Par un arrêt en date du 3 avril 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a précisé les conditions d’appréciation d’un acte anormal de gestion lors d’une cession de titres intragroupe et a clarifié la nature des dépenses de personnel éligibles au crédit d’impôt recherche.
En l’espèce, une société mère d’un groupe fiscalement intégré avait acquis auprès de l’une de ses filiales la totalité des titres d’une autre société. À la suite d’une vérification de comptabilité de la filiale cédante, l’administration fiscale a estimé que le prix de cession était inférieur à la valeur vénale des titres, caractérisant une subvention indirecte constitutive d’un acte anormal de gestion. Par ailleurs, l’administration a remis en cause une partie du crédit d’impôt recherche déclaré par la filiale, en excluant de son assiette des commissions versées à un salarié. Les rappels d’imposition correspondants ont été mis à la charge de la société mère, qui en a demandé la décharge.
Le tribunal administratif de Lyon, par un jugement du 22 novembre 2022, a rejeté la demande de la société. Celle-ci a alors interjeté appel, contestant tant l’évaluation des titres et la qualification d’acte anormal de gestion que le rejet des commissions de l’assiette du crédit d’impôt recherche. La société soutenait notamment que l’évaluation administrative ne tenait pas compte de la dépendance commerciale de l’entité cédée, que l’intention libérale n’était pas établie et que les commissions litigieuses constituaient un accessoire de rémunération éligible. Il était ainsi demandé à la cour de déterminer si la cession de titres entre sociétés d’un même groupe intégré, à un prix jugé inférieur à leur valeur vénale par l’administration, constitue un acte anormal de gestion, et selon quelles modalités cette valeur doit être établie. En outre, la cour devait se prononcer sur l’éligibilité au crédit d’impôt recherche de commissions versées à un salarié exerçant partiellement des activités de recherche.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle valide l’évaluation de l’administration, jugeant que la minoration du prix de cession n’était justifiée par aucune contrepartie ni par l’intérêt propre de la filiale cédante, ce qui établit l’acte anormal de gestion. Elle confirme également que les commissions, liées à l’activité commerciale, ne pouvaient être incluses dans l’assiette du crédit d’impôt recherche, laquelle ne peut comprendre que la part des rémunérations correspondant au temps effectivement consacré aux opérations de recherche.
I. La qualification rigoureuse de l’acte anormal de gestion en matière de cession intragroupe
La décision de la cour administrative d’appel vient confirmer avec orthodoxie la méthode d’analyse de l’acte anormal de gestion appliqué à une cession d’actifs intragroupe. Elle valide d’abord les modalités d’évaluation de la valeur vénale des titres retenues par l’administration (A), avant de caractériser l’existence d’un appauvrissement que l’intérêt propre de l’entreprise ne venait pas justifier (B).
A. La confirmation des méthodes d’évaluation de la valeur vénale des titres
Le juge rappelle que la valeur vénale d’actions non cotées doit être recherchée au plus près du « jeu normal de l’offre et de la demande ». Conformément à une jurisprudence constante, il énonce que « l’évaluation des titres d’une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d’autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes ». C’est seulement en l’absence de telles comparaisons que des méthodes alternatives, telles que la capitalisation des bénéfices ou la valeur mathématique, peuvent être utilisées. En l’espèce, l’administration avait eu recours à une moyenne pondérée de la valeur mathématique et de la valeur de productivité, ce que le juge valide en l’absence de termes de comparaison pertinents.
La cour prend soin de répondre aux arguments de la société requérante, qui contestait l’évaluation. Elle relève que l’administration avait bien tenu compte de la dépendance économique de la société dont les titres étaient cédés, en appliquant une décote de 20 %. De même, elle écarte l’argument selon lequel le fonds de commerce aurait été inexistant du fait de cette dépendance, soulignant qu’une part non négligeable du chiffre d’affaires était réalisée avec des tiers. Enfin, l’augmentation significative du chiffre d’affaires et de la rentabilité de la société entre la date d’acquisition des titres et leur cession justifiait, selon la cour, la forte réévaluation de leur valeur, rendant l’argument de la société requérante inopérant.
