Par un arrêt en date du 5 juin 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus de titre de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français sans délai et d’une interdiction de retour. En l’espèce, un ressortissant du Kosovo, entré en France en 2015 et s’y étant maintenu sans titre de séjour, avait sollicité son admission exceptionnelle au séjour. L’intéressé faisait valoir une présence de neuf années sur le territoire, une vie familiale marquée par la présence de son épouse et de leurs quatre enfants mineurs, ainsi qu’une promesse d’embauche dans un secteur en tension. L’autorité préfectorale a toutefois rejeté sa demande par un arrêté du 2 janvier 2024, lui a enjoint de quitter le territoire sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d’une durée d’un an, motivant notamment sa décision par le fait que l’étranger s’était déjà soustrait à deux mesures d’éloignement antérieures. Saisi d’un recours, le tribunal administratif de Lyon a confirmé cette analyse par un jugement du 3 juin 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant l’ensemble des mesures prises à son encontre et invoquant notamment une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi qu’une erreur manifeste d’appréciation de sa situation. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si une intégration sociale et professionnelle et des liens familiaux anciens peuvent prévaloir sur une situation de séjour continûment irrégulière et sur le non-respect de précédentes décisions d’éloignement pour justifier la délivrance d’un titre de séjour. La Cour administrative d’appel de Lyon répond par la négative, considérant que le comportement de l’étranger, qui s’est soustrait à plusieurs reprises à des mesures d’éloignement, fait obstacle à la reconnaissance d’un droit au séjour malgré une présence prolongée et des attaches en France. Elle juge ainsi que le refus de titre ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale et n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation.
I. La confirmation d’une appréciation rigoureuse des conditions d’admission au séjour
La cour administrative d’appel valide la démarche de l’autorité préfectorale en opérant une balance des intérêts où le passé administratif de l’étranger pèse de manière décisive (A), et ce, malgré la réalité de son intégration par le travail (B).
A. La primauté de la situation irrégulière sur l’ancienneté du séjour dans l’appréciation du droit à la vie privée et familiale
La juridiction d’appel, pour écarter l’argument tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, se livre à un examen concret de la situation du requérant. Elle prend acte de la durée de sa présence en France depuis 2015, mais y oppose immédiatement un élément dirimant, à savoir que « son séjour a toujours été irrégulier et sa durée a été acquise au prix de l’inexécution de deux mesures d’éloignement prises en 2016 et 2018 ». Ce faisant, la cour souligne que la simple durée de présence ne saurait, à elle seule, créer un droit au séjour lorsque celle-ci résulte d’une violation persistante de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers. La situation irrégulière de son épouse et la possibilité pour la cellule familiale de se reconstituer dans le pays d’origine sont également mises en avant pour conclure à l’absence d’atteinte disproportionnée. La décision rappelle ainsi que la stabilité et l’intensité des liens familiaux s’apprécient au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce, parmi lesquelles figure au premier chef le respect par l’étranger des obligations qui lui incombent. L’existence d’une vie familiale en France, même ancienne et incluant des enfants scolarisés, ne constitue pas un obstacle indépassable à une mesure d’éloignement dès lors que le séjour a été acquis et maintenu dans des conditions illégales.
B. L’insuffisance de l’insertion professionnelle pour justifier une admission exceptionnelle au séjour
Le requérant invoquait également sa situation professionnelle, et plus précisément une promesse d’embauche pour un métier de mécanicien connaissant des difficultés de recrutement, pour fonder sa demande d’admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La cour écarte cet argument en jugeant que « cette seule circonstance ne permet pas davantage de regarder l’arrêté comme entaché d’erreur manifeste d’appréciation quant au refus de délivrer une carte de séjour en qualité de salarié ». Cette position illustre la portée du pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière d’admission exceptionnelle au séjour. Si l’insertion professionnelle est un élément d’appréciation central, elle ne lie pas la compétence du préfet, qui peut légalement refuser la régularisation même face à un projet professionnel solide dans un secteur en tension. La décision confirme que le caractère « exceptionnel » de cette procédure de régularisation implique que l’administration doit pouvoir prendre en compte l’ensemble du parcours de l’étranger, y compris son comportement vis-à-vis des autorités. L’opportunité d’une régularisation par le travail s’efface ici devant le constat d’une défiance répétée à l’égard de l’ordre public, matérialisée par le non-respect des précédentes obligations de quitter le territoire.
II. La portée limitée du contrôle juridictionnel face à la réitération du comportement illégal
L’arrêt tire toutes les conséquences du comportement de l’étranger en validant non seulement le refus de séjour mais aussi la sévérité des mesures accessoires qui l’accompagnent (A), illustrant ainsi le caractère restreint du contrôle exercé par le juge administratif sur de telles décisions (B).
A. La légitimation des mesures accessoires d’éloignement par la défiance de l’autorité administrative
Le raisonnement de la cour s’étend logiquement du refus de séjour aux mesures qui en découlent, notamment le refus d’octroi d’un délai de départ volontaire et l’interdiction de retour sur le territoire français. La juridiction relève qu’« il est constant que M. B… s’est soustrait à deux précédentes mesures d’éloignement ». Cette constance suffit, aux yeux des juges, à établir le risque de soustraction mentionné à l’article L. 612-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, justifiant légalement le refus d’un délai de départ volontaire. En conséquence, l’autorité préfectorale était alors en situation de compétence liée pour édicter une interdiction de retour sur le territoire. La cour estime que la durée d’un an fixée pour cette interdiction « n’est pas disproportionnée » compte tenu de ce comportement passé, et ce, nonobstant la durée du séjour et l’ancienneté des liens en France. Cette analyse montre comment la désobéissance à une première décision administrative produit des effets en cascade, justifiant une aggravation progressive des mesures prises à l’encontre de l’étranger et réduisant d’autant la marge d’appréciation des autorités comme du juge. Le comportement passé de l’administré devient ainsi le critère déterminant de la légalité et de la proportionnalité des mesures futures.
B. L’illustration du contrôle restreint du juge sur l’opportunité des décisions préfectorales
À plusieurs reprises, la cour examine les moyens soulevés par le requérant sous l’angle de l’erreur manifeste d’appréciation. Qu’il s’agisse de l’atteinte à la vie privée et familiale, de la prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants ou du refus de régularisation par le travail, le juge administratif refuse de substituer sa propre appréciation à celle du préfet. Il se borne à vérifier que la décision attaquée n’est pas manifestement disproportionnée ou inappropriée au regard des faits de l’espèce et des buts poursuivis par la législation. En l’occurrence, le passé de l’étranger, marqué par le contournement de la loi, fournit à l’administration une justification suffisamment solide pour que sa décision échappe à la censure du juge. L’arrêt est ainsi une application classique du contrôle restreint, qui conduit à valider des décisions préfectorales sévères dès lors qu’elles reposent sur des considérations factuelles pertinentes, comme le non-respect de mesures d’éloignement antérieures. Cette décision, qui est une décision d’espèce, confirme une jurisprudence constante selon laquelle le juge administratif n’est pas un régulateur de l’opportunité des politiques migratoires, mais le censeur des seules illégalités ou erreurs manifestes commises par l’administration dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.