Par un arrêt en date du 27 février 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a précisé le régime de la rémunération d’un militaire suspendu de ses fonctions et la procédure contentieuse y afférente, tout en exerçant son contrôle sur la légalité d’une sanction disciplinaire. En l’espèce, un major de gendarmerie a été suspendu de ses fonctions pour une durée de quatre mois, période durant laquelle une partie de sa rémunération a été retenue. À l’issue de cette suspension, une sanction de blâme du ministre lui a été infligée pour des faits de manquement à ses obligations professionnelles. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Grenoble pour obtenir l’annulation de cette sanction ainsi que le remboursement des sommes retenues. Par un jugement du 24 avril 2024, le tribunal a rejeté sa demande d’annulation mais a condamné l’État à lui verser une somme de 6 400 euros au titre des retenues sur rémunération. Le ministre des armées a interjeté appel de cette condamnation, tandis que le militaire a formé un appel incident contre le rejet de ses conclusions en annulation. Le litige soulevait ainsi deux questions distinctes. D’une part, il s’agissait de déterminer si la contestation du refus de rembourser la rémunération retenue durant la suspension était soumise au recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires. D’autre part, la cour devait se prononcer sur le bien-fondé du droit au remboursement des primes non versées et sur la légalité de la sanction disciplinaire contestée. La Cour administrative d’appel a jugé que la demande indemnitaire était recevable car elle se rattachait à l’exercice du pouvoir disciplinaire, échappant ainsi à l’obligation de recours préalable. Cependant, elle a infirmé le jugement de première instance en considérant que le militaire n’avait pas droit au remboursement des primes liées à l’exercice effectif des fonctions. Enfin, elle a confirmé la légalité de la sanction, la jugeant proportionnée à la faute commise.
I. La clarification du régime contentieux et financier de la suspension
La décision de la cour apporte une double précision concernant les conséquences de la suspension d’un militaire, en distinguant la recevabilité de sa demande indemnitaire du bien-fondé de celle-ci. Elle admet une interprétation large des exceptions au recours préalable obligatoire avant de procéder à une application stricte des dispositions relatives au maintien de la rémunération.
A. L’extension de l’exception au recours administratif préalable
En matière de contentieux militaire, l’article R. 4125-1 du code de la défense impose, à peine d’irrecevabilité, la saisine de la commission des recours des militaires avant tout recours contentieux relatif à la situation personnelle d’un agent. Toutefois, le même article prévoit une exception notable pour les actes concernant « l’exercice du pouvoir disciplinaire ». En l’espèce, le ministre des armées soutenait que la demande de remboursement des retenues sur traitement était irrecevable, faute pour l’agent d’avoir saisi préalablement ladite commission. La cour écarte cette fin de non-recevoir en adoptant une lecture extensive de la notion d’exercice du pouvoir disciplinaire.
Elle juge en effet que « si la mesure de suspension dont fait l’objet un militaire soupçonné de faute grave, qui est une mesure conservatoire prise dans l’intérêt du service, ne constitue pas une sanction disciplinaire, elle se rattache à l’exercice du pouvoir disciplinaire ». Par conséquent, la décision refusant le remboursement de la rémunération, qualifiée de « modalité particulière d’application de cette décision de suspension », s’inscrit dans le même cadre et bénéficie de la même dérogation procédurale. Cette solution pragmatique évite de scinder le contentieux lié à une procédure disciplinaire et garantit au militaire un accès direct au juge pour contester les conséquences financières d’une mesure conservatoire, même si celle-ci ne constitue pas en elle-même une sanction.
B. La lecture stricte du droit à rémunération de l’agent suspendu
Sur le fond du droit à rémunération, la cour adopte une position inversement rigoureuse, censurant l’analyse des premiers juges. L’article L. 4137-5 du code de la défense dispose que le militaire suspendu conserve sa solde, l’indemnité de résidence et le supplément familial de solde. Le tribunal administratif avait estimé que le militaire avait droit au remboursement intégral de sa rémunération, incluant les primes et indemnités. La cour d’appel annule cette partie du jugement en se fondant sur une interprétation littérale du texte.
Elle constate que l’intéressé a bien perçu les éléments de rémunération garantis par la loi. En revanche, les sommes retenues correspondaient exclusivement à des « primes liées à l’exercice effectif des fonctions ». La cour rappelle ainsi le principe fondamental selon lequel la rémunération accessoire est subordonnée à l’accomplissement du service. La suspension impliquant une interruption de l’exercice des fonctions, elle justifie logiquement la suppression des primes afférentes. Le raisonnement de la cour est sans équivoque : les dispositions de l’article L. 4137-5 du code de la défense « n’emportent pas un droit au versement de primes en l’absence de l’exercice effectif des fonctions ». Cette solution réaffirme une orthodoxie juridique classique en matière de fonction publique, alignant le régime du militaire suspendu sur celui des autres agents publics dans une situation comparable.
II. Le contrôle classique de la sanction disciplinaire
Dans la seconde partie de sa décision, la cour se livre à un contrôle de la sanction disciplinaire qui, bien que moins novateur sur le plan juridique, illustre la méthode d’appréciation du juge administratif en la matière. Elle confirme d’abord que les faits reprochés sont bien constitutifs d’une faute, avant d’en valider la juste proportion avec la sanction prononcée.
A. La caractérisation de la faute professionnelle
Le militaire contestait la matérialité de la faute qui lui était reprochée. La sanction du blâme du ministre était motivée par le fait qu’il avait perturbé les auditions d’une victime et de son père, faisant preuve d’un « comportement indigne ». Il appartient au juge de l’excès de pouvoir de vérifier si les faits sont de nature à justifier une sanction. En s’appuyant sur les pièces du dossier, notamment les comptes-rendus des témoins, la cour reconstitue précisément les événements.
Elle relève que le militaire a fait « irruption dans deux pièces fermées alors même qu’il savait que les auditions étaient en cours » et qu’il a inquiété la victime en lui demandant de « dire la vérité ». La cour en conclut que ce comportement constitue non seulement un « manquement à ses obligations professionnelles », mais caractérise également un « usage abusif de sa qualité professionnelle pour influer sur des témoignages ». La qualification de faute est ainsi solidement établie, le juge soulignant la gravité d’une immixtion dans une procédure judiciaire par un agent dépositaire de l’autorité publique, même en dehors de son service. Cette analyse factuelle rigoureuse est une étape indispensable pour asseoir la légalité de la sanction.
B. L’appréciation de la proportionnalité de la sanction
Une fois la faute établie, le juge doit s’assurer que la sanction retenue par l’administration n’est pas manifestement disproportionnée par rapport à la gravité des faits. En l’espèce, l’agent avait reçu un blâme du ministre, la sanction la plus élevée du premier groupe. La cour prend en considération les « bons états de service de l’intéressé », mais les met en balance avec la nature de la faute commise.
Le comportement de l’agent, en tentant d’influencer des témoignages et en utilisant sa qualité professionnelle à des fins personnelles, a été jugé d’une gravité suffisante pour justifier la sanction infligée. La cour estime en conséquence que « l’autorité disciplinaire n’a pas entaché sa décision de disproportion en prononçant une sanction du premier groupe ». Ce contrôle de proportionnalité, devenu un standard du contentieux disciplinaire, démontre que même une sanction sévère peut être jugée adéquate lorsque la faute porte atteinte aux obligations déontologiques essentielles de l’agent et à l’image du service public. La légalité de la sanction étant confirmée, la cour rejette logiquement les conclusions indemnitaires qui en découlaient.