Par un arrêt du 26 juin 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la nature fiscale des sommes créditées sur le compte courant d’un associé. Cette décision illustre les conditions strictes encadrant la preuve contraire que doit apporter un contribuable pour écarter la qualification de revenus distribués. En l’espèce, un gérant et associé principal d’une société à responsabilité limitée s’est vu notifier par l’administration fiscale un redressement d’impôt sur le revenu. Ce redressement procédait de la réintégration de sommes inscrites au crédit de son compte courant d’associé, considérées par l’administration comme des revenus de capitaux mobiliers. Le contribuable soutenait pour sa part que ces sommes ne constituaient pas un revenu imposable, mais le remboursement d’une créance personnelle qu’il détenait sur un tiers, gérant d’une autre société. Selon ses explications, le remboursement aurait été effectué par un mécanisme indirect, la société du tiers renonçant à percevoir des rétrocessions d’honoraires que lui devait la société du contribuable, ces montants étant alors directement portés au crédit du compte courant de ce dernier. Saisi en première instance, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande en décharge des impositions. Le contribuable et son épouse ont alors interjeté appel de ce jugement, maintenant leur argumentation selon laquelle les fonds litigieux correspondaient à l’extinction d’une dette et non à une distribution de bénéfices. Il appartenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si un contribuable peut renverser la présomption de distribution attachée à l’inscription de sommes au crédit de son compte courant en se prévalant d’un montage financier complexe impliquant la renonciation à une créance par un tiers. La cour administrative d’appel de Lyon rejette la requête. Elle estime que les contribuables n’apportent pas la preuve qui leur incombe pour démontrer que les sommes litigieuses n’avaient pas le caractère de revenus distribués. La solution retenue par la cour repose ainsi sur une application rigoureuse de la charge de la preuve en matière fiscale, laquelle se traduit par un contrôle approfondi des justifications économiques et juridiques présentées par le contribuable.
I. L’application rigoureuse de la présomption de distribution attachée au compte courant d’associé
La décision de la cour administrative d’appel s’ancre fermement dans les principes régissant la qualification fiscale des mouvements financiers au sein d’une société. Elle rappelle que la charge de la preuve pour écarter la qualification de revenu distribué pèse exclusivement sur le contribuable (A), une simple allégation, même documentée de manière imprécise, étant jugée insuffisante pour renverser cette présomption (B).
A. Le principe de la charge de la preuve pesant sur le contribuable
L’arrêt fonde son raisonnement sur les dispositions combinées des articles 109 et 111 du code général des impôts. En vertu de ces textes, toute somme mise à la disposition d’un associé est présumée constituer un revenu distribué, imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. La cour rappelle cette règle de manière explicite et didactique dans son troisième considérant : « Les sommes inscrites au crédit d’un compte courant d’associé ont, sauf preuve contraire apportée par l’associé titulaire du compte, le caractère de revenus imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. ». Cette affirmation place le débat sur le terrain probatoire. Il n’appartient pas à l’administration de démontrer le caractère de revenu des sommes en cause, mais bien au contribuable d’établir leur origine non distribuable. La présomption n’est pas irréfragable, mais son renversement exige des éléments de preuve concrets, précis et concordants.
B. L’insuffisance d’une preuve fragile pour renverser la présomption
Face à cette exigence, les requérants présentaient un document intitulé « reconnaissance de dette » pour justifier l’existence d’une créance personnelle envers un tiers. La cour écarte ce document sans ménagement, le jugeant « dépourvu de valeur probante compte tenu de son imprécision tant sur la forme que sur le fond ». Cette analyse démontre que les juges du fond exercent un contrôle de la qualité intrinsèque des preuves soumises à leur appréciation. Un écrit sous seing privé, dont les termes restent vagues quant à l’origine de la dette et ses modalités de remboursement, ne peut suffire à établir la réalité d’une opération juridique. La cour souligne ainsi que la preuve contraire ne peut résulter d’affirmations ou de documents ne présentant pas les garanties minimales de fiabilité. En refusant de reconnaître une quelconque force probante à cet élément, la juridiction administrative confirme qu’elle attend du contribuable une démonstration rigoureuse et documentée de ses allégations.
Au-delà de la fragilité de la preuve de la créance initiale, la cour administrative d’appel a également procédé à un examen minutieux du montage contractuel censé justifier le flux financier.
II. Le contrôle de la réalité du montage contractuel invoqué par le contribuable
La cour ne se contente pas de constater l’insuffisance de la preuve de la dette ; elle dissèque également le mécanisme de remboursement allégué. Elle conclut à l’absence de justification des rétrocessions d’honoraires qui constituaient le pivot du montage (A), ce qui la conduit logiquement à rejeter la thèse d’une compensation indirecte et à confirmer la nature de revenu distribué des sommes en cause (B).
A. L’absence de justification des rétrocessions d’honoraires
Le raisonnement des requérants reposait entièrement sur l’idée que leur société était contractuellement tenue de rétrocéder des honoraires à la société du tiers créancier. La cour examine donc la substance du contrat d’apporteur d’affaires liant les deux sociétés. Or, son analyse factuelle est sans appel : « il ne résulte pas de l’instruction que les sociétés Pam Holding et Optedis aient été présentées à la SARL Net par la société Technique et Gestion ». Les juges relèvent en outre le caractère préexistant de la relation d’affaires avec l’un des clients et l’absence de toute diligence ou de moyens matériels et humains de la part de la société apporteur d’affaires. En scrutant la réalité économique derrière l’acte juridique, la cour conclut que les conditions du contrat n’étaient pas remplies. Les rétrocessions d’honoraires n’étaient donc pas dues, privant le montage de sa justification fondamentale.
B. Le rejet de la thèse d’une compensation indirecte
Dès lors que la dette de la société du contribuable envers la société du tiers n’est pas établie, l’argument d’une renonciation à créance pour éteindre une autre dette s’effondre. La cour tire la conséquence logique de ses constatations factuelles dans la dernière partie de son sixième considérant. Elle affirme que, les sommes n’étant pas contractuellement dues, les requérants « ne sont pas fondés à soutenir que le gérant de cette société aurait entendu rembourser M. E… de sa dette, via sa société, laquelle aurait renoncé à les percevoir ». La démonstration est implacable : en l’absence de créance à laquelle renoncer, le versement ne peut être analysé comme le remboursement d’une dette personnelle. Faute pour le contribuable d’avoir pu justifier d’une autre nature à ces flux financiers, la qualification initiale de revenus distribués, posée par l’administration, retrouve toute sa force. Les sommes inscrites au crédit du compte courant constituent bien un avantage imposable.