Cour d’appel administrative de Lyon, le 27 février 2025, n°24LY01533

Par un arrêt en date du 27 février 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la nature juridique de l’acte par lequel une administration informe un de ses agents de la modification du montant d’une bonification indiciaire. En l’espèce, une secrétaire administrative s’était vu attribuer, depuis le 1er avril 2014, une nouvelle bonification indiciaire de quinze points. Un arrêté ministériel du 28 juin 2022, modifiant la liste des emplois ouvrant droit à cette bonification, a ramené ce montant à dix points pour le poste qu’elle occupait, et ce à compter du 1er juillet 2022. Par un arrêté subséquent du 8 août 2022, le directeur du centre ministériel de gestion compétent a formellement notifié cette réduction à l’intéressée.

Saisi par l’agente, le tribunal administratif de Lyon, par un jugement du 26 mars 2024, a annulé cet arrêté du 8 août 2022, estimant que la réduction n’était pas justifiée. Le ministre des armées a alors interjeté appel de ce jugement, en soutenant à titre principal que la demande de première instance était irrecevable, l’acte attaqué n’étant qu’une simple mesure d’information et non une décision susceptible de recours. L’enjeu central du litige portait donc sur la qualification de l’acte du 8 août 2022. La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si un acte notifiant à un fonctionnaire une modification de sa rémunération, en application directe d’un texte réglementaire antérieur, constitue une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

La cour administrative d’appel a répondu par la négative. Elle a jugé que l’arrêté ministériel du 28 juin 2022, régulièrement publié, avait par lui-même et dès son entrée en vigueur modifié la situation juridique de l’agente. Par conséquent, l’acte postérieur du 8 août 2022 n’avait eu pour seul objet que de l’informer des conséquences de cette nouvelle réglementation. La cour en a déduit que cet acte informatif ne constituait pas une décision faisant grief et que la demande d’annulation formée à son encontre était irrecevable. Elle a ainsi annulé le jugement de première instance et rejeté la demande de l’agente. Cette décision conduit à examiner la qualification rigoureuse de l’acte informatif, qui exclut tout caractère décisionnel (I), avant d’analyser la portée de cette solution, qui oscille entre orthodoxie juridique et contrainte procédurale pour l’agent (II).

I. La qualification rigoureuse de l’acte informatif, exclusive de tout caractère décisionnel

La cour administrative d’appel, pour juger la requête irrecevable, opère une distinction nette entre l’acte réglementaire qui fixe la norme et la mesure individuelle qui ne fait qu’en informer l’administré (A). Cette analyse conduit logiquement à confirmer que seul l’acte créateur de griefs peut être contesté, rendant inopérant tout recours contre un acte purement confirmatif (B).

A. La distinction entre l’acte réglementaire et sa mesure d’application individuelle

Le raisonnement des juges d’appel repose sur une analyse classique de la source des effets de droit en matière de fonction publique. Ils rappellent que le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire est directement lié à l’emploi occupé, en fonction de sa responsabilité ou de sa technicité. La cour souligne ainsi que la véritable décision modifiant la situation de l’agente est l’arrêté ministériel du 28 juin 2022, lequel fixait la nouvelle liste des emplois éligibles et le nombre de points associés. Cet arrêté, de nature réglementaire, a été régulièrement publié et est devenu opposable à l’ensemble des agents concernés dès le 1er juillet 2022.

La cour précise que cet arrêté réglementaire a « par lui-même eu pour effet de modifier » le nombre de points de nouvelle bonification indiciaire attribué à l’emploi de l’intéressée. L’acte individuel postérieur, daté du 8 août 2022, n’a donc pas opéré de nouvelle modification de l’ordonnancement juridique. Il s’est contenté de porter à la connaissance de l’agente une situation juridique déjà constituée par l’effet du seul texte réglementaire. En agissant ainsi, la cour restaure une hiérarchie claire entre la norme générale et impersonnelle, seule créatrice de droits et d’obligations, et la mesure subséquente qui n’en est que le simple véhicule informatif.

