Par un arrêt rendu le 6 mai 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la qualification d’accident de service d’une pathologie psychique développée par un fonctionnaire. En l’espèce, un professeur certifié avait été informé par sa supérieure hiérarchique des accusations d’attouchements portées à son encontre par une élève, ainsi que des suites données à cette affaire. Le lendemain de cet entretien, l’enseignant a été placé en arrêt de travail pour un syndrome anxio-dépressif, qu’il a cherché à faire reconnaître comme résultant d’un accident de service. L’administration a rejeté sa demande, une décision confirmée en première instance par le tribunal administratif de Lyon par un jugement du 13 mai 2024. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la pathologie étant apparue au temps et au lieu du service, elle devait bénéficier de la présomption d’imputabilité. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si un entretien professionnel, durant lequel un agent est informé d’éléments perturbants liés à ses fonctions, peut être qualifié d’accident de service en l’absence de tout comportement anornal de la hiérarchie. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant qu’un tel entretien « ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent », dès lors qu’il ne s’accompagne pas de « propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ». Elle a par conséquent rejeté la requête de l’agent.
Cette décision confirme une conception stricte de l’accident de service en matière de risques psychosociaux, en exigeant la preuve d’un fait matériel anormal (I), ce qui conduit à relativiser la protection offerte au fonctionnaire face à la souffrance psychique d’origine professionnelle (II).
I. La réaffirmation d’une définition restrictive de l’accident de service
La cour administrative d’appel, pour écarter la qualification d’accident de service, s’appuie sur une interprétation rigoureuse de cette notion. Elle rappelle qu’un entretien professionnel ne peut, en lui-même, constituer un tel accident (A), sauf à démontrer un agissement anormal de la part de la hiérarchie (B).
A. L’exigence d’un événement matériel distinct de la lésion
La solution retenue par la cour repose sur la définition jurisprudentielle de l’accident de service, lequel est entendu comme « un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion ». En l’espèce, le requérant soutenait que l’apparition de sa pathologie psychique, médicalement constatée au lendemain de l’entretien, suffisait à caractériser un tel événement. Or, la cour écarte cette analyse en précisant que « la seule circonstance qu’un agent présente une pathologie psychique dans les suites immédiates d’un entretien sur les lieux et temps de travail ne suffit pas pour considérer qu’un tel entretien serait à l’origine pour lui d’un accident ». Ce faisant, elle souligne une distinction fondamentale entre la lésion, même d’ordre psychologique, et le fait accidentel générateur. L’accident ne peut se confondre avec ses conséquences médicales ; il doit consister en un événement extérieur et soudain qui provoque la lésion. Un choc émotionnel, s’il constitue bien une lésion, ne saurait être son propre fait générateur. Cette position empêche de considérer que toute décompensation psychique survenant au travail relève, par nature, de l’accident de service, maintenant ainsi une frontière nette avec la maladie professionnelle.
B. L’exclusion de principe de l’entretien professionnel normalement conduit
La cour précise ensuite les conditions dans lesquelles un entretien pourrait, exceptionnellement, être qualifié d’accident. Elle indique qu’un tel entretien n’est pas un événement soudain et violent, « sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ». La charge de la preuve d’un tel excès repose donc sur l’agent. En l’espèce, le juge a pris soin de vérifier le déroulement de l’entretien du 29 mars 2022. Il a relevé, en s’appuyant sur le compte-rendu d’un représentant syndical, que la direction s’était « bornée à informer l’intéressé des suites de l’incident » et que les propos tenus étaient « calmes et mesurés ». Dans ces conditions, l’entretien, même s’il portait sur des informations objectivement anxiogènes pour l’agent, s’inscrivait dans le cadre normal de l’exercice des fonctions d’encadrement. Le fait de communiquer des informations relatives à la vie du service, de rappeler les procédures ou de donner des conseils, comme celui de solliciter la protection fonctionnelle, participe de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique. L’arrêt consacre ainsi l’idée que le service public peut légitimement être le lieu de tensions ou de nouvelles éprouvantes, sans que cela ne constitue systématiquement une situation accidentelle.
L’application de cette définition rigoureuse est rendue possible par une manœuvre procédurale de l’administration, dont les conséquences sur la situation des agents ne sont pas neutres.
II. Une protection limitée de l’agent face au risque psychologique
L’arrêt illustre la manière dont le mécanisme de la substitution de motif peut venir consolider la position de l’administration (A), et met en lumière une certaine précarité pour les fonctionnaires confrontés à une souffrance psychique qui n’est pas la conséquence d’une faute managériale (B).
A. La portée opératoire de la substitution de motif
Initialement, l’administration avait refusé la reconnaissance de l’imputabilité au service au motif de « l’absence de lien direct et certain entre la pathologie et les faits ». Ce motif, fragile, aurait pu être contesté avec succès, la chronologie des faits semblant établir un lien évident. Cependant, devant la cour, l’administration a sollicité une substitution de motif, en avançant que l’entretien n’avait pas le caractère d’un accident de service. Le juge a accepté cette demande, après avoir vérifié, comme l’exige la jurisprudence, que l’administration aurait pris la même décision de refus en se fondant sur ce nouveau motif et que cette substitution ne privait pas le requérant d’une garantie procédurale. Ce mécanisme a permis à l’administration de corriger son argumentation initiale pour s’appuyer sur un fondement juridiquement plus solide. La cour a ainsi pu écarter les moyens du requérant en se concentrant non plus sur le lien de causalité, mais sur l’absence même de fait accidentel. Cette décision démontre l’efficacité de la substitution de motif comme outil de défense pour l’administration, lui permettant de sécuriser une décision qui aurait pu autrement être annulée pour une erreur dans sa motivation initiale.
B. La fragilisation de la prise en charge de la souffrance psychique
En exigeant la preuve d’un comportement excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, la jurisprudence commentée place de fait l’agent dans une position délicate. Il doit non seulement prouver la survenance d’un événement précis, mais également démontrer que cet événement est anormal, ce qui revient souvent à établir une forme de faute ou de maladresse de la part de son supérieur. Cette exigence crée un décalage avec le régime applicable aux salariés du secteur privé, pour lesquels la jurisprudence tend à reconnaître plus largement l’accident du travail en cas de choc émotionnel, sans nécessairement exiger la preuve d’un comportement fautif de l’employeur. Si, en l’espèce, la cour écarte la qualification d’accident, elle ne ferme pas pour autant la porte à une reconnaissance au titre de la maladie professionnelle. Toutefois, cette voie est souvent plus complexe et aléatoire pour l’agent. En définitive, la solution, bien que juridiquement fondée, met en exergue une protection qui peut sembler lacunaire pour les fonctionnaires subissant un choc psychologique directement lié à des circonstances de service, lorsque ces dernières, bien que sources de souffrance, ne sont pas considérées comme anormales.