Par un arrêt en date du 25 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la légalité des modalités de reclassement d’un agent de la fonction publique hospitalière consécutives à une réforme statutaire modifiant la grille des émoluments de son corps.
En l’espèce, une praticienne hospitalière, nommée en 2005, a fait l’objet d’une décision de reclassement en application d’un décret du 28 septembre 2020 réformant la structure de la rémunération des praticiens hospitaliers. Cette réforme fusionnait notamment les quatre premiers échelons en un seul, ce qui a eu pour effet de la reclasser du onzième échelon de l’ancienne grille au huitième échelon de la nouvelle. S’estimant lésée par cette mesure, au motif qu’elle entraînait une inversion de carrière au profit de collègues plus récemment nommés et créait une rupture d’égalité, l’intéressée a saisi le tribunal administratif de Lyon aux fins d’annulation de cette décision. Par un jugement du 19 juin 2023, le tribunal a rejeté sa demande. La praticienne a alors interjeté appel de ce jugement, en réitérant ses moyens tirés de l’erreur manifeste d’appréciation et de l’illégalité du décret fondant la décision de reclassement. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si les modalités de reclassement prévues par une réforme statutaire, qui conduisent à des déroulements de carrière différents entre les agents déjà en poste et les nouveaux entrants, sont constitutives d’une rupture du principe d’égalité ou d’une inversion de carrière illégale.
La Cour administrative d’appel de Lyon a répondu par la négative, rejetant la requête. Elle juge que les différences de traitement induites par la succession de statuts dans le temps ne méconnaissent pas, par elles-mêmes, le principe d’égalité. Elle estime également que la seule circonstance que de nouveaux entrants puissent progresser plus rapidement dans la nouvelle grille ne caractérise pas une inversion illégale dans l’ordre d’ancienneté. La cour valide ainsi le mécanisme de reclassement et, par voie de conséquence, la légalité de la décision individuelle contestée. Il convient d’analyser la manière dont le juge conforte la légalité du dispositif de reclassement (I), avant d’examiner la portée qu’il confère au principe d’égalité dans le contexte d’une réforme de la fonction publique (II).
I. La consolidation des nouvelles règles de reclassement statutaire
La cour examine avec méthode la légalité de la réforme, d’abord en validant son mécanisme technique de transposition (A), puis en écartant l’existence d’une inversion de carrière prohibée (B).
A. La validation du mécanisme de transposition des grades
La décision de reclassement contestée tirait sa légalité du décret du 28 septembre 2020, dont la requérante soulevait l’illégalité par voie d’exception. La cour procède à une analyse détaillée de ce texte, relevant qu’il « modifie la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et à temps partiel, en fusionnant, dans le cadre d’une revalorisation de ces émoluments, les quatre premiers échelons ». Ce faisant, elle justifie la logique de la réforme par l’objectif de revalorisation affiché, qui supposait une réorganisation de la structure même de la carrière.
Le raisonnement du juge s’attache ensuite aux modalités concrètes de la transition entre l’ancienne et la nouvelle grille. Il souligne la différence de traitement prévue par le décret lui-même entre les agents selon leur échelon d’origine, certains conservant leur ancienneté acquise et d’autres non. Cette modulation, loin d’être arbitraire, apparaît comme un outil technique nécessaire à la fusion des échelons et à la mise en place de la nouvelle structure. En disséquant le dispositif, la cour démontre que les règles appliquées à la requérante correspondaient précisément aux prescriptions réglementaires. L’arrêté attaqué n’est donc que la stricte application d’un décret dont la cohérence interne est ainsi reconnue.
B. Le rejet de la qualification d’inversion de carrière
L’argument principal de la requérante reposait sur l’idée que son reclassement aboutissait à une situation statutaire moins favorable que celle de praticiens nommés après elle. La cour administrative d’appel répond de manière très directe à cette critique en dissociant la vitesse de progression de carrière de l’ordre d’ancienneté. Elle juge que « la circonstance que des praticiens hospitaliers nommés à compter du 1er octobre 2020 puissent éventuellement, plus rapidement que cela n’a été le cas pour la requérante, atteindre les échelons supérieurs du grade, n’entraîne pas de telle inversion ».
