Par un arrêt en date du 30 avril 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé par l’autorité préfectorale à un ressortissant de nationalité algérienne.
En l’espèce, un jeune majeur de nationalité algérienne, entré sur le territoire français en octobre 2021 et ayant été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, avait sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Par un arrêté du 30 mai 2023, la préfète du Rhône a rejeté sa demande, assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français et d’une interdiction de retour d’une durée de deux ans. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Lyon a confirmé la décision préfectorale par un jugement du 25 mars 2024. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’arrêté était privé de base légale, l’administration ayant appliqué les dispositions du droit commun en lieu et place de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
Il appartenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si le préfet pouvait légalement fonder son refus sur des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, inapplicables à un ressortissant algérien, et, dans la négative, d’examiner si une substitution de base légale était opérable pour valider la décision contestée.
La cour administrative d’appel de Lyon rejette la requête. Elle relève que l’administration a bien commis une erreur de droit en se fondant sur les articles L. 435-3 et L. 435-1 du code précité, dès lors que l’accord franco-algérien régit de manière complète le droit au séjour des ressortissants algériens. Toutefois, la cour procède à une substitution de base légale, estimant que la décision de refus aurait pu être prise sur le fondement du pouvoir discrétionnaire de régularisation dont dispose le préfet. Examinant ensuite la décision au regard de ce nouveau fondement, elle juge que l’autorité préfectorale n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en refusant d’accorder un titre de séjour au requérant.
Cette décision illustre parfaitement l’office du juge administratif qui, face à une illégalité avérée, peut néanmoins neutraliser ses effets par une technique prétorienne (I), conduisant ainsi à valider sur le fond une décision administrative dont la légalité formelle était pourtant contestable (II).
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I. La neutralisation d’une erreur de droit par l’office du juge
La cour administrative d’appel, tout en reconnaissant le bien-fondé du moyen soulevé par le requérant tenant à l’application erronée du droit commun (A), choisit de faire application de la technique de la substitution de base légale pour sauver la décision préfectorale de l’annulation (B).
A. La réaffirmation de l’exclusivité de l’accord franco-algérien
L’arrêt rappelle avec force un principe constant du droit des étrangers : la primauté des conventions internationales sur la loi interne. En matière de séjour des ressortissants algériens, l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 constitue un corps de règles complet et exclusif. La cour énonce ainsi que cet accord « régissent d’une manière complète les conditions dans lesquelles ils peuvent être admis à séjourner en France et à y exercer une activité professionnelle ». Par conséquent, les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, y compris celles relatives à l’admission exceptionnelle au séjour, ne leur sont pas applicables.
En l’espèce, le préfet avait explicitement fondé son refus sur l’article L. 435-3 de ce code, relatif aux jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance, ainsi que sur l’article L. 435-1. En agissant de la sorte, l’autorité administrative a méconnu le champ d’application respectif des textes et entaché sa décision d’une erreur de droit. Cette censure du fondement juridique initial de l’arrêté était inévitable et s’inscrit dans une jurisprudence bien établie. Le raisonnement du juge d’appel est ici orthodoxe et ne faisait guère de doute, confirmant que le requérant avait correctement identifié une illégalité.
B. Le recours pragmatique à la substitution de base légale
Plutôt que de prononcer l’annulation de l’arrêté, ce qui aurait constitué la conséquence logique de l’erreur de droit constatée, la cour met en œuvre la substitution de base légale. Cet instrument jurisprudentiel permet au juge de l’excès de pouvoir de substituer au fondement juridique erroné un autre texte qui aurait permis à l’administration de prendre la même décision. La cour rappelle les conditions de cette substitution : l’administration devait disposer du même pouvoir d’appréciation et l’intéressé ne devait être privé d’aucune garantie procédurale.
En l’occurrence, le juge considère que le pouvoir de régularisation à titre exceptionnel prévu par l’article L. 435-3 et le pouvoir discrétionnaire général dont dispose le préfet pour régulariser la situation d’un étranger procèdent d’un « même pouvoir d’appréciation ». La substitution est donc jugée possible, et la cour remplace le fondement textuel erroné par le « pouvoir discrétionnaire de régularisation du préfet ». Cette démarche témoigne d’un souci de pragmatisme et d’économie procédurale, évitant une annulation purement formelle qui aurait probablement conduit le préfet à prendre une nouvelle décision identique sur un fondement corrigé.
II. La confirmation du refus de séjour au regard du pouvoir discrétionnaire de l’administration
Une fois la base légale substituée, la cour procède à un nouvel examen de la décision, non plus sous l’angle de sa légalité formelle mais de son bien-fondé matériel (A). Cette analyse, menée sous l’empire d’un contrôle restreint, aboutit à une solution d’espèce qui confirme le large pouvoir d’appréciation de l’administration en matière de régularisation (B).
A. L’exercice d’un contrôle restreint sur l’opportunité de la régularisation
Le changement de fondement juridique entraîne une modification de l’intensité du contrôle juridictionnel. Le juge n’examine plus si les conditions légales pour une admission de plein droit sont réunies, mais vérifie si le préfet, en refusant de faire usage de son pouvoir discrétionnaire, a commis une erreur manifeste d’appréciation. Ce contrôle restreint ne sanctionne que les erreurs grossières, celles qui apparaissent évidentes au premier examen du dossier.
Appliquant ce standard, la cour passe en revue la situation personnelle du requérant. Elle relève que l’intéressé, « célibataire et sans charge de famille », ne démontre pas une insertion suffisante, malgré sa prise en charge passée par les services sociaux. Le juge met en balance les éléments positifs, tels que l’avis favorable de la structure d’accueil, et les éléments négatifs retenus par le préfet : l’absence de liens personnels et familiaux forts en France, l’insuffisance de l’insertion sociale et professionnelle, et surtout un « comportement délictueux ». La cour conclut que, face à ces éléments, l’autorité préfectorale n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en refusant la régularisation.
B. La portée d’une solution d’espèce dictée par le pragmatisme
Cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais plutôt une illustration topique de l’office du juge administratif. La solution retenue est avant tout une décision d’espèce, fortement conditionnée par les faits et notamment par le comportement pénal du requérant. En effet, la cour prend soin de noter que l’intéressé a été reconnu coupable de plusieurs faits et qu’il est « défavorablement connu des services de police », ce qui constitue une menace pour l’ordre public. Cet élément a manifestement pesé de manière décisive dans l’appréciation des juges.
La portée de la décision réside principalement dans sa démonstration de la souplesse des outils dont dispose le juge pour éviter des annulations qu’il estime inopportunes. En neutralisant une erreur de droit par une substitution de base légale, pour ensuite valider la décision au fond par le biais du contrôle restreint, la cour fait preuve d’un réalisme certain. Elle envoie le signal que l’invocation d’une illégalité formelle, même avérée, n’est pas toujours suffisante pour obtenir gain de cause lorsque la décision apparaît matériellement justifiée au regard du large pouvoir d’appréciation de l’administration.