Par un arrêt en date du 30 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a précisé l’étendue du contrôle de l’inspecteur du travail lorsqu’il est à nouveau saisi d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé après une première annulation juridictionnelle. En l’espèce, une société avait sollicité l’autorisation de licencier un salarié protégé en raison de son inaptitude médicale. Après une première décision administrative, l’inspecteur du travail a, par une décision du 23 décembre 2021, autorisé ce licenciement. Le salarié a alors saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande d’annulation de cette autorisation, ainsi que du rejet implicite de son recours hiérarchique. Par un jugement du 23 mai 2024, les premiers juges ont fait droit à sa demande au motif que l’inspectrice du travail n’avait pas démontré avoir procédé au contrôle de la régularité de la procédure interne à l’entreprise. La société employeuse a interjeté appel de ce jugement.
Se posait alors la question de savoir si l’autorité administrative, statuant à nouveau après une annulation, est tenue de reprendre l’intégralité de la procédure de contrôle et de justifier explicitement de chaque diligence dans sa motivation. De plus, il s’agissait de déterminer si un moyen de fond, déjà tranché par une décision de justice devenue définitive, pouvait être à nouveau soulevé par les parties. La cour administrative d’appel répond par la négative. D’une part, elle juge que l’effectivité du contrôle de l’administration ne se mesure pas à la seule lecture de la motivation de sa décision. D’autre part, elle consacre l’application de l’autorité absolue de la chose jugée pour écarter un moyen précédemment et définitivement jugé.
La portée des obligations de l’administration, lorsqu’elle statue de nouveau sur une demande, se trouve ainsi clarifiée (I), tandis que l’autorité de la chose jugée est fermement appliquée pour clore le débat sur le fond (II).
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I. La clarification des obligations de l’administration après annulation
L’arrêt précise la nature des diligences attendues de l’administration lorsqu’elle est amenée à se prononcer une seconde fois sur une même demande. Il confirme que la procédure interne à l’entreprise n’a pas à être réitérée (A) et affirme que la réalité du contrôle administratif est présumée, indépendamment de sa transcription exhaustive dans la décision (B).
A. Le caractère non nécessaire de la reprise de la procédure interne
La cour rappelle un principe essentiel en matière de contentieux de l’autorisation de licenciement. L’annulation d’un refus d’autorisation n’a pas pour conséquence de vicier la procédure interne menée initialement par l’employeur. En l’occurrence, le salarié soutenait que l’employeur aurait dû reprendre l’ensemble des formalités, notamment l’entretien préalable. La cour écarte ce raisonnement en indiquant que « dès lors que l’annulation contentieuse d’une décision refusant l’autorisation du licenciement d’un salarié protégé, qui ne repose pas sur des vices l’affectant, n’a pas pour effet d’annuler la procédure initiale, il n’incombait pas à l’entreprise de procéder à un nouvel entretien préalable au licenciement ». Cette solution est logique, car les actes de l’employeur, tels que la convocation à l’entretien et la consultation des représentants du personnel, constituent des préalables dont la validité n’est pas remise en cause par l’annulation d’une décision administrative subséquente, sauf si le motif d’annulation portait précisément sur un vice de cette procédure interne. En l’absence d’un tel vice, l’employeur est seulement tenu de maintenir sa demande, ce qu’il a fait en l’espèce, sans avoir à reconstruire l’ensemble de l’édifice procédural.
B. La présomption d’effectivité du contrôle administratif
Le tribunal administratif avait annulé la décision de l’inspectrice du travail au motif qu’elle n’avait pas suffisamment explicité avoir vérifié la régularité de la procédure interne. La cour d’appel censure cette analyse en opérant une distinction fondamentale entre l’existence du contrôle et sa retranscription dans la motivation. Elle juge que « l’effectivité d’un tel contrôle ne saurait être vérifiée au vu de la seule motivation retenue dans sa décision par l’inspectrice du travail ». Pour ce faire, elle relève que l’inspectrice a bien visé les différentes étapes de la procédure interne et mené des enquêtes contradictoires. Ces éléments factuels suffisent à établir que le contrôle a bien eu lieu, même si ses conclusions sur ce point précis ne sont pas formellement détaillées dans les motifs de la décision finale. Cette approche pragmatique évite d’imposer à l’administration un formalisme excessif qui consisterait à devoir répondre point par point à chaque allégation ou à décrire chaque vérification effectuée. La charge de la preuve d’une carence dans le contrôle pèse donc sur le requérant, qui ne peut se contenter d’invoquer le silence de la décision administrative sur un point particulier.
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II. La consécration de l’autorité de la chose jugée sur le fond du litige
Au-delà des aspects procéduraux, l’arrêt se distingue par l’application rigoureuse de l’autorité de la chose jugée pour neutraliser le débat sur le lien entre le licenciement et le mandat du salarié. La cour constate d’abord la cristallisation de la solution juridique sur ce point (A), pour ensuite en déduire une fin de non-recevoir absolue à toute nouvelle discussion (B).
A. La cristallisation de l’absence de lien avec le mandat
Le salarié protégé tentait de soutenir, une nouvelle fois, que la demande de licenciement pour inaptitude dissimulait en réalité une mesure de rétorsion liée à ses mandats. La cour oppose à cet argument une fin de non-recevoir tirée de l’existence d’une décision juridictionnelle antérieure devenue définitive. Elle vise en effet un arrêt de la même cour, en date du 11 janvier 2024, qui avait écarté tout lien entre le projet de licenciement et les fonctions représentatives de l’intéressé. Cette décision a acquis une force particulière dès lors que le pourvoi formé à son encontre « n’a pas été admis par le Conseil d’État ». En conséquence, l’arrêt du 11 janvier 2024 « est revêtu de l’autorité absolue de la chose jugée ». Cette autorité signifie que ce qui a été jugé est tenu pour la vérité légale et ne peut plus être contesté par les mêmes parties dans un litige ultérieur portant sur la même cause. La question du lien avec le mandat est donc juridiquement scellée.
B. L’irrecevabilité de toute nouvelle contestation sur le fond
L’application de ce principe emporte une conséquence radicale sur l’argumentation du salarié. La cour administrative d’appel en déduit logiquement que « le moyen tiré d’un lien avec le mandat ne peut qu’être écarté ». L’absence de « toute circonstance nouvelle de fait ou de droit » invoquée par l’intéressé rend toute nouvelle analyse de ce point impossible. Le juge n’a plus à examiner les mérites de l’argumentation, celle-ci étant devenue irrecevable. Cette solution illustre la fonction stabilisatrice de l’autorité de la chose jugée, qui vise à garantir la sécurité juridique et à mettre un terme définitif aux litiges. En l’espèce, elle permet de clore un débat récurrent et de recentrer l’examen de l’administration, puis du juge, sur les seuls points qui n’ont pas encore été tranchés de manière irrévocable. La légalité de l’autorisation de licenciement s’apprécie alors au regard des autres conditions, à l’exclusion d’un moyen de fond définitivement purgé.