Cour d’appel administrative de Lyon, le 30 avril 2025, n°23LY02273

En l’espèce, un professionnel de santé exerçant en son nom propre a bénéficié d’une exonération d’impôt sur le revenu au titre de son installation dans une zone franche urbaine. Ayant par la suite cessé cette activité pour s’établir dans une zone de revitalisation rurale, il a sollicité le bénéfice d’un second dispositif d’exonération prévu pour les créations d’entreprises dans ces territoires. L’administration fiscale a toutefois remis en cause cet avantage, estimant que la nouvelle installation ne constituait pas une création mais un simple transfert d’activité, ce qui le privait du droit à l’exonération en vertu d’une clause d’exclusion légale. Le contribuable a contesté cette rectification, mais sa demande a été rejetée par un jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 12 mai 2023. Il a interjeté appel de cette décision, soutenant d’une part que l’absence de transfert de patientèle ou de moyens matériels caractérisait une création d’activité éligible, et d’autre part qu’il pouvait se prévaloir d’une interprétation administrative de la loi fiscale qui lui était favorable. Le problème de droit soumis à la Cour administrative d’appel de Lyon était donc de déterminer si le déplacement de l’activité d’un professionnel libéral d’une zone d’incitation fiscale à une autre, sans transfert de clientèle, devait s’analyser comme une création d’activité ouvrant droit à une nouvelle exonération ou comme un transfert d’activité faisant échec à ce droit. Par un arrêt du 30 avril 2025, la cour a rejeté la requête. Elle juge que, bien que l’implantation puisse être qualifiée d’entreprise nouvellement créée en l’absence de reprise de patientèle ou de moyens, le changement de lieu d’exercice d’un contribuable ayant déjà bénéficié d’une aide similaire constitue un transfert d’activité au sens de la clause d’exclusion prévue par la loi, rendant impossible l’octroi d’une nouvelle exonération. La cour écarte également l’application de la doctrine administrative invoquée, considérant qu’elle ne contient pas une interprétation divergente du texte fiscal.

La solution retenue par la cour administrative d’appel repose sur une lecture finaliste des dispositifs d’incitation fiscale, consacrant une interprétation stricte de la clause d’exclusion pour transfert d’activité (I). Cette approche conduit au rejet pragmatique des garanties que le contribuable pensait pouvoir tirer tant de la situation de fait que de la doctrine administrative (II).

I. La consécration d’une interprétation stricte de la clause d’exclusion pour transfert d’activité

La cour opère une analyse en deux temps qui, tout en reconnaissant la nouveauté de l’entreprise sur un plan matériel (A), fait prévaloir la finalité anti-optimisation du dispositif légal (B).

A. La distinction entre création d’entreprise et transfert d’activité

Le raisonnement de la juridiction d’appel commence par une concession de prime abord favorable au requérant. Elle admet en effet que l’installation du professionnel de santé dans la nouvelle zone géographique constitue bien une création. Les juges relèvent que « le transfert d’activité de M. A… n’a donné lieu ni à un transfert de la patientèle constituée à Montpellier, ni à la reprise de la patientèle et des moyens d’exploitation du praticien exerçant dans la commune de Parent avant son installation le 28 décembre 2015, de sorte que son activité de kinésithérapeute dans les communes de Parent et Issoire constitue une entreprise nouvellement créée ». Cette première appréciation s’attache à la matérialité économique de l’entreprise, en l’absence de tout lien tangible, que ce soit en termes de clientèle ou d’actifs, avec l’activité précédemment exercée. En droit commun fiscal, de tels critères sont habituellement déterminants pour distinguer une véritable création d’entreprise d’une simple reprise ou d’un transfert. L’approche initiale de la cour semble donc valider la thèse du contribuable, pour qui l’absence de continuité économique suffisait à écarter la qualification de transfert.

B. La prévalence de la finalité anti-optimisation de la loi

Cependant, la cour neutralise aussitôt la portée de cette première constatation en se fondant sur la lettre et l’esprit de la clause d’exclusion spécifique. Elle juge en effet que « ce changement d’implantation de son cabinet paramédical s’analyse comme un transfert d’activité dans une zone de revitalisation urbaine au sens du III l’article 44 quindecies du code général des impôts ». La juridiction déplace ainsi l’analyse du terrain de la continuité économique vers celui de la situation personnelle du contribuable. Le texte légal vise en effet à empêcher qu’un même opérateur économique ne bénéficie successivement de plusieurs régimes d’exonération similaires par le simple jeu de délocalisations. La cour donne son plein effet à cet objectif, en considérant que le simple fait pour un contribuable d’avoir exercé une activité et bénéficié d’une aide de nature comparable dans les cinq années précédentes suffit à qualifier le changement de lieu d’exercice de « transfert ». La notion de transfert est ici entendue dans un sens large, comme le simple déplacement géographique de l’activité du professionnel, indépendamment du sort de ses éléments d’exploitation. Cette interprétation téléologique assure l’étanchéité des dispositifs et prévient les effets d’aubaine.

L’application rigoureuse de la loi fiscale se double d’un examen tout aussi strict des autres moyens soulevés par le requérant.

II. Le rejet pragmatique des garanties invoquées par le contribuable

La cour écarte successivement l’argument tiré de la nouveauté de l’activité (A) et celui fondé sur la doctrine administrative (B), confirmant une approche restrictive des garanties du contribuable.

A. L’appréciation de la condition de nouveauté au regard de la situation du contribuable

La portée de la décision est de lier la nouveauté de l’activité non pas à l’entreprise elle-même, mais à la personne du contribuable qui la porte. Le III de l’article 44 quindecies du code général des impôts est sans équivoque, puisqu’il dispose que l’exonération ne s’applique pas en cas de transfert par « un contribuable ayant bénéficié » d’une aide antérieure. Le législateur a ainsi personnalisé la clause d’exclusion. En appliquant ce texte à la lettre, la cour confirme que la condition de nouveauté s’apprécie au regard du parcours fiscal du porteur de projet. Un entrepreneur qui crée une structure juridiquement et économiquement distincte de la précédente n’est donc pas considéré comme « nouveau » au sens du régime d’incitation s’il a personnellement bénéficié d’une aide similaire dans un passé récent. Cette solution, bien que sévère, est cohérente avec la volonté du législateur de réserver ces aides coûteuses pour les finances publiques à de véritables créations d’activités, et non à des redéploiements géographiques de professionnels déjà installés.

B. L’inefficacité de la doctrine administrative en l’absence d’ambiguïté textuelle

Enfin, le contribuable tentait de se prévaloir des dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, qui permet de se prévaloir d’une interprétation de la loi formellement admise par l’administration. La cour rejette l’argument de manière concise, en jugeant que les instructions et réponses ministérielles invoquées « ne peuvent être regardés comme comportant une interprétation différente de celle qui résulte de la loi fiscale dont il a été fait application ». Ce faisant, elle rappelle une condition essentielle à l’application de cette garantie : la doctrine doit ajouter au texte ou en éclairer une réelle ambiguïté. En l’espèce, les juges estiment implicitement que le texte de l’article 44 quindecies est suffisamment clair pour se suffire à lui-même. La doctrine n’offrant aucune interprétation plus favorable qui ne soit contraire à la loi, elle ne pouvait conférer aucun droit au contribuable. Cette position réaffirme le principe selon lequel la doctrine administrative ne peut prévaloir contre une disposition légale claire et précise, limitant ainsi la portée de la protection qu’elle est susceptible d’offrir.

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Hassan KOHEN
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