Par un arrêt en date du 5 juin 2025, la Cour administrative d’appel a statué sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger en situation irrégulière. En l’espèce, un individu de nationalité turque, entré sur le territoire français en 2022, a vu sa demande d’asile rejetée successivement par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d’asile. Suite à ces décisions, le préfet de la Savoie a édicté un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour d’une durée d’un an. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Grenoble, qui a rejeté sa demande d’annulation par un jugement du 12 juillet 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’obligation de quitter le territoire était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de sa situation personnelle, notamment des risques encourus dans son pays d’origine et de ses liens en France. Il arguait également que l’interdiction de retour était insuffisamment motivée et disproportionnée. Il appartenait donc à la Cour de déterminer si une obligation de quitter le territoire français pouvait être légalement édictée malgré les craintes exprimées par l’étranger et ses efforts d’intégration, et si une interdiction de retour d’une durée d’un an, fondée sur un pouvoir discrétionnaire de l’administration, était proportionnée. La Cour administrative d’appel a rejeté la requête, validant la décision préfectorale. Elle a jugé que les risques allégués en cas de retour étaient sans incidence sur la légalité de l’obligation de quitter le territoire elle-même. Elle a par ailleurs confirmé que l’interdiction de retour n’était pas disproportionnée au regard des critères légaux. La décision de la cour illustre ainsi une application rigoureuse des principes régissant le contentieux de l’éloignement, en distinguant nettement l’appréciation de la légalité de l’obligation de quitter le territoire (I) de celle de la mesure complémentaire d’interdiction de retour (II).
I. La confirmation de l’obligation de quitter le territoire par une appréciation stricte de la situation de l’étranger
La Cour administrative d’appel valide la décision d’éloignement en procédant à une analyse rigoureuse de la situation personnelle et professionnelle du requérant (A), tout en réaffirmant une dissociation classique entre la légalité de l’obligation de quitter le territoire et l’examen des risques encourus dans le pays d’origine (B).
A. Une appréciation restrictive des éléments d’intégration
Le juge administratif exerce un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur la décision du préfet, ce qui lui laisse une marge d’appréciation considérable. En l’espèce, la Cour examine les arguments du requérant relatifs à son intégration en France mais les juge insuffisants pour remettre en cause la décision préfectorale. Elle relève que « la présence sur le territoire français de M. A… est particulièrement récente, moins de deux années avant l’intervention de la décision en litige ». Ce critère temporel est déterminant et prime sur les autres éléments, tels que la présence d’un oncle et d’une tante ou une simple promesse d’embauche, considérée comme ne démontrant pas une « insertion professionnelle particulière ». La Cour oppose cette intégration naissante et fragile aux attaches que l’intéressé a nécessairement conservées dans son pays d’origine où il a vécu jusqu’à l’âge de vingt ans. Cette approche, classique, consiste à mettre en balance les liens tissés en France avec ceux maintenus dans le pays d’origine, la brièveté du séjour faisant peser un poids décisif en faveur de ces derniers. La solution réaffirme que de simples perspectives d’intégration ne suffisent pas à priver de base légale une mesure d’éloignement justifiée par l’irrégularité du séjour.
B. La neutralisation de l’argument tiré des risques en cas de retour
Le requérant invoquait les risques de traitements dégradants en cas de retour en Turquie, liés à son appartenance à la communauté kurde et à son refus d’effectuer le service militaire. La Cour écarte ce moyen en le jugeant inopérant dans le cadre du contentieux de l’obligation de quitter le territoire français. Elle énonce en effet que « la décision portant obligation de quitter le territoire français n’a ni pour objet ni pour effet de fixer le pays vers lequel il sera, le cas échéant, renvoyé d’office ». Cette motivation rappelle une distinction fondamentale en droit des étrangers : le contrôle des risques relevant notamment de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne s’exerce pas sur la mesure d’éloignement en elle-même, mais sur la décision fixant le pays de renvoi. L’obligation de quitter le territoire constate une situation d’illégalité du séjour et enjoint à la personne de partir, tandis que la décision fixant le pays de destination est celle qui, en cas d’exécution forcée, expose potentiellement l’étranger aux risques allégués. En déclarant le moyen inopérant, la Cour ne se prononce pas sur le fond des craintes du requérant mais confirme une orthodoxie juridique qui impose au plaideur de diriger ses arguments contre l’acte administratif pertinent.
II. Le contrôle circonscrit de la mesure d’interdiction de retour sur le territoire
La Cour opère un contrôle tout aussi rigoureux de la légalité de l’interdiction de retour, en veillant d’abord à la juste application du cadre légal (A), avant de valider la proportionnalité de la durée de la mesure au regard de la situation individuelle de l’étranger (B).
A. La nécessaire identification du fondement juridique de l’interdiction
Le requérant contestait l’interdiction de retour en se prévalant des dispositions de l’article L. 612-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui encadre l’édiction d’une telle mesure lorsque aucun délai de départ volontaire n’est accordé. La Cour rejette son argumentation en relevant une erreur sur le fondement juridique de la décision contestée. Elle précise que « le préfet de la Savoie ne s’est pas fondé sur ces dispositions pour prononcer une telle interdiction de retour à son encontre, mais sur celles de l’article L. 612-8 du même code ». Cet article confère à l’autorité administrative un pouvoir facultatif d’assortir l’obligation de quitter le territoire d’une interdiction de retour d’une durée maximale de deux ans. La rectification opérée par le juge est essentielle car elle déplace le terrain du contrôle : il ne s’agit plus de vérifier si des circonstances humanitaires justifiaient de ne pas prononcer une interdiction normalement obligatoire, mais d’apprécier si l’administration a fait un usage proportionné de son pouvoir discrétionnaire. Cette clarification témoigne du rôle du juge administratif qui s’assure de la correcte qualification juridique des faits et des actes avant d’en examiner la légalité.
B. L’application concrète des critères d’appréciation de la proportionnalité
Une fois le bon fondement juridique établi, la Cour contrôle la proportionnalité de la sanction en s’appuyant sur les critères énumérés à l’article L. 612-10 du même code. Ce contrôle porte sur la durée de présence de l’étranger, la nature de ses liens en France, l’existence de précédentes mesures d’éloignement et la menace pour l’ordre public. En l’espèce, le juge valide l’appréciation du préfet, qui a prononcé une interdiction d’un an en retenant que « l’intéressé ne justifiait pas d’une vie privée et familiale ancienne, stable et intense en France alors qu’il n’était pas démuni de liens personnels et familiaux en Turquie ». La Cour note que cette conclusion est fondée nonobstant le fait que le requérant n’avait pas d’antécédents d’éloignement et ne représentait pas une menace pour l’ordre public. L’arrêt confirme ainsi que l’absence de liens suffisants avec la France peut, à elle seule, justifier une interdiction de retour, même en l’absence de tout trouble à l’ordre public. La durée d’un an, inférieure au maximum légal de deux ans, est alors jugée comme n’étant pas une sanction disproportionnée au regard de la situation globale de l’intéressé, caractérisée par une installation très récente et précaire sur le territoire.