B. La caractérisation de l’appauvrissement non justifié par l’intérêt de l’entreprise
Une fois l’écart significatif entre le prix de cession et la valeur vénale établi, il appartenait à la société de justifier cet appauvrissement. La cour rappelle la définition de l’acte anormal de gestion, qui est « l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt ». Pour échapper à cette qualification, la société doit prouver que l’opération, bien que désavantageuse en apparence, était justifiée soit par une nécessité, soit par l’obtention d’une contrepartie.
Or, la société s’est bornée à contester l’intention libérale, arguant de l’absence d’intérêt fiscal à minorer un prix de cession au sein d’un groupe intégré où les plus-values sont neutralisées. Cet argument est écarté par le juge, car la qualification d’acte anormal de gestion s’apprécie au niveau de la seule société qui s’appauvrit, sans égard pour l’intérêt du groupe dans son ensemble. La cour conclut que, dès lors que la société « ne démontre pas que l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l’intérêt de la [société cédante], l’administration doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de cette cession ». La solution est sévère mais classique : la logique du groupe ne suffit pas à justifier un acte qui lèse l’intérêt social propre d’une de ses filiales. La minoration du prix constitue ainsi une subvention indirecte non déductible du résultat de la filiale.
II. L’interprétation stricte des dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche
Le second apport de l’arrêt réside dans son interprétation des dispositions relatives à l’assiette du crédit d’impôt recherche. Le juge se prononce sur la nature des rémunérations à prendre en compte, en excluant celles qui ne présentent pas de lien direct avec l’activité de recherche (A), tout en validant une ventilation des salaires au prorata du temps alloué à cette activité (B).
A. L’exclusion des rémunérations sans lien direct avec l’activité de recherche
La cour était interrogée sur l’éligibilité de « commissions sur affaires apportées » versées à un salarié exerçant également des fonctions de recherche et développement. Le texte applicable vise « les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations ». En se fondant sur la nature même des sommes versées, le juge constate que le contrat de travail stipulait que ces commissions n’étaient dues qu’au titre des « affaires acceptées et réglées en totalité par les clients ».
Cette modalité de calcul a permis à la cour de conclure que ces commissions rémunéraient une activité purement commerciale, sans rapport avec les travaux de recherche. Elle estime ainsi à bon droit que « ces commissions n’avaient aucun lien direct ou indirect avec les activités de recherche menées par l’intéressé et qu’elles ne pouvaient pas être comprises dans l’assiette des crédits d’impôt recherche ». La solution est une application rigoureuse du principe de l’affectation directe des dépenses à l’activité de recherche. La finalité de la rémunération l’emporte sur la qualité du salarié qui la perçoit. Une telle position vise à éviter que le dispositif ne soit détourné pour financer des dépenses de nature commerciale.
B. La validation de la ventilation des salaires au prorata du temps consacré à la recherche
La question se posait ensuite de savoir comment traiter le reste de la rémunération de ce salarié polyvalent. L’administration n’avait pas remis en cause l’intégralité de son salaire, mais l’avait admis dans l’assiette du crédit d’impôt au prorata du temps qu’il consacrait effectivement à l’activité de recherche, soit entre 18 % et 24 % selon les années. La société requérante contestait cette ventilation.
La cour valide sans réserve la méthode de l’administration. Elle juge que l’administration « était fondée, dès lors, à retenir uniquement, pour le calcul des crédits d’impôt recherche litigieux, les montants des salaires, des treizièmes mois et des primes versés (…), auxquels elle a appliqué les pourcentages (…) correspondant au temps qu’il avait consacré à une activité de recherche et de développement ». Cette solution pragmatique est conforme à l’esprit du texte. Elle permet de prendre en compte la réalité du travail des salariés qui ne sont pas exclusivement affectés à la recherche, tout en garantissant que seules les dépenses réellement engagées pour cette activité ouvrent droit à l’avantage fiscal. L’arrêt souligne ainsi l’importance pour les entreprises de documenter précisément le temps de travail alloué par leurs équipes aux différentes missions.