Cour d’appel administrative de Lyon, le 3 avril 2025, n°23LY02111

Par un arrêt en date du 3 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur les conditions d’imposition personnelle de l’associé unique d’une société au titre des revenus réputés distribués. En l’espèce, une société par actions simplifiée unipersonnelle, dont l’associé unique était également le gérant, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité pour la période 2016-2017. N’ayant déposé aucune déclaration de résultats, l’administration fiscale a procédé à une reconstitution de ses recettes. Sur cette base, les sommes correspondantes ont été considérées comme des revenus distribués et imposées entre les mains de l’associé, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, avec application d’une majoration de quarante pour cent.

Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande en décharge de ces impositions, laquelle a été rejetée par un jugement du 25 avril 2023. Il a interjeté appel de cette décision, soulevant divers moyens tenant tant à l’irrégularité de la procédure d’imposition qu’au bien-fondé des rectifications. Le requérant soutenait notamment avoir été privé de certaines garanties procédurales, que la méthode de reconstitution était viciée et qu’il n’avait pu appréhender les sommes litigieuses. Il se posait donc la question de savoir si un contribuable, imposé à titre personnel sur des revenus réputés distribués par sa société, peut utilement se prévaloir d’irrégularités entachant la procédure de contrôle de cette dernière. En outre, il s’agissait de déterminer dans quelle mesure la charge de la preuve pèse sur le contribuable qui conteste tant la méthode de reconstitution des recettes que la disponibilité effective des sommes qui lui sont attribuées.

La Cour administrative d’appel rejette l’ensemble des prétentions du requérant. D’une part, elle écarte les moyens relatifs à la procédure de contrôle de la société en réaffirmant le principe de l’indépendance des procédures. D’autre part, elle juge que le contribuable n’apporte pas la preuve qui lui incombe pour renverser la présomption de distribution ni pour démontrer le caractère erroné de l’évaluation faite par l’administration. La décision de la cour illustre avec rigueur le principe de l’autonomie des procédures fiscales, avant de rappeler les exigences probatoires pesant sur l’associé qui conteste la reconstitution des revenus distribués.

I. La réaffirmation rigoureuse du principe d’autonomie des procédures fiscales

La cour écarte avec fermeté les arguments du requérant relatifs aux vices de procédure en les scindant en deux catégories distinctes. Elle rejette d’abord les moyens qui concernent directement la procédure de contrôle de la société, les jugeant inopérants, puis valide la régularité de la procédure menée à l’encontre de l’associé lui-même.

A. Le rejet des moyens tirés des irrégularités de la procédure d’imposition de la société

L’arrêt applique sans détour le principe de l’autonomie des procédures pour écarter la critique du contribuable relative à la qualification d’opposition à contrôle fiscal. La cour rappelle que les éventuelles irrégularités affectant la procédure d’imposition d’une société de capitaux sont sans incidence sur la validité des impositions établies à l’encontre de l’associé au titre des revenus distribués. Elle énonce que « en vertu du principe d’indépendance des procédures, les moyens relatifs à la régularité de la procédure d’imposition suivie à l’encontre d’une société soumise au régime d’imposition des sociétés de capitaux sont sans influence sur les impositions personnelles mises à la charge des bénéficiaires des revenus de capitaux mobiliers distribués par cette société ». Cette solution, classique en droit fiscal, vise à sanctuariser les procédures en fonction du contribuable visé. Le lien juridique qui unit l’administration à la personne morale est distinct de celui qui la lie à la personne physique de l’associé, même si ce dernier est le « maître de l’affaire ». La solution est logique, car les garanties offertes au contribuable vérifié, ici la société, ne sauraient être invoquées par un autre contribuable, l’associé, dans le cadre d’une procédure distincte.

B. La confirmation de la suffisance des garanties procédurales offertes à l’associé

La cour examine ensuite les moyens de procédure propres à l’imposition personnelle du requérant. Celui-ci se prévalait d’un défaut de motivation de la proposition de rectification et de l’absence de mention de la faculté de saisir le supérieur hiérarchique du vérificateur. La juridiction d’appel rejette ces deux arguments. S’agissant de la motivation, elle adopte une approche pragmatique en relevant que les « mentions n’ont pas été de nature à créer une confusion » et « n’ont d’ailleurs pas fait obstacle à ce que M. B… C… engage, comme il l’a fait utilement, une discussion avec l’administration ». Quant à l’absence d’information sur le recours hiérarchique, l’arrêt précise qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne l’impose, et que la doctrine administrative invoquée n’est pas opposable sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Cette position confirme que seules les garanties substantielles prévues par la loi doivent être scrupuleusement respectées, et que l’omission d’une mention informative non prescrite par un texte n’entache pas la procédure, dès lors qu’elle ne porte pas atteinte aux droits de la défense.

II. La charge de la preuve au cœur de la contestation des revenus réputés distribués

Une fois le terrain procédural purgé, le litige se concentre sur le bien-fondé de l’imposition. La cour administrative d’appel contrôle alors la méthode d’évaluation de l’administration et la réalité de l’appréhension des fonds par l’associé. Dans les deux cas, elle met en exergue le défaut de preuve de la part du contribuable.

A. La validation de la méthode de reconstitution des recettes

Le requérant soutenait que la méthode de reconstitution était « radicalement viciée », arguant notamment que l’administration aurait confondu chiffre d’affaires et base imposable. L’arrêt balaie cette critique en relevant que si le service s’est fondé sur les produits de la société, il a par la suite « tenu compte d’aucune charge au motif qu’elle n’avait pas présenté de justificatifs ». Surtout, la cour note que les charges justifiées par le contribuable au cours de la procédure contentieuse ont bien été déduites. Cette approche démontre que la charge de la preuve des charges déductibles pèse sur le contribuable, ce qui est conforme aux règles applicables en matière de bénéfices industriels et commerciaux. De même, l’argument tiré du caractère excessif des impositions est rejeté, car le requérant « se born[e] à affirmer, sans d’ailleurs l’établir ». La cour rappelle ainsi une règle fondamentale de la procédure contentieuse : une simple allégation, sans élément de preuve tangible, ne saurait suffire à remettre en cause l’évaluation de l’administration, surtout dans un contexte où le contribuable s’est lui-même placé en défaut en ne déposant aucune déclaration.

B. L’échec de la preuve de l’indisponibilité des sommes par l’associé

Le dernier argument du contribuable, et sans doute le plus essentiel, portait sur son incapacité à avoir appréhendé les sommes réputées distribuées. En sa qualité de gérant et associé unique, qualifié de « maître de l’affaire », il est présumé avoir disposé des bénéfices non déclarés. Pour combattre cette présomption, il lui incombait de démontrer l’impossibilité matérielle d’appréhender ces revenus. Le requérant invoquait le fait que la société utilisait ses actifs pour désintéresser ses créanciers. La cour oppose à cet argument un élément factuel dirimant : « la procédure de redressement judiciaire de cette société a été ouverte par un jugement du tribunal de commerce de Saint-Etienne du 13 février 2019 ». Cette date étant postérieure aux années d’imposition en litige (2016 et 2017), l’argument est jugé inopérant. L’arrêt illustre parfaitement la rigueur exigée dans l’administration de la preuve contraire. Le contribuable ne peut se contenter d’invoquer des difficultés financières générales ; il doit établir, par des éléments précis et concordants, que durant les années concernées, les fonds de la société ne lui étaient pas accessibles. En l’absence d’une telle démonstration, la taxation personnelle est pleinement justifiée.

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