Par un arrêt en date du 25 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a précisé les conditions d’appréciation de l’état de santé d’un ressortissant étranger sollicitant un titre de séjour. En l’espèce, une ressortissante algérienne, entrée régulièrement en France en 2022, a sollicité l’année suivante la délivrance d’un certificat de résidence en raison de son état de santé. Elle souffrait alors d’une pathologie hépatique sévère. Postérieurement à sa demande, son état s’est aggravé par le développement d’une pathologie cancéreuse diagnostiquée en mars 2024.
S’appuyant sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) émis en décembre 2023, qui concluait à la possibilité pour l’intéressée de bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine, l’autorité préfectorale a rejeté sa demande par un arrêté du 24 avril 2024. Cette décision, assortie d’une obligation de quitter le territoire français, a été contestée devant le tribunal administratif de Lyon, qui a rejeté le recours par un jugement du 19 novembre 2024. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’avis médical sur lequel s’est fondée l’administration était obsolète du fait de l’évolution de sa pathologie, et que l’autorité préfectorale avait commis une erreur d’appréciation quant à l’impossibilité pour elle d’accéder effectivement aux soins nécessaires en Algérie.
Il revenait ainsi à la cour de déterminer si, face à une évolution de la pathologie postérieure à l’avis médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’étranger doit apporter la preuve circonstanciée de l’indisponibilité du traitement dans son pays d’origine pour contester un refus de séjour.
La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant le jugement de première instance. Elle estime que la requérante n’a pas démontré avoir informé l’administration de l’évolution de son état de santé avant l’édiction de l’arrêté contesté. Surtout, elle considère que les éléments produits ne suffisent pas à établir de manière précise et circonstanciée l’impossibilité pour elle de bénéficier d’un traitement et d’un suivi appropriés dans son pays d’origine. La solution retenue par la cour, si elle s’inscrit dans une logique de contrôle rigoureux des conditions d’octroi du titre de séjour (I), interroge sur la portée effective de la protection accordée à l’étranger malade (II).
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I. Le maintien d’un contrôle strict des conditions d’octroi du titre de séjour
La Cour administrative d’appel de Lyon, par cette décision, confirme une application rigoureuse des dispositions de l’accord franco-algérien relatives au séjour pour raisons médicales. Elle rappelle d’abord l’office limité du juge face à une procédure administrative jugée régulière (A), avant de réaffirmer l’exigence d’une preuve particulièrement étayée de l’inaccessibilité des soins dans le pays d’origine (B).
A. L’office du juge face à l’évolution de l’état de santé du requérant
La requérante soulevait l’argument selon lequel l’avis du collège de médecins de l’OFII, antérieur au diagnostic de sa pathologie cancéreuse, ne pouvait plus utilement éclairer l’autorité préfectorale. La cour écarte ce moyen en opérant une distinction nette entre la régularité de la procédure et l’appréciation au fond. Elle relève qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier que la requérante ait transmis aux services préfectoraux des éléments relatifs à l’évolution de sa pathologie, avant l’intervention de la mesure en litige ». Ce faisant, elle place la charge de l’actualisation du dossier médical sur les épaules du demandeur.
En l’absence d’une telle diligence de la part de l’administré, le préfet n’est pas tenu de solliciter une nouvelle consultation du collège de médecins. La procédure est donc considérée comme régulière dès lors que l’administration a statué sur la base des éléments dont elle disposait au moment de sa décision. Cette approche formaliste, si elle garantit la sécurité juridique de l’acte administratif, occulte en partie la réalité d’une situation médicale par nature évolutive. La solution consacre ainsi une forme de primauté de la procédure sur la matérialité de l’état de santé, le juge administratif se refusant à sanctionner une décision fondée sur des informations qui, sans être erronées, étaient devenues incomplètes.
B. L’exigence d’une preuve circonstanciée de l’inaccessibilité des soins
Le cœur du raisonnement de la cour réside dans l’appréciation des preuves fournies par la requérante pour contester la disponibilité d’un traitement en Algérie. La juridiction se montre particulièrement exigeante, considérant que les documents médicaux produits, bien qu’attestant de la gravité de l’état de santé, ne sont pas suffisants pour renverser la présomption posée par l’avis de l’OFII.
La cour juge que les certificats médicaux, y compris celui émanant d’un médecin algérien, « ne se prononcent de façon circonstanciée et précise sur la prétendue indisponibilité en Algérie des traitements qu’elle suit, ni n’affirment l’impossibilité pour elle de bénéficier d’un suivi médical ». Le juge attend ainsi une démonstration quasi technique de l’absence d’une offre de soins effective, qui ne saurait se limiter à des attestations générales ou à des articles de presse. Même le traitement du carcinome en France est analysé comme un événement ponctuel, ne préjugeant pas de l’impossibilité d’assurer le suivi post-opératoire en Algérie. Cette exigence probatoire élevée renforce considérablement la position de l’administration et rend la contestation de l’avis de l’OFII particulièrement ardue pour le requérant.
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II. La portée discutée de la protection de l’étranger malade
En imposant un standard de preuve aussi élevé, la décision de la cour administrative d’appel conduit à s’interroger sur les difficultés pratiques rencontrées par le demandeur (A), et confirme une interprétation restrictive du droit au séjour pour soins qui en limite la portée (B).
A. La charge de la preuve, un obstacle majeur pour le requérant
En exigeant des éléments « précis et circonstanciés » sur l’indisponibilité d’un traitement dans le pays d’origine, la cour place le requérant face à une difficulté considérable. Il lui est en effet demandé de prouver un fait négatif : l’absence d’une structure, d’une technique médicale ou d’un suivi adéquat dans un système de santé étranger. Une telle preuve est souvent difficile à obtenir pour une personne fragilisée par la maladie et éloignée de son pays d’origine.
Les documents généraux sont écartés, et les attestations de médecins traitants, souvent perçues comme des certificats de complaisance, sont jugées insuffisantes si elles ne sont pas étayées par des données objectives sur le système de santé du pays concerné. Cette rigueur dans l’administration de la preuve peut être perçue comme un obstacle systémique à l’application effective du droit au séjour pour raisons de santé. Elle semble privilégier une approche administrative abstraite au détriment d’une évaluation concrète des risques encourus par l’individu, en contradiction avec l’esprit de la disposition de l’accord franco-algérien qui vise à prévenir des conséquences d’une « exceptionnelle gravité ».
B. La confirmation d’une appréciation restrictive du droit au séjour pour soins
Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence qui tend à faire de l’avis du collège de médecins de l’OFII l’élément central et déterminant de la procédure. Bien qu’il ne lie pas l’autorité préfectorale ni le juge, cet avis bénéficie dans les faits d’une forte présomption de fiabilité qu’il est très difficile de renverser. La décision confirme que le rôle du juge administratif n’est pas de substituer sa propre appréciation médicale à celle de l’organe spécialisé, mais de contrôler l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation.
En l’espèce, la cour estime que la requérante n’apporte pas la preuve d’une telle erreur. Cette solution, bien que juridiquement fondée au regard des pièces du dossier, aboutit à une décision dont les conséquences humaines sont significatives. En considérant que la présence en France depuis deux ans et les liens familiaux ne suffisent pas à caractériser une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale, la cour adopte une vision restrictive. L’arrêt illustre ainsi une tendance à interpréter strictement les conditions du séjour pour soins, réduisant la protection offerte à un mécanisme d’exception difficile à mobiliser pour les personnes dont l’état de santé se dégrade sur le territoire français.