Cour d’appel administrative de Lyon, le 5 février 2025, n°24LY01074

Par un arrêt en date du 5 février 2025, une cour administrative d’appel a statué sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger en situation irrégulière. Cette décision portait sur une obligation de quitter le territoire français sans délai, assortie d’une interdiction de retour d’une durée d’un an. L’enjeu principal du litige résidait dans l’articulation entre les impératifs de la politique migratoire et la protection du droit au respect de la vie privée et familiale.

En l’espèce, un individu entré sur le territoire national en 2022 avait été interpellé près de deux ans plus tard pour divers délits, notamment la conduite sans permis et sous l’emprise de stupéfiants. À la suite de cette interpellation, le préfet compétent avait édicté à son encontre un arrêté l’obligeant à quitter le territoire. L’intéressé entretenait une relation stable avec une ressortissante française, marquée par la perte d’un enfant mort-né et une nouvelle grossesse en cours, pour laquelle une reconnaissance anticipée avait été effectuée.

Le tribunal administratif, saisi en première instance, avait annulé l’arrêté préfectoral. Les premiers juges avaient en effet considéré que la mesure d’éloignement portait une atteinte disproportionnée au droit de l’intéressé au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’appréciation du tribunal était erronée. Le requérant initial, pour sa part, a maintenu ses arguments et soulevé d’autres moyens, tirés notamment de la méconnaissance de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Il revenait ainsi à la cour administrative d’appel de déterminer si une vie commune récente, mais caractérisée par des projets parentaux forts, suffisait à constituer un obstacle à une mesure d’éloignement justifiée par la situation irrégulière de l’étranger et par une menace, même relative, pour l’ordre public. En d’autres termes, le juge devait arbitrer entre la protection d’une vie familiale en cours de constitution et les prérogatives de l’administration en matière de contrôle des flux migratoires. La cour a finalement infirmé le jugement de première instance, estimant que la décision du préfet n’était pas entachée d’une erreur d’appréciation. Elle a jugé que le caractère récent de la vie commune primait sur les autres éléments personnels et familiaux.

Cette solution, qui consacre une appréciation stricte des conditions de stabilité des liens familiaux, mérite d’être examinée. Elle illustre une approche rigoureuse de la part du juge administratif dans le contrôle de proportionnalité (I), une rigueur qui se manifeste également dans l’examen des autres moyens soulevés par le requérant (II).

I. La réaffirmation d’une appréciation stricte de la vie privée et familiale

La cour administrative d’appel, en annulant le jugement de première instance, a opéré un contrôle de proportionnalité rigoureux de l’atteinte portée à la vie privée et familiale de l’intéressé. Elle a fondé son analyse sur la prééminence du caractère récent de la relation (A), ce qui a eu pour effet de neutraliser la portée des autres éléments constitutifs de la vie familiale (B).

A. La primauté accordée au caractère récent de la cohabitation

Le juge d’appel a estimé que l’arrêté préfectoral ne méconnaissait pas les stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour parvenir à cette conclusion, il a accordé une importance décisive à la durée de la vie commune du couple. La cour relève en effet que « à la date de l’arrêté en litige, en raison du caractère récent de la vie commune du couple, d’une durée inférieure à une année, c’est à tort que le premier juge a considéré » que la décision portait une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale du requérant.

Ce faisant, la cour applique une grille d’analyse classique en matière de contentieux des étrangers, où la durée et la stabilité des liens tissés en France constituent un critère essentiel d’appréciation. La brièveté de la cohabitation, ici inférieure à un an, est interprétée comme le signe d’une intégration familiale encore insuffisante pour faire obstacle à une mesure d’éloignement. Le raisonnement de la cour est fondé sur une appréciation des faits à la date de l’édiction de l’acte attaqué, ce qui constitue un principe constant du contentieux administratif. À cette date, la relation, bien que sérieuse, n’avait pas atteint le seuil de stabilité que le juge semble considérer comme requis.

