Par un arrêt en date du 5 février 2025, la Cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conséquences pécuniaires d’une procédure de licenciement pour inaptitude physique d’un agent contractuel de la fonction publique hospitalière.
Une agente, employée en qualité d’ergothérapeute et de psychomotricienne, a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail après un congé de maladie. Une longue période de plus de quinze mois s’est écoulée entre la fin de son congé maladie et la notification effective de son licenciement pour inaptitude physique. Durant cet intervalle, l’agente n’a pas repris son service mais a continué à percevoir l’intégralité de sa rémunération. Suite au licenciement, l’établissement employeur a émis un titre de recette afin d’obtenir le remboursement des sommes versées pendant cette période.
Saisi par l’agente d’une demande d’annulation de l’ordre de recouvrer et d’une demande d’indemnisation pour congés non pris, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté son recours par un jugement du 11 mai 2023. L’agente a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la créance de l’administration était dépourvue de base légale, le délai de la procédure de licenciement ne lui étant pas imputable. L’établissement public faisait valoir quant à lui que le versement de la rémunération était indu en l’absence de service fait et que la longueur de la procédure résultait de contraintes indépendantes de sa volonté.
Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si un employeur public, ayant maintenu la rémunération d’un agent déclaré inapte durant une procédure de licenciement prolongée, est en droit d’en exiger le remboursement lorsque ce délai ne résulte pas d’une carence fautive de sa part.
La Cour administrative d’appel répond par l’affirmative en rejetant la requête. Elle juge que l’absence de service fait prive l’agent du droit à rémunération et que les circonstances ayant allongé la procédure de licenciement, n’étant pas imputables à une faute de l’administration, ne font pas obstacle à la répétition de l’indu. Cette solution, qui confirme la rigueur du principe de service fait, interroge sur la situation de l’agent durant l’attente de la rupture de son contrat.
**I. La confirmation du droit au remboursement des rémunérations indûment versées en l’absence de faute de l’administration**
La Cour fonde sa décision sur l’articulation de deux éléments déterminants : l’absence de contrepartie au versement du traitement, conformément au principe du service fait (A), et la caractérisation d’un allongement de la procédure non imputable à une faute de l’employeur (B).
A. Le rappel du principe du service fait comme condition du droit à rémunération
Le droit à rémunération dans la fonction publique est la contrepartie de l’accomplissement effectif des missions confiées à l’agent. En l’espèce, la juridiction relève que l’agente « a perçu entre le 1er novembre 2018 et 17 mars 2020 un plein traitement alors que son précédent congé de maladie avait pris fin le 31 octobre 2018 et qu’elle ne s’est pas présentée à son poste durant toute cette période ». La solution est donc fermement ancrée dans le principe fondamental dit du « service fait ».
Ce principe implique que toute rémunération versée en dehors de l’exercice des fonctions ou d’une position statutaire y ouvrant droit, comme un congé de maladie régulièrement accordé, est dépourvue de cause. L’administration qui a versé par erreur une telle rémunération a non seulement le droit, mais aussi l’obligation d’en demander le remboursement. Le caractère non contesté du montant perçu et de l’absence de travail effectif a rendu l’application de ce principe particulièrement directe. La défense de l’agente ne portait pas sur la matérialité du versement, mais sur l’imputabilité de la situation qui l’avait généré.
B. L’appréciation de l’absence de carence fautive de l’employeur dans le déroulement de la procédure
La question centrale était de savoir si l’employeur, par sa conduite, avait perdu son droit à répétition de l’indu. L’agente soutenait en substance que le maintien de sa rémunération était la conséquence d’un délai de licenciement excessif qui devait être supporté par l’établissement. La Cour écarte cet argument en procédant à une analyse détaillée des causes de ce délai.
Elle constate que la longueur de la procédure s’explique par les garanties spécifiques applicables au licenciement d’un agent protégé et par des circonstances externes. L’arrêt souligne que « Eu égard aux contraintes de la procédure de licenciement d’un agent contractuel et à l’impossibilité pour l’administration de préjuger de l’issue de la procédure menée devant la commission (…) le maintien de manière temporaire (…) du plein traitement (…) ne peut être considéré comme une carence fautive imputable à l’administration ». La juridiction prend en compte le contentieux ayant retardé la réunion de la commission consultative paritaire, qu’elle qualifie de raison indépendante de l’employeur. En exonérant l’établissement de toute faute, elle prive l’agente de son unique moyen de défense pour s’opposer au remboursement, confirmant ainsi la légalité de la créance.
**II. La portée de la solution au regard de la situation de l’agent inapte non encore licencié**
Au-delà de la stricte question du remboursement, l’arrêt éclaire de manière rigoureuse le statut de l’agent durant la période d’attente entre la constatation de l’inaptitude et le licenciement. Cette période se révèle être un vide juridique, excluant notamment tout droit à congés payés (A) et accentuant la précarité de la situation de l’agent (B).
A. L’exclusion du droit à congés payés durant la période intercalaire
De manière logique et en application des mêmes principes, la Cour rejette la demande de l’agente visant à obtenir le paiement de congés payés pour la période en litige. La décision est lapidaire mais sans équivoque : l’agente « n’est pas davantage fondée à solliciter le versement d’une somme au titre de congés payés lui étant dus (…) en l’absence de service fait ou de placement en congé de maladie ».
Cette position confirme que la période d’attente ne peut être assimilée ni à une période de travail effectif, ni à une position statutaire ouvrant droit à l’acquisition de congés. L’agent qui n’est plus en congé maladie mais qui ne peut reprendre son poste pour une raison qui lui est propre, et qui n’est pas encore licencié, se trouve dans une situation où le lien fonctionnel est suspendu de fait. Les droits attachés à l’activité de service, tels les congés, sont par conséquent également suspendus. La solution est juridiquement cohérente mais souligne la sévérité du régime applicable.
B. La précarisation de la situation de l’agent en l’attente de la rupture du lien contractuel
Si la décision est irréprochable sur le plan du droit de la comptabilité publique et du statut de la fonction publique, elle met en lumière la grande vulnérabilité de l’agent contractuel déclaré inapte. Durant plus de quinze mois, l’agente s’est trouvée dans une incertitude totale quant à son avenir professionnel, sans pour autant que son employeur soit jugé fautif. Le versement de son traitement a pu légitimement lui laisser croire au maintien de ses droits, créant une sécurité financière illusoire et temporaire.
La restitution d’une somme avoisinant trente mille euros, bien que légale, place l’ancienne agente dans une situation financière difficile, conséquence directe d’une procédure administrative dont la complexité et la durée la dépassaient entièrement. L’arrêt illustre ainsi une tension entre la nécessité pour l’administration de respecter des procédures de licenciement complexes, notamment pour les agents protégés, et l’absence de dispositif protecteur pour l’agent durant cette phase intercalaire. Bien qu’aucune faute ne soit retenue contre l’employeur, la portée de la décision révèle une faille dans la gestion de la transition professionnelle des agents devenus inaptes.