Un agent public, contrôleuse principale des finances publiques, a fait l’objet d’une mesure de révocation prise par l’administration le 13 novembre 2020. Cette sanction disciplinaire faisait suite à un audit interne ayant révélé des irrégularités comptables et des manquements financiers importants. L’agent a saisi le tribunal administratif de Grenoble afin d’obtenir l’annulation de cette décision. Par un jugement du 4 juillet 2023, sa demande a été rejetée. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens relatifs à la régularité de la procédure. Elle soutenait en particulier que son audition durant la phase d’audit, préalable à la procédure disciplinaire formelle, avait été conduite en méconnaissance de plusieurs garanties fondamentales, notamment le droit de se taire et les droits de la défense. Se posait ainsi à la cour administrative d’appel la question de l’étendue des garanties procédurales dont doit bénéficier un fonctionnaire lors d’une enquête administrative susceptible de déboucher sur des poursuites disciplinaires. Dans son arrêt du 22 mai 2025, la cour rejette la requête. Elle juge que si le droit de se taire est une garantie applicable à la procédure disciplinaire, il n’a pas à être notifié à l’agent lors d’une enquête administrative préalable, sauf à démontrer un détournement de procédure.
Cette décision permet de préciser la portée du droit au silence pour un agent public dans le contexte d’une investigation administrative (I), tout en réaffirmant la distinction entre la phase d’enquête et la procédure disciplinaire elle-même (II).
I. La consécration d’un droit au silence circonscrit à la procédure disciplinaire
La cour administrative d’appel reconnaît l’existence du droit de se taire pour l’agent public, mais elle en délimite strictement le champ d’application temporel. Elle admet ce droit comme une garantie essentielle de la procédure disciplinaire (A), tout en l’excluant de la phase d’enquête administrative qui la précède (B).
A. La reconnaissance du droit au silence comme garantie de la procédure disciplinaire
L’arrêt énonce avec clarté un principe d’une importance notable pour les droits des fonctionnaires. Se fondant sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la cour rappelle que « nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire ». Elle précise que ces exigences s’étendent au-delà du seul champ pénal pour viser « toute sanction ayant le caractère d’une punition », catégorie à laquelle appartiennent les sanctions disciplinaires de la fonction publique. La conséquence tirée par le juge est directe et forte. Il en déduit que l’agent « faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire ». Cette affirmation ancre explicitement une garantie traditionnellement associée à la procédure pénale au cœur de la procédure disciplinaire administrative, renforçant ainsi les droits de la défense de l’agent mis en cause. La solution impose une obligation positive à l’administration : celle d’informer l’agent de ce droit dès sa première audition dans le cadre formel de la procédure disciplinaire.
B. L’exclusion du droit au silence durant l’enquête administrative
Cependant, la cour apporte une limitation substantielle à la portée de ce principe. Elle opère une distinction nette entre la procédure disciplinaire engagée et les investigations préalables. Le droit d’être informé de sa faculté de garder le silence ne s’applique pas « aux enquêtes et inspections diligentées par l’autorité hiérarchique et par les services d’inspection ou de contrôle ». La seule exception à cette règle serait le cas d’un « détournement de procédure », c’est-à-dire si l’enquête n’était en réalité qu’un simulacre destiné à contourner les garanties de la procédure disciplinaire. En l’espèce, la cour constate que l’audition de l’agent a eu lieu dans le cadre d’un audit complet et approfondi, qui a précédé de plusieurs mois l’engagement des poursuites disciplinaires. Rien ne permettait d’établir que cette investigation visait uniquement à obtenir des aveux dans une perspective punitive déjà arrêtée. En conséquence, l’administration n’était pas tenue d’informer l’agent de son droit de se taire à ce stade. Cette solution préserve l’efficacité des missions de contrôle et d’inspection, qui visent à établir la matérialité de faits et le bon fonctionnement du service.
La distinction ainsi opérée entre enquête et discipline fonde la seconde partie du raisonnement de la cour, qui tend à préserver l’autonomie de la procédure disciplinaire par rapport aux éventuelles irrégularités de la phase d’investigation.
II. L’affirmation de l’autonomie de la procédure disciplinaire
La cour juge que les vices susceptibles d’affecter la phase d’enquête administrative sont, pour l’essentiel, sans incidence sur la légalité de la sanction prononcée au terme de la procédure disciplinaire. Elle considère ainsi que les irrégularités de l’audit sont inopérantes (A) et que la matérialité des faits a été valablement établie durant la procédure contradictoire (B).
A. La neutralisation des irrégularités procédurales de la phase d’audit
La requérante invoquait plusieurs irrégularités qui auraient entaché l’audit, notamment la méconnaissance de guides de déontologie et de normes professionnelles. La cour écarte ces arguments en rappelant un principe constant du contentieux disciplinaire. Elle affirme que « les irrégularités, même à supposer qu’elles sont avérées, qui affecteraient l’audit interne préalable à la procédure disciplinaire, sont sans incidence sur la régularité de cette dernière procédure ». De même, elle juge que les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatives au procès équitable, ne sont pas applicables à une enquête administrative qui est dépourvue de caractère juridictionnel. Cette position réaffirme l’étanchéité entre la phase préparatoire, dont l’objet est la collecte d’informations, et la phase disciplinaire, seule soumise au plein respect du contradictoire. Tant que l’agent a pu utilement présenter sa défense durant la procédure disciplinaire elle-même, les défauts de l’enquête amont ne peuvent vicier la décision finale.
B. La confirmation de la valeur probante des éléments de l’enquête
Enfin, la cour se penche sur la contestation par l’agent de la matérialité des faits qui lui sont reprochés. Elle estime que le rapport d’audit, corroboré par les propres écrits de l’intéressée et les vérifications dans les applications informatiques, suffisait à établir la réalité des détournements de fonds. Le juge considère que l’audition de l’agent a été rapportée « avec précision, sans que la restitution des faits soit à l’évidence erronée ou faussée ». La complexité du système frauduleux mis en place était par ailleurs incompatible avec la thèse de simples erreurs. Par cette analyse, la cour confirme que les éléments recueillis lors de l’enquête administrative, même si celle-ci n’est pas soumise aux mêmes garanties que la procédure disciplinaire, peuvent constituer le fondement factuel de la sanction. L’essentiel demeure que ces éléments aient pu être contradictoirement débattus par l’agent, assisté de son défenseur, devant le conseil de discipline, ce qui fut le cas en l’espèce. La décision renforce ainsi la primauté de la procédure disciplinaire comme lieu d’exercice effectif des droits de la défense.