Par un arrêt en date du 22 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour à un étranger anciennement confié à l’aide sociale à l’enfance et sur l’étendue du contrôle du juge administratif en la matière. En l’espèce, un ressortissant tunisien, entré en France en 2018 et pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, avait sollicité la délivrance d’un titre de séjour après sa majorité. Le préfet du Rhône a opposé un refus à sa demande, assorti d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de renvoi. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif de Lyon, qui a rejeté sa demande par un jugement du 4 avril 2023. L’intéressé a interjeté appel de ce jugement, soulevant d’une part l’irrégularité de la procédure de première instance pour méconnaissance du principe du contradictoire, et d’autre part, l’illégalité au fond du refus de séjour. Il se posait donc à la Cour la question de savoir si le juge de première instance avait respecté les exigences du débat contradictoire en communiquant tardivement un mémoire et en fixant la clôture de l’instruction au jour même de l’audience, et si le préfet avait commis une erreur d’appréciation en refusant le titre de séjour au regard de la situation personnelle et du parcours d’intégration du demandeur. La Cour administrative d’appel de Lyon rejette la requête, considérant la procédure comme régulière et le refus de séjour comme justifié. Elle estime que le requérant a disposé d’un délai suffisant pour répondre au mémoire tardif et que le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation au regard des différents fondements invoqués. L’arrêt illustre ainsi la latitude laissée au juge dans l’organisation de la procédure contentieuse (I), tout en confirmant la rigueur de l’appréciation portée sur les critères d’intégration conditionnant la régularisation des jeunes majeurs (II).
I. La consolidation des prérogatives du juge dans la conduite de l’instruction
La régularité de la procédure devant le juge administratif est un enjeu essentiel qui conditionne la validité de sa décision. En l’espèce, la Cour examine la manière dont le tribunal a géré la production de mémoires juste avant l’audience, ce qui l’amène à valider une gestion pragmatique des délais (A) tout en rappelant les limites du contrôle exercé sur l’opportunité de rouvrir l’instruction (B).
A. Une appréciation pragmatique du respect du principe du contradictoire
Le requérant soutenait que la communication du mémoire en défense la veille de l’audience, suivie d’une clôture d’instruction le jour même, avait porté atteinte au principe du contradictoire. La Cour écarte ce moyen en procédant à une analyse concrète des faits de la procédure. Elle relève que, malgré le délai très court, le requérant a été en mesure de produire une réponse avant la clôture. L’arrêt précise que « compte tenu de la teneur de ce mémoire, qui ne comprenait aucune pièce jointe, M. A… a, en l’espèce, disposé d’un délai suffisant pour en prendre connaissance et y répondre ». Cette approche factuelle démontre que le respect du contradictoire ne s’attache pas à un formalisme rigide des délais, mais à la possibilité effective pour une partie de faire valoir ses arguments. La Cour juge que la finalité de la procédure contradictoire a été atteinte, peu important la brièveté du temps imparti, dès lors que le droit de répliquer a pu matériellement s’exercer.
B. La confirmation du pouvoir discrétionnaire du juge face aux productions tardives
L’arrêt rappelle implicitement la mécanique de gestion des pièces produites après la clôture de l’instruction. Le juge administratif, face à une telle production, doit en prendre connaissance pour déterminer s’il y a lieu de rouvrir l’instruction. Si le premier juge a ici choisi de la rouvrir brièvement, la Cour valide cette méthode et souligne que le mémoire en réplique du requérant a bien été pris en compte, puisqu’il fut « visé et analysé ». En ne sanctionnant pas le fait que ce dernier mémoire n’ait pas été communiqué à la partie adverse, la Cour conforte l’idée que le juge est le seul maître de la clôture de l’instruction et de sa réouverture. Il dispose d’un pouvoir d’appréciation pour décider si un dernier échange est nécessaire à la résolution du litige, la finalité étant de juger l’affaire en ayant connaissance de l’ensemble des arguments pertinents, sans pour autant prolonger indéfiniment les débats.
Après avoir écarté les critiques portant sur la régularité du jugement, la Cour s’attache à examiner le fond du droit et la légalité des décisions préfectorales, se livrant à un contrôle rigoureux de l’appréciation des faits.
II. Le contrôle restreint sur l’appréciation des critères d’admission au séjour
Le cœur du litige portait sur le bien-fondé du refus de titre de séjour. La Cour opère un contrôle de l’appréciation du préfet sur deux terrains principaux, celui de l’intégration professionnelle et sociale du jeune majeur (A) et celui de son droit au respect de la vie privée et familiale (B), confirmant la marge d’appréciation laissée à l’administration.
A. L’exigence d’un parcours d’insertion réel et sérieux
Le requérant invoquait les dispositions de l’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, spécifiquement destinées aux jeunes majeurs confiés à l’aide sociale à l’enfance. La Cour rappelle que si le préfet dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le juge vérifie l’absence d’erreur manifeste. Or, pour rejeter ce moyen, la Cour se fonde sur le fait que le requérant n’a pas démontré le « caractère réel et sérieux du suivi de cette formation ». Elle note que l’intéressé a interrompu sa scolarité avant les examens et n’a pas repris de formation par la suite. L’arrêt souligne ainsi que le seul engagement dans un parcours de formation ne suffit pas. L’administration, sous le contrôle du juge, peut légalement exiger la preuve d’une continuité et d’un investissement durable dans le projet d’insertion professionnelle, l’échec ou l’abandon de ce dernier pouvant justifier un refus.
B. L’appréciation restrictive des liens personnels et familiaux en France
Le requérant se prévalait également d’une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour procède à un bilan des intérêts en présence et conclut à l’absence d’atteinte excessive. Elle retient que l’intéressé est « célibataire et sans enfant », ne justifie pas de « relations sociales d’une particulière intensité » et n’est pas « dépourvu d’attaches familiales en Tunisie ». La Cour minimise la portée de l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée, qui ne suffit pas à faire basculer l’appréciation. Cette motivation réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle l’insertion par le travail, si elle est un élément d’appréciation, ne prévaut pas nécessairement sur la faiblesse des autres attaches en France et la persistance de liens avec le pays d’origine. Le préfet a donc pu légalement estimer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que la situation personnelle du requérant ne justifiait pas la délivrance d’un titre de séjour.