Par cette formule, le juge établit une distinction fondamentale entre une inversion de carrière, qui verrait un agent moins ancien dépasser un agent plus ancien à un instant T dans le classement du corps, et une simple différence de rythme dans le déroulement de carrière futur. La cour admet qu’une réforme puisse créer des situations où les nouveaux entrants, bénéficiant de règles plus favorables, progressent plus vite, sans que cela constitue une illégalité. Cette approche pragmatique reconnaît qu’une réforme statutaire gèle les situations acquises à un instant donné pour les projeter dans un nouveau cadre, quitte à créer des effets de bord pour les carrières futures, considérés comme un inconvénient acceptable de la transition.
En confirmant la légalité des modalités de reclassement, la cour devait nécessairement se positionner sur le terrain des principes généraux du droit, et notamment celui de l’égalité, dont la portée se trouve ici précisée.
II. La portée du principe d’égalité face à la succession des statuts
La décision illustre une conception restrictive de la rupture d’égalité dans le temps, en rappelant qu’elle est une conséquence inhérente à l’évolution des normes (A), ce qui conduit à opérer une distinction nette entre différence de traitement et discrimination (B).
A. Le caractère inhérent de la différence de traitement à la succession de normes
Le moyen tiré de la rupture d’égalité est écarté par la cour au moyen d’un considérant de principe qui réaffirme une solution classique en droit de la fonction publique. Elle énonce en effet que « la différence de traitement, résultant de la modification apportée par le décret critiqué aux règles applicables au corps des praticiens hospitaliers, entre les agents qui ont été recrutés dans ce corps avant la date à laquelle est entrée en vigueur la modification statutaire et ceux qui ont été recrutés sous l’empire des nouvelles règles est inhérente à la succession dans le temps des règles applicables et n’est pas, par elle-même, constitutive d’une discrimination ».
Cette affirmation ancre la solution dans une jurisprudence constante qui admet que le pouvoir réglementaire puisse modifier les règles applicables pour l’avenir, y compris si cela crée une disparité entre les agents selon leur date d’entrée dans le corps. Le principe d’égalité ne garantit pas le maintien d’un statut ni une progression de carrière identique à celle des agents qui seront recrutés ultérieurement sous l’empire de nouvelles dispositions. Le juge administratif reconnaît ainsi une marge de manœuvre importante au gouvernement pour faire évoluer la fonction publique, considérant que de telles différences sont le corollaire nécessaire de toute réforme. L’application de ce principe permet de sécuriser juridiquement les réformes statutaires face aux contestations fondées sur la seule comparaison entre situations passées et futures.
B. La distinction entre rupture d’égalité et simple différence de situation
En filigrane, la cour administrative d’appel opère une distinction entre une simple différence de traitement, jugée admissible, et une véritable rupture d’égalité, qui serait sanctionnée. Pour que le principe d’égalité soit méconnu, il ne suffit pas de constater que deux agents placés dans des situations différentes sont traités différemment. En l’espèce, les agents recrutés avant la réforme et ceux recrutés après ne sont pas dans la même situation au regard de la loi applicable. Le principe d’égalité n’impose donc pas qu’ils bénéficient des mêmes règles de déroulement de carrière.
La solution serait différente si la différence de traitement était manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par la réforme, ou si elle reposait sur un critère étranger à cet objectif. Or, la cour estime que les modalités de reclassement, y compris celles relatives à la reprise d’ancienneté, sont justifiées par la logique même de la réorganisation de la grille. En ne comparant sa situation qu’à celle de praticiens nommés après l’entrée en vigueur du décret, la requérante se plaçait sur le terrain d’une comparaison que le juge estime inopérante. La cour confirme ainsi que le principe d’égalité s’apprécie entre agents placés dans une situation juridique identique, ce qui n’est pas le cas des agents soumis à des statuts successifs.