Une ressortissante étrangère, séjournant régulièrement en France, a sollicité le bénéfice du regroupement familial pour ses deux enfants mineurs résidant à l’étranger. Leur père était décédé et les enfants avaient été confiés à un oncle. L’administration a rejeté sa demande au motif que le logement dont elle disposait n’était pas considéré comme normal pour accueillir l’ensemble de la famille, notamment en raison d’une superficie insuffisante. La requérante a alors saisi le tribunal administratif de Grenoble, qui a confirmé la décision préfectorale. Elle a interjeté appel de ce jugement. Durant la procédure, l’un de ses enfants est décédé. Devant la cour administrative d’appel, la mère soutenait que la condition de logement devait désormais s’apprécier au regard de la nouvelle composition de sa famille, rendant ainsi la superficie de son domicile suffisante. Elle arguait également que la décision portait une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale normale et méconnaissait l’intérêt supérieur de son enfant survivant. Le problème de droit soulevé concernait donc d’une part, la temporalité de l’appréciation par le juge des conditions du regroupement familial, et d’autre part, la portée du contrôle de proportionnalité exercé sur le refus opposé à la demande. Par un arrêt du 27 février 2025, la cour administrative d’appel a rejeté la requête. Elle juge que la légalité d’une décision administrative s’apprécie à la date à laquelle elle a été prise, rendant inopérante une circonstance de fait postérieure telle que le décès d’un enfant. Elle estime par ailleurs que le refus, compte tenu des circonstances de l’espèce, ne constitue pas une atteinte excessive au droit à la vie privée et familiale ni une méconnaissance de l’intérêt supérieur de l’enfant.
I. La confirmation d’une appréciation stricte des conditions du regroupement familial
L’arrêt rappelle avec fermeté les règles encadrant l’examen des conditions matérielles du regroupement familial, en se fondant sur une application rigoureuse du droit existant au moment de la décision administrative. Cette orthodoxie juridique se manifeste tant dans le refus de prendre en compte un changement de situation postérieur (A) que dans la validation de l’appréciation initiale des conditions de logement (B).
A. Le principe de l’appréciation des conditions à la date de la décision
La cour écarte le moyen de la requérante tiré du décès de sa fille, qui aurait eu pour effet de rendre le logement conforme aux exigences réglementaires. Elle affirme ainsi un principe cardinal du contentieux administratif de l’annulation : la légalité d’un acte s’évalue au regard des circonstances de fait et de droit prévalant à la date de son édiction. Le juge se positionne en censeur de l’action administrative passée et non en gestionnaire de la situation présente des administrés. La cour le formule sans détour en précisant que la requérante « ne peut utilement, pour contester la légalité du refus de regroupement familial opposé par le préfet, invoquer le décès de sa fille […], survenu le 6 mai 2022, soit postérieurement à la décision en litige ». Cette solution, classique, garantit la sécurité juridique et préserve la cohérence de l’office du juge de l’excès de pouvoir. Admettre le contraire reviendrait à introduire une part d’incertitude pour l’administration, dont les décisions pourraient être invalidées par des événements futurs et imprévisibles, et à transformer le rôle du juge en celui d’une autorité de réformation. La rigueur de ce principe est ici d’autant plus marquante qu’elle s’applique à une situation humaine particulièrement dramatique.
B. Une lecture rigoureuse de l’exigence de logement adapté
La décision commentée confirme également l’analyse initiale des services préfectoraux quant à l’inadéquation du logement. L’administration avait relevé une superficie insuffisante pour une famille de sept personnes. La cour prend soin de rectifier une erreur matérielle mineure concernant la surface exacte du logement, mais souligne qu’elle est sans incidence sur la solution retenue, le seuil réglementaire n’étant de toute façon pas atteint. Elle valide ainsi une application littérale des dispositions de l’article R. 411-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui fixe des normes de superficie précises en fonction de la zone géographique et de la taille du ménage. En agissant de la sorte, la juridiction d’appel confirme que l’exigence d’un « logement considéré comme normal » ne laisse que peu de place à une appréciation subjective de l’administration ou du juge. L’existence de critères chiffrés objectifs suffit à fonder légalement un refus, dès lors que ces critères ne sont pas satisfaits. Cette approche formaliste, si elle garantit une égalité de traitement, peut sembler ignorer les efforts d’intégration de la famille ou les réalités du marché immobilier.
Au-delà de la vérification de la légalité formelle de la décision, la cour devait cependant exercer un contrôle plus substantiel au regard des droits fondamentaux invoqués par la requérante.
II. L’application mesurée du contrôle de proportionnalité
Face aux griefs tirés de la violation de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, la cour procède à une mise en balance des intérêts en présence. Elle conclut que le refus de regroupement familial ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans la vie familiale de l’intéressée (A) et ne méconnaît pas l’intérêt supérieur de l’enfant (B).
A. La mise en balance de l’ingérence dans la vie familiale
La cour reconnaît que le préfet dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de déroger aux conditions légales en cas d’atteinte excessive au droit à une vie familiale normale garanti par l’article 8 de la Convention européenne. Pour déterminer le caractère proportionné ou non de l’ingérence, elle examine concrètement la situation. Elle relève ainsi que la mère et ses enfants vivaient séparés depuis 2013, soit une période de près de huit ans au moment de la demande. Si elle note que la requérante a contribué financièrement à l’entretien de ses enfants, elle souligne dans le même temps qu’il n’est pas allégué qu’elle leur ait rendu visite durant cette longue séparation. Surtout, la cour met en exergue un élément décisif : le refus de regroupement « ne fait pas obstacle à ce qu’elle se rende en République démocratique du Congo auprès de son fils ». Cette possibilité pour le parent de maintenir des liens en se déplaçant dans le pays d’origine de l’enfant est un facteur classique d’appréciation dans la jurisprudence administrative pour écarter l’existence d’une atteinte disproportionnée. La solution montre que l’existence d’une vie familiale ne suffit pas à emporter automatiquement un droit à la reconstitution de celle-ci sur le territoire national, l’autorité administrative et le juge se réservant le droit de peser les modalités de cette vie familiale et les contraintes de l’ordre public, notamment économique et social.
B. La prise en compte relative de l’intérêt supérieur de l’enfant
Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant est traité par la cour de manière connexe à celui de l’article 8. La motivation de l’arrêt est sur ce point lapidaire : « Pour les mêmes motifs, ce refus n’a pas porté atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant ». Cette approche lie étroitement l’appréciation de l’intérêt de l’enfant à celle de la proportionnalité de l’atteinte à la vie familiale. Il en résulte que, si l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une « considération primordiale », il ne s’agit pas d’une considération exclusive ou absolue. Dans la balance opérée par le juge, cet intérêt n’a pas pesé suffisamment lourd pour outrepasser les conditions légales du regroupement familial, dès lors que l’atteinte à la relation filiale n’a pas été jugée excessive. La décision ne nie pas qu’il serait dans l’intérêt de l’enfant de rejoindre sa mère, mais elle subordonne cet intérêt au respect des conditions posées par le législateur, tant que le refus de regroupement n’emporte pas de conséquences d’une gravité exceptionnelle. La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui, tout en consacrant l’invocabilité de l’article 3-1, se garde d’en faire un droit inconditionnel à la vie familiale en France.