Cour d’appel administrative de Lyon, le 23 juillet 2025, n°24LY00999

L’activité de conception et de commercialisation d’un guide touristique offrant des réductions tarifaires auprès d’établissements partenaires relève, pour l’application des régimes d’imposition, de la catégorie des prestations de services. Par un arrêt du 23 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a été amenée à se prononcer sur la qualification fiscale de l’activité d’une entreprise individuelle qui, dans le cadre d’un contrat de franchise, éditait et vendait un tel guide. L’exploitant, qui avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité, s’était vu notifier des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu. L’administration fiscale avait en effet considéré que son activité ne constituait pas une vente de biens, mais une prestation de services. En conséquence, les seuils de chiffre d’affaires applicables au régime de la franchise en base de TVA et au régime micro-BIC étaient ceux, plus bas, prévus pour les services, et le contribuable les avait dépassés. Saisi du litige, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait, par un jugement du 8 mars 2024, validé l’analyse de l’administration et rejeté la demande en décharge du contribuable. Ce dernier a interjeté appel de ce jugement, soutenant que son activité consistait en la livraison d’un bien meuble corporel et qu’il n’effectuait aucune prestation de publicité au profit des partenaires référencés, faute de relation contractuelle directe et de facturation à leur égard. Il appartenait ainsi à la cour de déterminer si l’activité de conception et de vente d’un guide touristique offrant des réductions constituait une livraison de biens ou une prestation de services de publicité, afin d’établir le régime de taxe sur la valeur ajoutée et d’impôt sur le revenu applicable. La cour rejette la requête, confirmant que l’opération doit être qualifiée de prestation de services de publicité, ce qui justifiait les redressements opérés.

Cette solution, qui repose sur une analyse fonctionnelle de l’activité économique, consacre une conception extensive de la notion de prestation de publicité (I), dont la portée dépasse le cas d’espèce en réaffirmant le principe du réalisme en droit fiscal (II).

I. La consécration d’une conception extensive de la prestation de publicité

Pour confirmer la qualification retenue par l’administration, la cour a adopté une appréciation finaliste de l’opération économique (A), ce qui l’a conduite à écarter les critères formels avancés par le contribuable (B).

A. L’appréciation finaliste de l’opération économique

La cour ne s’est pas arrêtée à la matérialité de l’opération principale, à savoir la vente d’un guide physique ou d’une carte numérique. Elle a recherché l’objet réel et la finalité de l’ensemble du dispositif commercial mis en place par l’exploitant. Le juge administratif rappelle ainsi qu’une prestation de publicité se caractérise par la transmission d’un message visant à « informer le public de l’existence et des qualités d’un produit ou d’un service dans le but d’en augmenter les ventes ». En l’espèce, le guide, bien que vendu à des consommateurs finaux, constituait le support d’une communication au profit des établissements partenaires. Il résulte en effet de l’instruction que le guide « a pour objet d’informer le public de l’existence et des qualités des produits et des services des entreprises partenaires dans le but d’en augmenter les ventes ». En se fondant sur le but poursuivi, la cour considère que l’activité principale n’est pas la vente du support en elle-même, mais bien le service de promotion qu’il permet de réaliser au bénéfice des commerçants et prestataires de loisirs référencés. Cette approche téléologique est confirmée par les éléments promotionnels du franchiseur, qui met en avant l’augmentation de la visibilité et de la fréquentation pour les professionnels partenaires.

B. Le rejet des critères formels avancés par le contribuable

Face à cette analyse fonctionnelle, les arguments du requérant, fondés sur une approche plus formelle, ne pouvaient prospérer. Le contribuable soutenait premièrement que son activité relevait de la livraison d’un bien meuble corporel, au sens de l’article 256 du code général des impôts. La cour écarte implicitement cet argument en considérant que la fourniture du guide n’est que l’accessoire d’une prestation de nature publicitaire, qui, elle, est immatérielle. Deuxièmement, le requérant niait l’existence d’une prestation de services envers les partenaires, en l’absence de facturation directe et de lien contractuel formel de publicité. La cour balaie cet argument en précisant que la qualification de prestation de publicité est acquise « sans que fasse obstacle à cette qualification le fait qu’aucune prestation de publicité ne soit directement facturée par […] aux entreprises référencées ». Peu importe que la rémunération du service de promotion soit indirecte, c’est-à-dire tirée de la vente du guide aux clients finaux, et non d’une facturation aux établissements partenaires. L’existence d’un service rendu à ces derniers est établie par l’avantage qu’ils en retirent, à savoir une visibilité accrue et un outil de fidélisation.

La qualification de l’activité en tant que prestation de services publicitaires étant ainsi solidement établie, la décision révèle toute sa portée en rappelant la prééminence de l’analyse économique sur les apparences juridiques.

II. La portée de la qualification au regard du réalisme fiscal

La solution retenue par la cour administrative d’appel n’est pas seulement une décision d’espèce ; elle s’inscrit dans la logique du réalisme du droit fiscal en réaffirmant la prééminence de la substance sur la forme (A) et emporte des conséquences pratiques importantes pour les entreprises aux modèles économiques intermédiaires (B).

A. La réaffirmation du principe de la prééminence de la substance sur la forme

Cet arrêt constitue une illustration classique du principe selon lequel le droit fiscal s’attache à la réalité économique des opérations, au-delà des qualifications et des montages juridiques choisis par les parties. En refusant de s’arrêter à la simple vente d’un bien, la cour applique une méthode d’analyse économique qui recherche le véritable bénéficiaire du service et la nature réelle de la valeur ajoutée créée. L’activité de l’exploitant consistait à mettre en relation une offre, celle des partenaires, et une demande, celle des consommateurs, en utilisant le guide comme un simple vecteur. La valeur économique de son entreprise ne résidait pas tant dans la fabrication du guide que dans sa capacité à agréger un réseau de partenaires et à attirer une clientèle pour ces derniers. En qualifiant l’ensemble de l’activité de prestation de services, le juge fiscal fait prévaloir la substance sur l’apparence, ce qui est une garantie de l’égalité devant l’impôt et de la juste appréhension de la matière imposable. Cette approche pragmatique assure la cohérence du système fiscal face à la diversification des modèles d’affaires.

B. Les implications pour les entreprises intermédiaires et les plateformes numériques

La portée de cette décision dépasse largement le secteur des guides touristiques et concerne de nombreux modèles économiques modernes, notamment dans l’économie numérique. Elle constitue un avertissement pour les entrepreneurs dont l’activité repose sur une intermédiation, où la rémunération provient d’une seule catégorie d’acteurs, tandis que le service principal est rendu à une autre. On peut penser aux plateformes en ligne qui offrent un service gratuit à une catégorie d’utilisateurs (par exemple, le grand public) tout en se rémunérant auprès d’une autre (par exemple, des annonceurs ou des professionnels). La décision confirme que l’administration est en droit de considérer que l’ensemble du chiffre d’affaires généré par la partie payante de l’activité doit être rattaché à la prestation de service immatérielle, et non à une éventuelle vente de produit accessoire. Cette qualification a des conséquences fiscales directes et significatives, notamment l’application des seuils de chiffre d’affaires plus restrictifs pour le bénéfice des régimes simplifiés d’imposition et de la franchise en base de TVA, exposant ainsi ces entreprises à un risque de redressement si leur analyse juridique est trop formelle.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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