Un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon en date du 30 janvier 2025 apporte un éclairage sur l’étendue du contrôle du juge administratif concernant un refus d’autorisation environnementale pour un parc éolien, fondé sur un avis conforme défavorable du ministre des armées.
En l’espèce, une société a sollicité une autorisation environnementale pour l’implantation de quatre éoliennes. Le ministre des armées a émis un avis défavorable, liant la compétence du préfet, qui a par conséquent rejeté la demande par un arrêté. La société a alors formé un recours gracieux, lequel a été rejeté, puis a saisi la juridiction administrative pour obtenir l’annulation de ces décisions. Elle soutenait principalement que l’avis ministériel était entaché d’illégalité, notamment d’une insuffisante motivation, d’une erreur de droit et d’erreurs d’appréciation, en arguant que le projet s’insérait dans un environnement déjà contraint par d’autres parcs et ne créait qu’un risque additionnel minime pour la navigation aérienne militaire. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, validant ainsi la légalité du refus opposé. Se posait alors la question de savoir si le ministre des armées, en se fondant sur les contraintes opérationnelles spécifiques à une zone d’entraînement, pouvait légalement s’opposer à un projet éolien, et dans quelle mesure le juge pouvait contrôler la pertinence de cette appréciation sécuritaire. La cour a estimé que l’avis défavorable, et par conséquent le refus du préfet, était légalement justifié par les risques concrets que le projet faisait peser sur la sécurité des vols militaires.
La décision confirme la légalité du refus, solidement fondée sur l’avis conforme du ministre des armées (I), tout en précisant la portée du pouvoir d’appréciation de l’autorité militaire en la matière (II).
***
I. La légalité du refus fondée sur l’avis conforme du ministre des armées
La cour rappelle d’abord que le refus du préfet découle d’un mécanisme de compétence liée, l’obligeant à suivre l’avis du ministre (A). Elle s’attache ensuite à vérifier que cet avis repose sur une appréciation concrète et circonstanciée des risques, ce qui en assure la légalité (B).
A. Une compétence liée de l’autorité préfectorale
Le code de l’environnement, en son article R. 181-34, dispose que le préfet est tenu de rejeter une demande d’autorisation environnementale lorsque l’avis d’une autorité, auquel il est fait obligation de se conformer, est défavorable. Pour les projets éoliens, l’article R. 181-32 prévoit que le ministre de la défense rend un tel avis conforme. Il en résulte que le préfet, une fois saisi de l’avis négatif du ministre, n’a d’autre choix que de refuser l’autorisation, sa propre marge d’appréciation étant inexistante.
Dès lors, l’essentiel du contentieux ne porte pas sur la motivation de l’arrêté préfectoral lui-même, mais sur la régularité de l’avis qui le fonde. Comme le souligne la cour, « des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l’autorité compétente pour statuer sur la demande d’autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision ». Ainsi, le juge concentre son contrôle sur la décision de l’autorité militaire, véritable fondement juridique du refus.
B. Une appréciation in concreto des risques pour la navigation aérienne
Le juge administratif s’assure que l’avis ministériel n’est pas une simple décision de principe mais qu’il est étayé par des considérations factuelles précises. En l’occurrence, l’avis du 1er août 2023 exposait que le projet, par sa hauteur et son emprise, induisait « une contrainte supplémentaire préjudiciable à la sécurité des vols et à la réalisation de ces missions », notamment dans un secteur dédié à l’entraînement au vol à très basse altitude (SETBA).
La cour valide cette analyse en se livrant à un examen détaillé des faits. Elle retient que la création du parc aurait pour effet de réduire significativement un couloir de circulation aérienne déjà contraint, diminuant « de huit cents mètres l’espace laissé à la circulation des aéronefs ». Elle note qu’au point le plus étroit, la largeur de passage ne serait plus que de mille quatre cents mètres, ce qui est jugé insuffisant au regard de la vitesse des aéronefs. En se fondant sur ces éléments précis, le juge conclut que l’avis n’est entaché d’aucune erreur d’appréciation, les éoliennes constituant bien un obstacle nouveau et dangereux.
***
II. La portée de la décision quant au pouvoir d’appréciation de l’autorité militaire
Au-delà de la validation du refus, l’arrêt précise les contours du pouvoir du ministre des armées. Il écarte l’idée d’une interdiction de principe dans les zones d’entraînement (A), mais confirme l’existence d’un large pouvoir d’appréciation soumis à un contrôle restreint du juge (B).
A. L’absence d’une servitude d’interdiction de principe
La société requérante soutenait que l’avis était entaché d’une erreur de droit, aucune disposition n’interdisant formellement l’implantation d’éoliennes en zone SETBA. La cour accueille en partie l’argumentation en rappelant que de telles zones ne constituent pas une servitude aéronautique opposable de plein droit. Elle énonce clairement que « quand bien même le secteur SETBA ne constitue pas une servitude aéronautique opposable aux tiers et ne fait pas obstacle, par lui-même, au développement de projets éoliens », le ministre peut légalement en tenir compte.
Cette précision est essentielle : elle signifie que l’appartenance d’un projet à une zone SETBA ne déclenche pas une interdiction automatique. L’autorité militaire ne peut se contenter d’invoquer l’existence de la zone ; elle doit démontrer, pour chaque projet, en quoi celui-ci génère un risque spécifique pour la navigation aérienne, au titre des dispositions du code des transports et du code de l’aviation civile relatives aux obstacles à la navigation aérienne. Le refus doit être motivé par une analyse de dangerosité, et non par un simple classement géographique.
B. La consécration d’un contrôle restreint sur l’opportunité
Si le juge écarte toute interdiction de principe, il n’en exerce pas moins un contrôle limité sur l’appréciation portée par l’autorité militaire. En matière de sécurité de la défense nationale et d’entraînements militaires, le juge administratif se limite traditionnellement au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce, bien que d’autres parcs existent à proximité, la cour refuse de considérer qu’il y aurait une inégalité de traitement, chaque projet devant faire l’objet « d’une appréciation différenciée ».
De plus, elle écarte l’argument selon lequel le respect de la règle « voir et éviter » par les pilotes suffirait à garantir la sécurité. Elle juge au contraire que, dans une zone de vol à très basse altitude et haute vitesse, « le seul respect de la réglementation ne saurait être regardé comme garantissant les autres usagers de l’espace aérien contre tout risque de collision ». En validant cette analyse de risque, malgré des arguments contraires sérieux, la cour confirme le poids prépondérant de l’expertise militaire et la grande latitude dont dispose le ministre pour apprécier l’opportunité d’une implantation au regard des impératifs de sécurité et de défense.