B. La neutralisation des éléments prospectifs de la vie familiale

En se concentrant sur la durée de la vie commune, la cour a relégué au second plan des éléments qui auraient pu témoigner d’une réalité familiale plus complexe. Le projet parental du couple, pourtant matérialisé par une grossesse en cours et une reconnaissance anticipée de l’enfant à naître, n’a pas été jugé suffisant pour infléchir la décision. De même, le traumatisme lié à la perte d’un premier enfant n’a pas été retenu comme un facteur déterminant dans la balance des intérêts.

Cette approche révèle une certaine réticence du juge à intégrer dans son contrôle des éléments prospectifs, comme la naissance à venir d’un enfant, ou des événements passés qui, bien que structurants sur le plan personnel, n’ont pas de traduction juridique immédiate en termes de filiation établie avec un enfant vivant. La décision témoigne ainsi d’une lecture très factuelle de la vie familiale, privilégiant les situations consolidées au détriment de celles en voie de constitution. Cette méthode, si elle offre une sécurité juridique en s’appuyant sur des critères objectifs, peut paraître restrictive au regard de la complexité des situations humaines.

Cette analyse rigoureuse des liens familiaux trouve un écho dans l’examen par la cour des autres arguments soulevés par le requérant, notamment celui relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant.

II. L’examen circonscrit des autres garanties et moyens invoqués

Au-delà de la question centrale de la vie privée et familiale, la cour a examiné les autres moyens soulevés par l’administré, mais en a écarté la pertinence. Elle a ainsi adopté une lecture restrictive de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant (A), tout en validant sur le plan formel la légalité des décisions de l’administration (B).

A. Une application conditionnée de l’intérêt supérieur de l’enfant

Le requérant invoquait la méconnaissance des stipulations de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. La cour écarte ce moyen en soulignant qu’« à la date de l’arrêté en litige, le couple n’avait pas d’enfant ». Ce faisant, elle lie directement l’application de cette garantie à l’existence d’un enfant né et vivant, excluant de son champ l’enfant à naître. Cette interprétation s’inscrit dans une jurisprudence établie qui considère que la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut être invoquée que de manière très limitée avant la naissance.

De plus, la cour rejette l’argument tiré de la présence de la fille mineure de la compagne, au motif que l’intéressé « ne justifie pas des relations particulières qu’il entretiendrait avec elle ». Cette exigence probatoire place la charge de la preuve sur l’étranger, qui doit démontrer l’existence de liens affectifs et éducatifs suffisamment forts avec l’enfant de son conjoint pour que l’intérêt de celui-ci soit pris en compte. Cette position confirme que la simple cohabitation ne suffit pas à établir une prise en charge effective justifiant la protection au titre de l’intérêt supérieur de l’enfant.

B. La validation formelle des décisions administratives

Enfin, la cour se penche sur les moyens de légalité externe et interne dirigés contre les décisions de refus de délai de départ volontaire et d’interdiction de retour. Elle écarte le moyen tiré de l’insuffisante motivation en constatant que l’arrêté vise les dispositions légales pertinentes et expose les motifs de fait justifiant les mesures, notamment l’entrée irrégulière et l’absence de garanties de représentation. Cette analyse pragmatique confirme que la motivation, pour être suffisante, doit être intelligible et permettre à l’intéressé de comprendre les raisons de la décision, sans pour autant exiger un détail exhaustif.

De même, le moyen tiré de l’incompétence du signataire de l’acte est rejeté comme manquant en fait, la cour ayant vérifié l’existence d’une délégation de signature valide et publiée. La portée de cet arrêt est donc aussi de rappeler que la légalité d’une mesure d’éloignement, si elle est soumise à un contrôle de proportionnalité approfondi, repose également sur le respect par l’administration de ses obligations procédurales. En validant l’ensemble des décisions, l’arrêt renforce la portée des prérogatives préfectorales, dès lors que celles-ci sont exercées dans le respect des formes et sans erreur manifeste d’appréciation au regard des faits à la date de la décision.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture