Par un arrêt rendu le 30 avril 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé au conjoint d’une ressortissante française au motif d’une menace à l’ordre public. En l’espèce, un ressortissant serbe, entré en France en 2013, a vu sa demande d’asile rejetée en 2014. Après un éloignement en 2016 suivi d’un retour et d’une nouvelle procédure d’asile clôturée, il s’est marié en 2018 avec une citoyenne française. Après un départ volontaire, il est rentré régulièrement sur le territoire national en mai 2019 et a sollicité un titre de séjour en qualité de conjoint de français. Saisi du dossier, le préfet de la Côte-d’Or a refusé la délivrance du titre par un arrêté du 26 octobre 2023, se fondant sur plusieurs condamnations pénales prononcées en 2015, 2016 et 2017. Le tribunal administratif de Dijon, par un jugement du 20 juin 2024, a annulé cette décision pour erreur manifeste d’appréciation quant à la menace à l’ordre public et a enjoint au préfet de délivrer une carte de séjour temporaire. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’appréciation de la menace était fondée et, à titre subsidiaire, que le refus était également justifié par l’absence de visa de long séjour de l’intéressé. La question de droit soumise au juge d’appel portait donc d’une part sur l’appréciation du caractère actuel de la menace à l’ordre public au regard de condamnations anciennes et, d’autre part, sur la possibilité pour l’administration de substituer en appel un nouveau motif de refus tiré de l’absence de visa de long séjour. La cour administrative d’appel rejette la requête du préfet. Elle confirme l’analyse des premiers juges en jugeant que des faits délictueux anciens de sept années, sans réitération, ne sauraient caractériser une menace actuelle à l’ordre public. En outre, elle refuse la substitution de motif proposée, constatant que le demandeur relevait d’une exception légale à l’exigence d’un visa de long séjour.
La décision commentée réaffirme ainsi l’exigence d’une appréciation concrète et actuelle de la menace à l’ordre public, sanctionnant une utilisation mécanique d’un casier judiciaire ancien (I). Elle illustre également le contrôle rigoureux du juge sur les tentatives de régularisation procédurale de l’administration, notamment lorsque le motif de substitution invoqué se heurte à une exception légale protectrice (II).
I. Le contrôle de l’actualité de la menace à l’ordre public
La cour administrative d’appel confirme le jugement de première instance en fondant son raisonnement sur une appréciation temporelle de la menace à l’ordre public (A), ce qui la conduit à sanctionner l’erreur manifeste d’appréciation commise par l’autorité préfectorale (B).
A. L’appréciation de la menace au prisme de l’ancienneté des faits
Le juge administratif rappelle que l’évaluation d’une menace pour l’ordre public doit reposer sur une analyse globale et individualisée. Il énonce ainsi que « la menace pour l’ordre public s’apprécie au regard de l’ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant le comportement personnel du ressortissant étranger ». Ce principe implique que des condamnations pénales, si elles constituent un élément pertinent, ne sont ni nécessaires ni suffisantes pour justifier un refus de séjour. En l’espèce, le préfet s’était exclusivement fondé sur quatre condamnations prononcées entre 2015 et 2017 pour des faits de vol et de violence. La cour, à l’instar des premiers juges, a estimé que ces éléments n’étaient pas suffisants pour établir que la présence de l’intéressé constituait, au jour de la décision attaquée, une menace pour la sécurité publique.
Le critère décisif de l’analyse réside dans l’écoulement du temps. La cour relève en effet le « caractère ancien de ces faits », commis pour les plus récents en 2016. Elle souligne qu’il n’est pas démontré que l’intéressé se serait de nouveau signalé défavorablement aux services de police « durant une période des sept années à la date de l’arrêté en litige ». Cette approche consacre une exigence d’actualité de la menace, qui ne peut être déduite de manière purement rétrospective. Un comportement délictuel passé, s’il n’est pas suivi de nouveaux agissements répréhensibles sur une période significative, perd sa capacité à fonder, à lui seul, une décision de refus de séjour. La charge de la preuve d’une persistance du danger repose donc sur l’administration, qui ne peut se contenter d’invoquer un casier judiciaire ancien.