B. L’irrecevabilité du recours dirigé contre un acte confirmatif

La conséquence directe de cette qualification est l’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir. Pour qu’un acte administratif puisse être déféré au juge de l’excès de pouvoir, il doit faire grief, c’est-à-dire affecter la situation juridique de son destinataire. Or, en l’espèce, la cour juge que l’arrêté du 8 août 2022 est dépourvu d’un tel effet. Elle énonce qu’il « n’a eu d’autre objet et effet que de l’informer de sa situation » et que, par suite, il « ne revêtait pas le caractère d’une décision susceptible de faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir ».

Cette solution est une application rigoureuse de la théorie des actes confirmatifs. Un acte qui se borne à réitérer une décision antérieure, sans y ajouter de nouvel élément de droit ou de fait, n’ouvre pas un nouveau délai de recours. Ici, l’acte du 8 août 2022 ne fait que confirmer les conséquences individuelles de l’arrêté réglementaire du 28 juin 2022. L’agente aurait dû, si elle l’estimait illégal, contester cet arrêté réglementaire dans le délai de deux mois suivant sa publication. En censurant le jugement de première instance qui avait admis la recevabilité du recours, la cour rappelle ce principe fondamental du contentieux administratif, garant de la sécurité juridique.

II. La portée de la solution : entre orthodoxie juridique et limitation du prétoire pour l’agent

Si la décision s’inscrit dans une logique juridique éprouvée (A), elle n’en demeure pas moins exigeante pour l’administré, qui doit faire preuve d’une vigilance accrue pour préserver ses droits (B).

A. Une solution conforme à l’orthodoxie du contentieux administratif

En réaffirmant la distinction entre les actes faisant grief et les mesures d’information, la cour administrative d’appel conforte une jurisprudence constante et essentielle à la stabilité de l’ordre juridique. Permettre la contestation indéfinie d’actes purement informatifs reviendrait à contourner les délais de recours contentieux attachés aux véritables décisions, qu’elles soient réglementaires ou individuelles. L’orthodoxie de la solution garantit que le contrôle de légalité s’exerce sur la source même de la norme et non sur ses simples déclinaisons informatives.

Cette approche préserve la cohérence du système contentieux. L’administré qui souhaite contester une règle générale doit le faire lorsque celle-ci est édictée, soit par la voie d’un recours direct, soit plus tard par la voie de l’exception d’illégalité à l’occasion d’un recours contre une mesure d’application. Toutefois, dans le cas présent, l’acte du 8 août n’est même pas une mesure d’application au sens strict, mais une simple notification, ce qui justifie d’autant plus la position de la cour. La solution est donc juridiquement irréprochable et a une vertu pédagogique en rappelant les mécanismes fondamentaux de la recevabilité du recours pour excès de pouvoir.

B. La rigueur d’une solution imposant à l’agent une vigilance accrue

Au-delà de sa rectitude juridique, la décision révèle la rigueur du système pour l’agent public. D’un point de vue pratique, c’est bien l’acte individuel du 8 août 2022 qui a matérialisé pour l’agente la perte financière. C’est ce document qui l’a personnellement informée de la diminution de sa rémunération, et il est naturel qu’il ait été perçu par elle comme la décision à contester. Or, la présente décision lui oppose que le moment de la contestation était déjà révolu, le véritable acte litigieux étant un arrêté ministériel publié près de deux mois plus tôt au bulletin officiel des armées.

Cette solution impose donc aux fonctionnaires une charge de vigilance considérable. Ils sont tenus de surveiller la publication des textes réglementaires susceptibles d’affecter leur carrière ou leur rémunération et d’agir dans des délais stricts, avant même parfois de recevoir une notification personnelle des effets de ces textes sur leur situation. Si cette exigence est une contrepartie de la sécurité juridique, elle peut paraître sévère pour un agent isolé, pour qui la portée d’un texte général peut ne pas être immédiatement évidente. La décision, bien que fondée en droit, met en lumière une possible déconnexion entre la logique du contentieux administratif et la perception légitime qu’un administré peut avoir de l’acte qui lui cause directement préjudice.

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Hassan KOHEN
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