré l’existence de certains liens en France, la décision préfectorale n’avait pas porté une atteinte excessive à la vie privée et familiale du requérant au regard des motifs justifiant le refus. Cette solution repose sur une analyse stricte des éléments constitutifs de l’intégration (I), qui vient consacrer le large pouvoir d’appréciation dont dispose l’administration en la matière (II).

***

I. La confirmation d’une appréciation rigoureuse des critères de la vie privée et familiale

La cour fonde sa décision sur une évaluation détaillée des liens de l’intéressé en France, en examinant successivement la consistance de ses attaches familiales puis celle de son insertion sociale et professionnelle. Il en ressort une application stricte des conditions légales, où la seule existence de liens familiaux est jugée insuffisante (A) et où la réalité de l’intégration professionnelle est relativisée (B).

A. L’insuffisance des liens familiaux récents

Les juges d’appel s’attachent à la solidité des liens familiaux invoqués par le requérant. Ils relèvent d’abord que « le mariage avec une ressortissante française le 18 janvier 2021 dont se prévaut l’intéressé était récent à la date de la décision en litige ». La cour prend soin d’ajouter que la communauté de vie, bien qu’ayant débuté en mai 2019, « durait depuis à peine un peu plus de deux ans et demi à la date de l’arrêté contesté ». Par cette analyse quantitative, la juridiction administrative signifie que l’ancienneté des liens constitue un critère déterminant de leur intensité.

Un mariage récent ne suffit donc pas à établir à lui seul une vie privée et familiale dont la rupture engendrerait une atteinte disproportionnée. Cette approche s’inscrit dans une jurisprudence constante qui vise à prévenir les détournements de procédure, tout en s’assurant de la stabilité et de l’effectivité des relations. La cour prend d’ailleurs note que la décision de refus de titre de séjour ne fait pas obstacle à ce que l’étranger sollicite un visa en qualité de conjoint de Française depuis son pays d’origine, rappelant ainsi l’existence d’une voie légale alternative.

B. La relativisation de l’insertion professionnelle

La cour examine ensuite les éléments relatifs à l’insertion professionnelle du requérant. Elle constate qu’il a obtenu deux certificats d’aptitude professionnelle et qu’il bénéficiait d’une promesse d’embauche en contrat à durée indéterminée de la part de son employeur à l’issue de sa formation. Cependant, la juridiction administrative conclut que « le requérant ne justifie pas, par ces seuls éléments, d’une insertion professionnelle ancienne et stable sur le territoire français ».

Cette appréciation montre que ni les diplômes obtenus en France ni une simple promesse d’embauche ne suffisent à caractériser une intégration professionnelle suffisamment forte pour faire obstacle à une mesure d’éloignement. La cour semble exiger la preuve d’une expérience professionnelle durable et effective, que le parcours du requérant ne démontrait pas à la date de la décision contestée. L’absence de justification de l’absence de liens dans son pays d’origine est également retenue pour conforter l’analyse, le préfet n’ayant commis aucune erreur de fait en soulignant ce point.

II. La consécration du large pouvoir d’appréciation de l’autorité préfectorale

En validant le raisonnement du préfet, l’arrêt illustre l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’administration dans la mise en balance des intérêts en présence. Ce pouvoir se manifeste à travers un contrôle juridictionnel restreint (A), qui confère à la décision une portée essentiellement limitée à l’espèce (B).

A. Le contrôle restreint sur la balance des intérêts

L’argument central du requérant reposait sur l’erreur manifeste d’appréciation qu’aurait commise le préfet en ne tenant pas compte de l’ensemble de sa situation. En rejetant ce moyen, la cour administrative d’appel exerce un contrôle restreint sur la décision administrative. Elle ne substitue pas sa propre appréciation à celle du préfet, mais vérifie seulement que celle-ci n’est pas entachée d’une erreur grossière ou que la balance entre la protection de la vie privée et familiale et les motifs du refus n’est pas manifestement déséquilibrée.

Dans le cas présent, la cour estime que la situation du requérant ne présentait pas un degré d’intégration tel que la décision de refus de séjour puisse être qualifiée de manifestement disproportionnée. La brièveté de la vie commune et le caractère non stabilisé de l’insertion professionnelle ont été des éléments suffisants pour que le juge considère que la décision préfectorale entrait dans le champ du pouvoir d’appréciation de l’administration. Cette retenue du juge administratif confirme le principe selon lequel il n’existe pas de droit automatique à la régularisation, même en présence d’éléments d’intégration sérieux.

B. Une solution d’espèce à la portée limitée

Cet arrêt doit être analysé comme une décision d’espèce, dont la solution est étroitement liée aux faits particuliers de la cause. Il ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni ne fixe une nouvelle ligne directrice en matière de droit au séjour pour vie privée et familiale. Il s’inscrit au contraire dans le courant jurisprudentiel traditionnel qui accorde une place prépondérante à l’appréciation souveraine du préfet, sous le contrôle de l’erreur manifeste.

La portée de cette décision est donc avant tout illustrative. Elle rappelle aux justiciables que l’appréciation de l’atteinte disproportionnée repose sur un faisceau d’indices, où l’ancienneté et la stabilité des liens l’emportent sur des éléments plus récents ou précaires. Pour le juge, la situation d’un étranger entré irrégulièrement et dont les principaux facteurs d’intégration sont récents ne suffit pas à priver l’administration de sa faculté de refuser l’octroi d’un titre de séjour, réaffirmant ainsi la prérogative de la puissance publique en matière de contrôle des flux migratoires.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture