Par un arrêt en date du 30 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a précisé l’étendue des obligations qui incombent à l’administration au titre de l’exécution d’un jugement annulant une sanction disciplinaire, ainsi que les limites de l’office du juge de l’exécution.
En l’espèce, un professeur des écoles avait fait l’objet d’une sanction d’exclusion temporaire de fonctions prononcée par le recteur d’académie. Cette décision fut par la suite annulée par un jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 18 novembre 2022. S’estimant insatisfait des mesures prises par l’administration pour assurer l’exécution de ce jugement, l’agent saisit à nouveau la même juridiction afin qu’elle ordonne une exécution complète. Par un jugement du 29 mars 2024, le tribunal constata qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la demande, considérant que l’administration avait satisfait à ses obligations. L’agent interjeta appel de ce jugement de non-lieu, soutenant que l’exécution demeurait partielle, notamment en ce qui concernait la reconstitution de sa carrière, le bénéfice de certains avantages liés à l’ancienneté, l’effectivité de la reconstitution de ses droits sociaux, ainsi que l’équivalence de son nouveau poste d’affectation. De son côté, l’administration faisait valoir avoir procédé aux mesures de réintégration juridique requises, et que les demandes de nature pécuniaire de l’agent relevaient d’un contentieux indemnitaire distinct.
La question posée à la cour administrative d’appel était de définir l’étendue du contrôle du juge de l’exécution : doit-il se borner à constater l’intervention des actes administratifs procédant à la reconstitution de carrière, ou doit-il s’assurer de l’effectivité de l’ensemble des mesures matérielles qui en sont le corollaire, tout en départageant ce qui relève de l’exécution de ce qui constitue un préjudice réparable par une action distincte ?
À cette question, la cour d’appel répond en annulant le jugement de non-lieu. Elle juge que si les prétentions relatives à la perte de rémunération durant la période d’éviction relèvent d’un litige indemnitaire séparé et sont donc irrecevables devant le juge de l’exécution, l’obligation de reconstituer la carrière de l’agent implique de vérifier la réalité matérielle de la reconstitution de ses droits sociaux et à pension. La simple existence d’un arrêté affirmant cette reconstitution est insuffisante si l’administration n’apporte pas la preuve de son exécution effective.
Cette décision permet de clarifier l’office du juge de l’exécution en ce qui concerne l’effectivité de la reconstitution de carrière (I), tout en réaffirmant la frontière intangible entre la procédure d’exécution et le contentieux indemnitaire (II).
***
I. La clarification de l’office du juge de l’exécution quant à l’effectivité de la reconstitution de carrière
La cour administrative d’appel adopte une position exigeante, en imposant à l’administration de ne pas se contenter d’une simple reconstitution juridique de pure forme (A), mais d’apporter la preuve matérielle de l’accomplissement de toutes ses obligations, notamment en matière de droits sociaux (B).
A. L’obligation d’une reconstitution juridique complète de la carrière
L’annulation d’une sanction emporte l’obligation pour l’administration de replacer l’agent dans la situation qui aurait été la sienne si la décision illégale n’avait jamais été prise. La cour examine avec méthode si cette reconstitution juridique a été correctement opérée. Elle considère que l’agent « doit être regardé comme ayant été juridiquement affecté dans son poste antérieur à la date du 1er septembre 2021 ». Par cette fiction juridique, le juge efface les conséquences directes de l’éviction et rétablit la continuité de la carrière.
Cette approche permet de neutraliser les arguments de l’agent relatifs à une prétendue interruption de service d’une journée. En conséquence, la cour en déduit logiquement que l’agent était bien en droit de percevoir l’avantage spécifique d’ancienneté (ASA), droit qui lui a d’ailleurs été accordé par un arrêté postérieur. De même, elle écarte le grief tiré d’une non-équivalence du poste de réintégration, estimant que les fonctions de directeur d’école qui lui ont été confiées ne sont pas différentes de celles occupées avant la sanction. Sur ces points, le contrôle du juge confirme que l’exécution, sur le plan des actes administratifs, a été réalisée.
B. L’exigence d’une preuve matérielle de la reconstitution des droits sociaux
C’est sur le terrain de l’effectivité des mesures que l’arrêt apporte sa contribution la plus notable. La cour ne se satisfait pas de la seule existence d’un arrêté du 15 mai 2023 mentionnant la reconstitution des droits sociaux et à pension de retraite. Elle relève que l’administration, à qui la charge de la preuve incombe en matière d’exécution, ne démontre pas avoir concrètement procédé aux démarches nécessaires.
Le juge de l’exécution ne peut se contenter d’une simple promesse d’exécution. Il doit s’assurer de sa traduction matérielle. La cour souligne que « le recteur de l’académie de Lyon ne peut être regardé comme ayant apporté la preuve qui lui incombe de l’exécution du jugement du 18 novembre 2022 sur ce point ». Cette exigence est d’autant plus forte qu’elle découle, selon les termes de l’arrêt, directement de l’annulation prononcée et ne constitue pas une demande distincte. L’obligation de verser les cotisations de retraite, tant salariales que patronales, est le prolongement nécessaire de l’annulation de la sanction. En refusant de valider une exécution purement formelle, la cour rappelle que la justice administrative ne se paie pas de mots.
***
II. La frontière réaffirmée entre l’exécution de l’annulation et le contentieux indemnitaire
Si le juge de l’exécution se montre rigoureux quant aux suites directes de l’annulation, il prend soin de ne pas empiéter sur le domaine réservé du juge de plein contentieux. Il opère ainsi une distinction nette entre ce qui relève de l’exécution et les préjudices indemnisables, qu’il s’agisse de prétentions pécuniaires (A) ou du contrôle d’actes administratifs postérieurs (B).
A. Le rejet des prétentions pécuniaires étrangères à l’annulation
La cour écarte sans ambiguïté les demandes de l’agent relatives au versement de son traitement non perçu, à la perte d’une journée de salaire ou de la nouvelle bonification indiciaire. Elle motive cette position par le fait que le jugement initial, dont l’exécution est demandée, était une décision d’annulation pour excès de pouvoir, qui ne comportait aucune condamnation pécuniaire.
Le rôle du juge de l’exécution est de faire appliquer le dispositif d’une décision de justice, non de le compléter ou de le modifier. Les préjudices financiers subis par l’agent du fait de son éviction illégale doivent faire l’objet d’une action en responsabilité distincte, devant le juge de plein contentieux. L’arrêt le formule clairement en qualifiant ces demandes d’irrecevables car elles « relèvent d’un litige distinct ». Cette solution, classique, a le mérite de préserver la cohérence des offices respectifs du juge de l’excès de pouvoir et du juge de plein contentieux, et d’éviter que la procédure d’exécution ne se transforme en une action indemnitaire déguisée.
B. L’exclusion du contrôle des avancements et affectations postérieurs
Dans le même esprit, la cour refuse de se prononcer sur les conséquences de l’éviction illégale sur la carrière de l’agent pour les années scolaires postérieures à la période de sanction. Le calcul de son avancement à l’échelon supérieur ou le bénéfice de l’avantage spécifique d’ancienneté pour les années 2021-2022 et 2022-2023 sont considérés comme des questions qui ne relèvent pas de l’exécution du jugement d’annulation.
Le juge de l’exécution se limite à la période couverte par la décision annulée. Son intervention a pour but de réparer le passé, non de régir l’avenir de la carrière de l’agent, qui dépendra de nouvelles décisions administratives susceptibles, elles-mêmes, de faire l’objet d’un recours. En délimitant ainsi strictement son champ de compétence, la cour administrative d’appel rappelle que l’exécution d’un jugement ne saurait donner lieu à un contrôle permanent de l’administration par le juge. Chaque acte administratif nouveau doit, s’il est contesté, suivre sa propre voie contentieuse.