Cour d’appel administrative de Lyon, le 25 septembre 2025, n°24LY00744

Par un arrêt en date du 25 septembre 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la recevabilité de l’appel formé par l’administration fiscale à l’encontre d’un jugement lui ayant donné tort. En l’espèce, une société holding avait acquis les titres de sa société d’exploitation auprès de ses propres associés pour un prix que l’administration a jugé délibérément minoré. Considérant la différence entre le prix de cession et la valeur vénale des titres comme une libéralité consentie par les vendeurs à la société acquéreuse, l’administration avait réintégré cette somme dans les résultats imposables de la société, donnant lieu à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés.

Saisi par la société, le tribunal administratif de Grenoble, par un jugement du 21 décembre 2023, a prononcé la décharge de ces impositions. L’administration a interjeté appel de cette décision. Devant la cour, le liquidateur de la société a soulevé une fin de non-recevoir, arguant de la tardiveté de l’appel du ministre. Le liquidateur faisait valoir qu’il avait signifié le jugement au ministre par acte de commissaire de justice le 12 janvier 2024, ouvrant ainsi un délai d’appel de deux mois. Le ministre, quant à lui, soutenait que cet acte de signification était irrégulier au motif qu’il mentionnait à tort une juridiction d’appel territorialement incompétente, et que cette erreur viciait l’acte et ne pouvait donc faire courir le délai de recours.

Il revenait ainsi à la cour de déterminer si une erreur matérielle non substantielle, relative à la désignation de la juridiction compétente dans un acte de signification de jugement, est de nature à vicier cet acte et, par conséquent, à empêcher le déclenchement du délai d’appel abrégé.

La cour administrative d’appel répond par la négative. Elle juge que l’erreur commise dans l’acte de signification, « pour regrettable qu’elle soit, n’a pu l’induire en erreur sur les conditions d’exercice de son droit au recours et n’a pu exercer une influence sur son appréciation quant à l’opportunité de contester le jugement ». Par conséquent, la cour estime que la signification est régulière, que le délai de deux mois a bien couru à compter de sa date, et que l’appel du ministre, enregistré après l’expiration de ce délai, est irrecevable. Ainsi, la cour, par une approche pragmatique de la régularité des actes de procédure (I), confirme la rigueur qui s’attache aux délais de recours, y compris pour l’administration (II).

I. La consécration d’une approche pragmatique de la régularité procédurale

La cour administrative d’appel, en validant l’acte de signification malgré son imperfection, écarte une conception purement formaliste de la procédure (A) pour privilégier l’effet utile de l’acte (B).

A. Le rejet d’un formalisme excessif

L’argumentation du ministre reposait sur une logique formaliste stricte, selon laquelle toute erreur dans un acte de procédure, particulièrement celle portant sur la juridiction compétente, devrait entraîner sa nullité. En droit administratif, la validité des actes est souvent subordonnée au respect de formes précises, garanties pour les administrés et pour la bonne administration de la justice. Toutefois, la jurisprudence a progressivement admis que toutes les irrégularités ne se valent pas et que seules celles qui portent atteinte aux droits des parties ou qui ont une influence sur la décision sont substantielles.

Dans cette affaire, la cour se livre à une appréciation *in concreto* de l’impact de l’erreur. Elle constate que le destinataire de l’acte est le ministre, une partie institutionnelle dotée de services juridiques compétents, parfaitement à même de connaître les règles de compétence territoriale des cours administratives d’appel. La cour juge que l’erreur mentionnée n’a objectivement pas pu tromper l’administration sur la voie de recours à exercer. En affirmant que l’erreur, « pour regrettable qu’elle soit », est sans incidence, le juge ne valide pas la négligence mais refuse de lui attacher une conséquence disproportionnée. Il sanctionne ainsi l’argument du ministre qui tendait à se prévaloir d’une erreur bénigne pour échapper aux conséquences de sa propre inaction.