B. La sanction de l’erreur manifeste d’appréciation
En retenant une telle analyse, la cour administrative d’appel confirme que le préfet a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de ces faits sur l’ordre public. Bien que l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour évaluer la situation d’un étranger, ce pouvoir s’exerce sous le contrôle restreint du juge, qui sanctionne les appréciations manifestement disproportionnées ou erronées. En considérant que des faits anciens de sept ans, sans aucune réitération, suffisaient à établir une menace actuelle, le préfet a fait une appréciation qui excédait les limites de son pouvoir.
La sanction de l’erreur manifeste d’appréciation dans ce contexte revêt une importance particulière. Elle empêche que le passé pénal d’un individu ne constitue un obstacle perpétuel à son droit au séjour, surtout lorsque des liens familiaux stables et anciens existent avec un ressortissant français. Le contrôle du juge garantit ainsi une forme de droit à l’oubli et favorise une appréciation dynamique de la situation personnelle de l’étranger, centrée sur son comportement récent. En validant l’annulation prononcée par le tribunal administratif, la cour réaffirme que la menace à l’ordre public doit être une réalité tangible et présente, et non une simple conjecture fondée sur des antécédents lointains.
Outre cette censure du motif initial, la cour a également dû se prononcer sur l’argument subsidiaire de l’administration, qui tentait de justifier sa décision par un autre moyen.
II. Le rejet de la substitution de motif en présence d’une exception légale
Face à l’annulation prévisible de son arrêté, le préfet a tenté d’invoquer un nouveau motif en appel, une manœuvre procédurale dont la cour a examiné la recevabilité (A), avant de la rejeter en raison de l’applicabilité d’une dérogation légale au cas d’espèce (B).
A. La tentative de régularisation par la substitution de motif
En cours d’instance, l’administration peut demander au juge de substituer un nouveau motif légal à celui, erroné, qui fondait initialement sa décision. Cette technique permet d’éviter l’annulation d’un acte lorsque l’administration aurait pu prendre la même décision pour une autre raison. En l’espèce, le préfet a demandé à la cour de considérer que son refus était également fondé sur le fait que l’intéressé n’était pas titulaire d’un visa de long séjour, condition de principe posée par l’article L. 412-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour une première délivrance de titre de séjour. Cette demande « doit être regardé comme demandant à la Cour une substitution de motif en ce sens ».
Pour qu’une telle substitution soit admise, plusieurs conditions doivent être réunies. Notamment, le nouveau motif doit reposer sur des circonstances de fait existant à la date de la décision et l’administration doit avoir été en situation de compétence liée ou avoir exercé le même pouvoir discrétionnaire. Surtout, le motif de substitution doit être juridiquement fondé. C’est précisément sur ce dernier point que la tentative du préfet a échoué, la cour ayant procédé à une vérification minutieuse de l’applicabilité de la norme invoquée.
B. L’inopposabilité du défaut de visa au conjoint de Français entré régulièrement
La cour administrative d’appel rejette la substitution de motif en se fondant sur les dispositions spécifiques applicables au conjoint de ressortissant français. Si l’article L. 412-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose la production d’un visa de long séjour, l’article L. 423-2 du même code prévoit une exception notable. Il dispose que « L’étranger, entré régulièrement et marié en France avec un ressortissant français avec lequel il justifie d’une vie commune et effective de six mois en France, se voit délivrer une carte de séjour temporaire […] La condition prévue à l’article L. 412-1 n’est pas opposable ».
La cour applique méthodiquement cette exception aux faits de l’espèce. Elle constate que l’arrêté préfectoral mentionnait lui-même que l’intéressé était « entré régulièrement en France pour la dernière fois le 15 mai 2019 ». Le préfet ne contestant pas dans ses écritures d’appel cette entrée régulière, ni le respect des autres conditions de mariage et de vie commune, la cour en conclut logiquement que l’exception légale était applicable. Par conséquent, l’exigence d’un visa de long séjour ne pouvait être opposée à l’intéressé. Le motif de substitution proposé par le préfet était donc juridiquement inopérant, ce qui justifiait le rejet de sa demande. Cette solution rappelle que la substitution de motif ne peut servir à contourner les exceptions légales protectrices prévues par le législateur, notamment en matière de droit au respect de la vie privée et familiale.