Cour d’appel administrative de Lyon, le 27 février 2025, n°24LY02138

Par un arrêt en date du 27 février 2025, la Cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à une ressortissante étrangère. En l’espèce, une jeune femme, entrée en France à l’âge de dix-sept ans pour y rejoindre une partie de sa famille, a vu sa demande d’asile rejetée après sa majorité. Elle a par la suite sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale, mettant en avant la présence de proches sur le territoire national ainsi que le suivi d’études supérieures. Le préfet a rejeté sa demande, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de destination. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif a confirmé la position de l’administration. La requérante a donc interjeté appel de ce jugement, arguant notamment que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel que garanti par les textes nationaux et européens. Il s’agissait donc pour le juge d’appel de déterminer si, au regard des éléments constitutifs de la situation personnelle et familiale de l’intéressée, le refus de l’administration excédait son pouvoir d’appréciation en la matière. La Cour administrative d’appel rejette la requête. Elle estime que, malgré la présence de membres de sa famille en France et une inscription dans un cursus universitaire, les liens de l’intéressée avec la société française ne sont pas suffisamment intenses et stables pour considérer que le refus de séjour porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, notamment en raison d’une longue période de séparation d’avec sa mère et de la persistance d’attaches dans son pays d’origine.

La solution retenue par la Cour, tout en s’inscrivant dans une lecture classique des dispositions applicables, témoigne d’une appréciation particulièrement rigoureuse des critères d’intégration (I), ce qui a pour effet de renforcer la prérogative de l’administration dans le contrôle du séjour des étrangers (II).

I. L’appréciation rigoureuse des critères de la vie privée et familiale

La Cour opère une analyse détaillée des éléments avancés par la requérante, qui la conduit à la fois à relativiser l’intensité des liens familiaux invoqués (A) et à souligner la permanence des attaches de l’intéressée avec son pays d’origine (B).

A. La remise en cause de l’intensité des liens familiaux en France

La requérante fondait principalement sa demande sur la présence de sa mère, de ses sœurs, ainsi que d’oncles et tantes sur le territoire français. Toutefois, le juge administratif ne se contente pas de constater l’existence matérielle de ces liens. Il en évalue la consistance et l’ancienneté en relevant que « la requérante a été séparée de sa mère de l’âge d’un an jusqu’à son arrivée en France ». Ce faisant, la Cour signifie que des retrouvailles familiales tardives, après une séparation de longue durée durant l’enfance et l’adolescence, ne suffisent pas à établir un lien dont la rupture caractériserait une atteinte d’une gravité exceptionnelle. De même, l’inscription dans un cursus de licence professionnelle est examinée avec réserve. La Cour note que l’appelante n’apporte « pas de précisions quant au suivi de celle-ci ou à son projet d’étude », ce qui minore la portée de cet élément comme preuve d’une insertion durable. Cette approche démontre que pour le juge, l’intégration ne saurait se déduire de circonstances formelles, mais doit reposer sur des faits concrets et continus attestant d’un véritable ancrage social et personnel.

B. La persistance des attaches dans le pays d’origine

En contrepoint de la faiblesse de son intégration en France, la Cour souligne que l’intéressée ne peut être considérée comme dépourvue de liens avec son pays de naissance. Elle relève ainsi qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la requérante « serait dépourvue d’attaches privées et familiales dans son pays d’origine où elle a vécu jusqu’à l’âge de dix-sept ans et où réside son père ». Cet élément se révèle déterminant dans le raisonnement du juge. Dans le cadre du bilan qu’il opère entre le droit au respect de la vie privée et familiale et les motifs du refus de séjour, la persistance d’un réseau familial dans le pays d’origine constitue un facteur décisif qui vient atténuer la gravité de l’ingérence que représente la décision administrative. La Cour considère implicitement que le retour de l’intéressée dans son pays ne l’isolerait pas, et que le centre de ses intérêts ne s’est pas déplacé de manière irréversible vers la France. La durée de son séjour, entamé seulement à la fin de son adolescence, et le caractère récent de ses efforts d’intégration ne pèsent pas suffisamment lourd face à une vie entière passée dans son pays d’origine.

Cette analyse factuelle stricte, qui sert de fondement au rejet de la requête, illustre également la posture du juge administratif dans son contrôle des décisions de refus de séjour.

II. La portée limitée du contrôle sur le pouvoir d’appréciation de l’administration

L’arrêt confirme le caractère restreint du contrôle exercé par le juge sur les décisions de refus de séjour (A), ce qui entraîne logiquement la validation des mesures d’éloignement qui en découlent (B).

A. La confirmation d’un contrôle restreint à l’erreur manifeste

En écartant le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation « pour les mêmes motifs » que ceux ayant justifié le rejet du grief de violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour rappelle implicitement la nature de son contrôle. Le juge ne substitue pas sa propre évaluation de la situation de l’étranger à celle du préfet. Il se borne à vérifier que la décision de ce dernier n’est pas entachée d’une erreur grossière, d’une disproportion manifeste. En l’espèce, bien que la situation de la requérante présente des éléments humains et sociaux non négligeables, ceux-ci ne sont pas jugés d’un poids tel que la décision du préfet deviendrait manifestement erronée. La Cour valide ainsi une marge d’appréciation importante reconnue à l’administration, qui demeure libre de pondérer les différents éléments de la vie privée et familiale d’un étranger, dès lors que son analyse ne sombre pas dans l’arbitraire. Cette retenue jurisprudentielle réaffirme le principe selon lequel l’octroi d’un titre de séjour pour ce motif n’est pas un droit automatique, mais une faculté laissée à l’appréciation de l’autorité préfectorale sous le contrôle limité du juge.

B. La validation mécanique des décisions accessoires d’éloignement

La légalité de la décision de refus de séjour scelle le sort des mesures subséquentes. La Cour écarte les moyens dirigés contre l’obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination par une simple adoption des motifs des premiers juges. Elle précise que la requérante ne formule aucune « critique sérieuse du jugement attaqué » ou n’apporte « aucun élément nouveau ». Cette approche illustre l’effet en cascade des décisions en matière de police des étrangers. Une fois que le refus de séjour est jugé légal, il constitue une base juridique solide pour l’obligation de quitter le territoire. Les moyens tirés de l’exception d’illégalité deviennent inopérants, et les autres griefs, tels que l’erreur manifeste d’appréciation ou la violation de l’article 8 de la Convention européenne, sont rejetés par une motivation quasi identique. Cette solution, si elle est d’une logique juridique implacable, souligne la difficulté pour un requérant de contester de manière autonome les mesures d’éloignement lorsque le cœur de sa situation, à savoir son droit au séjour, n’a pas été reconnu.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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