B. La préservation de l’effet utile de la signification

Les dispositions combinées des articles R. 811-2 du code de justice administrative et R. 200-18 du livre des procédures fiscales organisent un mécanisme précis. Par défaut, le ministre dispose d’un délai confortable de quatre mois pour faire appel d’un jugement fiscal. Cependant, le contribuable a la faculté d’accélérer la procédure en signifiant directement le jugement au ministre, ce qui réduit le délai d’appel à deux mois. Cette faculté constitue un outil essentiel pour le justiciable victorieux en première instance, lui permettant d’obtenir plus rapidement une décision définitive et de sécuriser sa situation juridique.

En refusant d’annuler la signification pour une erreur matérielle sans conséquence, la cour préserve l’efficacité de ce dispositif. Admettre la thèse du ministre aurait rendu la faculté de signification par le contribuable extrêmement précaire. L’administration aurait pu se prévaloir de la moindre imperfection formelle pour neutraliser l’acte et retrouver son délai de droit commun. La décision renforce donc la portée de l’initiative procédurale du justiciable. Elle garantit que la signification, lorsqu’elle atteint son but d’information, produit pleinement ses effets juridiques, à savoir le déclenchement irrévocable du délai de recours.

II. La réaffirmation de la rigueur des délais de recours

La solution retenue par la cour, au-delà de sa technicité procédurale, est porteuse d’une signification plus large quant à l’application stricte des délais à l’administration (A) et constitue une garantie importante pour le justiciable (B).

A. Une stricte application des délais de forclusion à l’administration

Les délais de recours sont d’ordre public. Leur respect rigoureux est une condition de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice, en ce qu’ils empêchent les litiges de s’éterniser. La décision commentée applique ce principe avec fermeté à l’administration fiscale. Bien que bénéficiant d’un régime dérogatoire lui accordant un délai d’appel plus long que celui du contribuable, l’administration n’est pas pour autant à l’abri de la forclusion. La cour rappelle que lorsque le contribuable use de la faculté qui lui est ouverte, le délai abrégé de deux mois s’impose au ministre de la même manière qu’à n’importe quel autre plaideur.

Cet arrêt illustre que les prérogatives de puissance publique dont dispose l’administration ne la placent pas au-dessus des règles de procédure. En déclarant l’appel tardif, le juge administratif agit comme un régulateur impartial du procès, veillant à ce que les règles du jeu s’appliquent de manière égale. La sanction de la tardiveté n’est pas une simple question de forme ; elle prive l’administration du droit de faire juger l’affaire au fond en appel. Le jugement de première instance, qui était favorable au contribuable, acquiert ainsi l’autorité de la chose jugée, non pas parce qu’il a été confirmé en appel, mais parce que l’appel n’a pas été valablement exercé.

B. Une garantie pour la sécurité juridique du justiciable

En définitive, cette décision renforce la sécurité juridique du justiciable qui a obtenu gain de cause en première instance. Elle confirme qu’en accomplissant une démarche procédurale claire, la signification par commissaire de justice, il peut légitimement contraindre l’administration à se décider rapidement sur l’opportunité d’un appel. L’issue de l’affaire est ainsi fixée dans un délai raisonnable, ce qui est un des aspects du droit à un procès équitable. Le contribuable n’a pas à subir l’incertitude d’un long délai d’appel si l’administration ne manifeste pas sa diligence.

La portée de cet arrêt est donc pédagogique. Il incite les services de l’administration à une plus grande vigilance dans le suivi de leurs délais de recours, en particulier lorsqu’une signification leur est adressée. Pour les justiciables et leurs conseils, il confirme l’intérêt de recourir à la signification pour accélérer le dénouement des litiges. En privilégiant l’esprit de la règle sur un formalisme excessif, la cour administrative d’appel garantit l’équilibre des droits entre les parties et l’effectivité des procédures mises à la disposition des citoyens face à la puissance publique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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