La Cour administrative d’appel de Lyon a rendu, le 5 juin 2025, un arrêt relatif à la réintégration de bénéfices consécutive à une cession occulte. Cette décision traite de la valorisation des éléments incorporels d’un fonds de commerce et de la justification des dettes inscrites au passif du bilan.
Une société de négoce de véhicules a succédé à une entreprise précédente, reprenant ses moyens d’exploitation et sa clientèle sans verser de contrepartie financière au cédant. L’administration fiscale a considéré que ce transfert caractérisait une libéralité et a réévalué l’actif net, tout en réintégrant des sommes portées au compte courant d’associé.
Le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés par un jugement du 15 septembre 2023. La société requérante a alors interjeté appel devant la juridiction lyonnaise en contestant l’existence d’une cession de fonds de commerce et la valeur retenue.
Le juge devait déterminer si la poursuite d’une activité identique avec les mêmes moyens techniques et commerciaux caractérise une transmission gratuite d’éléments incorporels taxable à l’impôt. La Cour confirme que la reprise de la clientèle et de la dénomination sociale constitue une libéralité dès lors qu’aucun prix n’a été stipulé contractuellement.
L’étude de cette solution conduit à examiner d’abord l’identification du transfert occulte d’un fonds de commerce, avant d’analyser le traitement fiscal des flux financiers injustifiés.
I. L’identification d’un transfert occulte d’éléments incorporels
A. La caractérisation d’une libéralité par un faisceau d’indices
Le juge administratif valide la requalification de l’opération en s’appuyant sur une convergence d’éléments matériels démontrant la continuité de l’exploitation entre les deux personnes morales. Il souligne que la nouvelle structure a utilisé une « dénomination sociale, constitutive des éléments distinctifs et attractifs de la clientèle » identique à celle de son prédécesseur. La reprise d’un emprunt bancaire en contrepartie de l’apport du fonds confirme la volonté de transférer les actifs essentiels nécessaires à l’exercice de l’activité.
L’existence d’une clientèle propre est établie par le volume d’affaires réalisé antérieurement, peu importe que les ventes soient effectuées via des plateformes de commerce électronique. Pour la Cour, le « transfert sans contrepartie des éléments incorporels du fonds de commerce (…) doit être regardé comme établi » malgré l’absence d’immobilisations corporelles transmises. Cette qualification juridique permet alors de s’interroger sur les modalités de détermination de la valeur des éléments incorporels ainsi transmis.
B. La validation de la méthode d’évaluation par comparaison
L’administration fiscale fonde son redressement sur une méthode de comparaison avec des mutations portant sur des entreprises similaires situées dans un secteur géographique proche. Le vérificateur a retenu un taux moyen fondé sur le chiffre d’affaires, lequel se situe dans la fourchette basse des données économiques sectorielles habituelles. La Cour estime que la méthode est pertinente car elle s’appuie sur des sociétés réalisant un chiffre d’affaires comparable dans le domaine du négoce automobile.
La société appelante ne produit aucun élément alternatif ou terme de comparaison sérieux pour contester l’évaluation de l’administration fiscale fixée à plus de cent soixante mille euros. Le juge considère donc que la valeur vénale retenue n’est pas exagérée au regard des bénéfices et de la notoriété de l’entreprise cédante sur son marché. La constatation de cette augmentation d’actif imposable s’accompagne nécessairement d’un contrôle rigoureux de la sincérité des dettes inscrites au passif.
II. Le redressement des passifs injustifiés et des flux détournés
A. L’exigence de justification de la réalité des dettes au passif
Le code général des impôts impose au contribuable de démontrer la réalité des créances de tiers portées au bilan pour diminuer l’actif net de l’entreprise. En l’espèce, des chèques de clients destinés à l’ancienne structure ont été encaissés directement sur le compte bancaire de la nouvelle société de négoce automobile. Ces sommes ont été simultanément inscrites au crédit du compte courant d’associé du dirigeant, créant ainsi une dette fictive de la société envers son gérant.
L’administration démontre que ces encaissements correspondent à des recettes détournées qui n’ont jamais transité par la comptabilité de l’entreprise initialement créancière de ces paiements. Le contribuable doit « justifier, par la production de tous éléments suffisamment précis, de l’inscription d’une dette au passif » pour éviter la réintégration des sommes. La Cour juge que l’absence de justificatifs probants autorise le service vérificateur à regarder ce solde créditeur comme un passif injustifié réintégrable au résultat imposable.
B. La présomption d’intention libérale issue de la communauté d’intérêts
La preuve d’une libéralité repose sur l’existence d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale, doublée d’une intention d’octroyer un avantage. Cette intention libérale est présumée par la jurisprudence fiscale lorsque les parties à l’opération sont unies par une étroite communauté d’intérêts financiers et personnels. Le gérant et associé principal de la société bénéficiaire exerçait également les fonctions de dirigeant et d’associé unique au sein de la structure cédante.
Cette identité de direction facilite les transferts d’actifs occultes et les manipulations comptables visant à éluder l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice clos. La Cour administrative d’appel de Lyon confirme ainsi le bien-fondé des pénalités pour manquement délibéré en raison de la nature intentionnelle des omissions déclaratives constatées. Le rejet de la requête souligne la sévérité du juge envers les montages juridiques dépourvus de substance économique réelle entre des entités liées.