Cour d’appel administrative de Lyon, le 6 mai 2025, n°24LY00698

Par un arrêt en date du 6 mai 2025, la Cour administrative d’appel a précisé les modalités du contrôle exercé sur les décisions préfectorales prises en application des dispositions relatives à l’admission exceptionnelle au séjour des jeunes majeurs anciennement confiés à l’aide sociale à l’enfance. En l’espèce, un ressortissant bangladais, entré en France en 2020 et confié au service de l’aide sociale à l’enfance à l’âge de seize ans, avait engagé une formation professionnelle dans le cadre d’un contrat d’apprentissage. Suite à sa demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le préfet de l’Isère a, par un arrêté du 11 juillet 2023, refusé de faire droit à sa demande et a assorti ce refus d’une obligation de quitter le territoire français. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Grenoble, qui a rejeté sa demande par un jugement du 27 novembre 2023. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que le préfet avait commis une erreur manifeste d’appréciation en ne procédant pas à un examen global de sa situation et en portant une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. Se posait dès lors à la cour la question de savoir si un préfet commet une erreur manifeste d’appréciation en refusant un titre de séjour à un jeune majeur justifiant d’une intégration professionnelle et sociale remarquable, au motif principal de la persistance de liens familiaux dans son pays d’origine. La Cour administrative d’appel répond par l’affirmative, annulant le jugement et l’arrêté préfectoral. Elle juge qu’au regard de l’ensemble des éléments, et notamment des avis très favorables de l’employeur et de la structure d’accueil qui témoignent des capacités d’intégration du requérant, le préfet a entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation en se fondant sur la nature incertaine de ses liens familiaux. La solution retenue, qui censure une appréciation restrictive de l’administration (I), confirme la prévalence accordée à la réussite du parcours d’intégration dans l’examen des demandes de régularisation de ces jeunes majeurs (II).

I. Le contrôle renforcé de l’appréciation préfectorale des conditions d’admission au séjour

La cour, en annulant la décision du préfet, rappelle le cadre légal de l’admission exceptionnelle au séjour tout en exerçant un contrôle approfondi sur l’appréciation des faits à laquelle l’administration doit procéder.

A. Le rappel du pouvoir d’appréciation global de l’administration

L’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile institue une voie de régularisation pour l’étranger confié à l’aide sociale à l’enfance entre seize et dix-huit ans qui suit une formation professionnelle. La délivrance du titre de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire » n’est pas de droit et relève du pouvoir d’appréciation du préfet. La juridiction administrative rappelle que ce dernier doit, une fois les conditions objectives remplies, « porter une appréciation globale sur la situation de l’intéressé ». Cette appréciation doit tenir compte notamment du caractère réel et sérieux de la formation, de la nature des liens avec la famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil. L’arrêt souligne ainsi que le préfet dispose d’un « large pouvoir » pour évaluer l’opportunité d’une mesure de régularisation. C’est dans ce cadre que le juge administratif exerce son contrôle, se limitant en principe à la censure de l’erreur manifeste d’appréciation, laquelle sanctionne une inadéquation évidente entre les faits et la décision prise.

B. La sanction d’une lecture déséquilibrée des critères d’appréciation

La Cour administrative d’appel procède à une analyse concrète et détaillée des éléments du dossier pour conclure à l’existence d’une telle erreur. Elle met en balance les différents critères prévus par le texte et reproche au préfet d’avoir accordé un poids excessif à un seul d’entre eux, à savoir les liens familiaux conservés dans le pays d’origine. La cour relève que si le père du requérant était mentionné sur son passeport et si la famille avait financé son voyage, des rapports plus récents et circonstanciés faisaient état d’une absence de nouvelles, qualifiant la nature des liens d’ « incertaine ». Face à cette incertitude, le juge valorise les éléments attestant d’une intégration particulièrement réussie. Sont ainsi mis en exergue les avis de l’employeur, qui loue le comportement et le professionnalisme de l’apprenti et envisage de le conserver sur le long terme. Ces attestations décrivent « tout le bien que nous pensons de C…, tant sur le plan du comportement (politesse, fiable, toujours présent) que professionnel ». De même, les rapports de la structure d’accueil soulignent ses « progrès constants, sa très bonne intégration et son autonomie ». En minorant ces aspects déterminants, le préfet a failli à son obligation de procéder à une appréciation véritablement globale, ce qui a justifié la censure de sa décision.

En opérant ce rééquilibrage, la cour ne se contente pas d’une simple correction factuelle ; elle réaffirme une hiérarchie implicite des critères guidée par la finalité même du dispositif.

II. La consécration de la primauté du parcours d’intégration

La décision commentée, au-delà de son aspect casuistique, revêt une portée significative en ce qu’elle fait de la réussite de l’intégration le facteur déterminant de la régularisation, valorisant ainsi un parcours exemplaire.

A. La valorisation d’un parcours d’insertion professionnelle et sociale

En accordant une importance primordiale aux attestations de l’employeur et aux rapports de la structure d’accueil, la cour ancre sa décision dans une logique pragmatique. Elle reconnaît que la finalité de l’article L. 435-3 est de ne pas interrompre un parcours d’insertion réussi et de permettre à un jeune majeur, isolé de fait en France, de concrétiser un projet professionnel et personnel stable. Le juge donne ainsi toute sa force à des éléments concrets et actuels, tels que l’implication dans la formation, l’autonomie acquise et la volonté affichée d’un employeur de pérenniser la relation de travail. La mention d’une proposition future de contrat à durée indéterminée après une formation complémentaire est un gage de sérieux que la cour a estimé à sa juste valeur. Cette approche s’oppose à une lecture purement administrative qui se fonderait sur des indices formels ou anciens, comme la mention d’un contact sur un document de voyage, pour en déduire la persistance de liens familiaux faisant obstacle à l’intégration. La solution retenue est donc une reconnaissance de la réalité d’une intégration réussie, considérée comme l’élément central de l’appréciation.

B. Une solution d’espèce à la portée indicative

Bien que l’appréciation de l’erreur manifeste dépende étroitement des circonstances de chaque affaire, la portée de cet arrêt ne saurait être minimisée. Il constitue un signal clair adressé aux préfectures sur la manière de mettre en œuvre leur pouvoir d’appréciation dans ce cadre spécifique. Le juge administratif indique que le critère des liens familiaux, bien que pertinent, ne peut à lui seul justifier un refus de séjour lorsque les preuves d’une intégration sociale et professionnelle exceptionnelle sont réunies. L’incertitude sur la réalité et l’intensité de ces liens doit profiter à l’étranger qui démontre par ailleurs son autonomie et son adhésion aux valeurs de la société d’accueil. Sans transformer le pouvoir discrétionnaire du préfet en compétence liée, cette jurisprudence renforce l’intensité du contrôle juridictionnel. Elle rappelle que l’appréciation globale ne doit pas être un prétexte à une décision arbitraire mais doit reposer sur une pesée cohérente et équilibrée de l’ensemble des éléments de la situation personnelle de l’étranger, conformément à l’esprit de la loi.

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Hassan KOHEN
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