La cour administrative d’appel de Lyon, par un arrêt rendu le 4 avril 2025, précise le régime juridique des titres-restaurant pour les agents publics en télétravail. Une organisation syndicale a sollicité l’annulation d’une délibération du 26 avril 2021 définissant les modalités du travail à distance au sein d’une collectivité territoriale. Le requérant estimait que cet acte réglementaire devait impérativement organiser la prise en charge des frais de restauration pour les agents exerçant leurs fonctions hors des locaux.
Le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande par un jugement du 3 août 2022, provoquant l’introduction d’un recours devant la juridiction d’appel. Après une transmission partielle du litige au Conseil d’État, l’affaire est revenue devant les juges lyonnais pour statuer sur la légalité de la délibération contestée. L’organisation syndicale invoquait notamment la méconnaissance du décret du 11 février 2016, une incompétence négative ainsi qu’une violation manifeste du principe d’égalité de traitement.
La question de droit soumise à la cour porte sur l’obligation pour une administration d’intégrer le régime des titres-restaurant dans l’acte organisant le télétravail. Il s’agit de déterminer si cette prestation d’action sociale est indissociable des conditions d’exercice des fonctions des agents publics lorsqu’ils travaillent à leur domicile. Les juges rejettent la requête en distinguant les mesures d’organisation du service des prestations sociales dont la nature juridique demeure indépendante de la délibération attaquée.
L’analyse de cette décision suppose d’aborder la consécration du principe de parité entre agents (I), puis d’étudier l’autonomie fonctionnelle de la délibération relative au télétravail (II).
I. La consécration du principe de parité entre les agents publics
A. L’assimilation textuelle des droits du télétravailleur
Le juge administratif rappelle les dispositions du décret du 11 février 2016 relatif aux conditions de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique. Ce texte énonce clairement que « les agents exerçant leurs fonctions en télétravail bénéficient des mêmes droits et obligations que les agents exerçant sur leur lieu d’affectation ». Cette règle de parité impose à l’employeur public de traiter de manière identique les agents, indépendamment du lieu géographique où s’exécute le service.
L’égalité de traitement concerne tant les droits statutaires que les avantages liés à l’exercice effectif des missions professionnelles confiées par l’administration aux agents. La cour confirme ainsi que le télétravail constitue une simple modalité d’organisation des tâches sans influence sur le volume des droits reconnus aux fonctionnaires. Cette interprétation stricte garantit une neutralité du mode d’exercice de l’activité sur la situation administrative individuelle de chaque agent membre d’un service public.
B. Une solution protectrice de la situation des agents
L’arrêt souligne que les agents en télétravail bénéficient du « même droit à l’attribution de ces titres que s’ils exerçaient leurs fonctions sur leur lieu d’affectation ». Cette affirmation renforce la protection des travailleurs à distance contre toute discrimination potentielle fondée sur l’absence physique dans les locaux de la collectivité. Le droit aux titres-restaurant est donc maintenu dès lors que les conditions générales d’attribution définies par l’administration sont par ailleurs remplies.
La valeur de cette solution réside dans la sécurisation du cadre juridique du travail à distance, lequel ne saurait servir de prétexte à des économies budgétaires. Le juge s’assure que l’innovation organisationnelle respecte les acquis sociaux des agents tout en maintenant une cohérence avec le droit commun de la fonction publique. Cette garantie de parité constitue le socle indispensable au développement serein du télétravail au sein des administrations territoriales et des services de l’État.
II. L’autonomie fonctionnelle de la délibération relative au télétravail
A. L’exclusion des prestations d’action sociale du champ organisationnel
La cour administrative d’appel de Lyon opère une distinction technique fondamentale entre l’organisation du temps de travail et le régime des prestations sociales facultatives. Elle relève que la délibération litigieuse précise les activités éligibles, les règles de sécurité des systèmes d’information ou encore les modalités de contrôle du temps de travail. En revanche, cet acte administratif « n’a ni pour objet ni pour effet d’organiser la délivrance des titres-restaurants durant les périodes de télétravail ».
Le juge considère que les titres-restaurant relèvent de l’action sociale, dont le régime juridique est distinct de celui fixant les conditions générales du télétravail. L’administration n’était donc pas tenue d’intégrer ces modalités de restauration dans l’acte attaqué, celui-ci se limitant aux seules nécessités fonctionnelles du service public. Cette séparation des objets juridiques justifie l’absence de mention des titres de restauration sans pour autant entraîner l’illégalité de la délibération de la collectivité.
B. Une rigueur juridique limitant l’invocabilité des moyens
Les moyens tirés de l’incompétence négative et de la méconnaissance du principe d’égalité sont déclarés inopérants par la cour en raison de cette distinction. Puisque la délibération ne régit pas l’action sociale, l’absence de précisions sur les tickets-restaurant ne peut être utilement contestée dans le cadre de ce recours. La portée de l’arrêt réside dans la délimitation stricte du périmètre des actes réglementaires organisant le travail à distance au sein des structures publiques.
Cette décision invite les organisations syndicales à orienter leurs recours contre les actes spécifiques régissant l’action sociale de l’employeur plutôt que contre les chartes d’organisation. La solution retenue témoigne d’une volonté de préserver la clarté des compétences administratives en évitant la confusion entre les différents leviers de la gestion publique. Les juges lyonnais confirment ainsi une méthodologie rigoureuse qui protège la validité des actes administratifs contre des griefs étrangers à leur objet principal.