Par un arrêt en date du 6 mars 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur les conditions d’application et de modulation des pénalités contractuelles dans le cadre d’une délégation de service public. En l’espèce, une commune avait confié à une société la gestion d’un équipement d’accueil pour jeunes enfants. Le contrat prévoyait la remise annuelle d’un compte rendu financier certifié par un commissaire aux comptes. La société délégataire a transmis le document dans les délais, mais sans la certification requise. Après une mise en demeure restée infructueuse pendant plusieurs mois, l’autorité délégante a émis un titre exécutoire de 100 000 euros, appliquant les pénalités prévues par le contrat pour non-production des documents.
Saisi par la société, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d’annulation du titre de recettes. La société a alors interjeté appel, soutenant principalement que la commune aurait dû appliquer les pénalités de simple retard et non de non-production, et que, en tout état de cause, le montant de la pénalité était manifestement excessif. Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si la remise d’un document incomplet, car dépourvu d’une formalité substantielle, pouvait être qualifiée de non-production et, subsidiairement, d’apprécier le caractère potentiellement excessif de la pénalité appliquée au regard des circonstances du manquement et de l’économie générale du contrat. La cour a confirmé le jugement de première instance, considérant que l’absence de certification assimilait la remise à une non-production et que la pénalité n’était pas manifestement disproportionnée.
La décision de la cour administrative d’appel conforte une interprétation rigoureuse des obligations contractuelles, en assimilant l’incomplétude d’un document à une absence de production (I), avant de procéder à une application mesurée mais ferme du pouvoir de modulation des pénalités (II).
I. La qualification rigoureuse de l’inexécution contractuelle
La cour valide l’application de la pénalité la plus sévère en se fondant sur une interprétation stricte des stipulations contractuelles, qui distingue la nature du manquement de sa simple temporalité. Elle considère ainsi que la production d’un rapport incomplet équivaut à une absence de production (A), conférant ainsi une pleine portée aux clauses définissant la faute (B).
A. L’assimilation de la production d’un document non certifié à un défaut de production
Le contrat de délégation de service public distinguait clairement deux régimes de pénalités. Le premier sanctionnait le « retard dans la production du compte rendu annuel » par une pénalité journalière de 150 euros. Le second, beaucoup plus lourd, sanctionnait la « non-production du compte rendu annuel » par une pénalité hebdomadaire de 10 000 euros, la non-production étant définie comme « une absence de remise de documents au-delà du 1er juillet de l’année considérée ». La société délégataire soutenait que, ayant transmis le compte rendu avant l’échéance, son manquement relevait du simple retard.
La cour écarte ce raisonnement en jugeant que la certification par un commissaire aux comptes n’est pas un accessoire mais un élément substantiel de l’obligation. Elle estime que sans cette formalité, la société « ne peut être regardée comme ayant satisfait à ses obligations ». En conséquence, le document remis, bien que matériellement transmis, est jugé contractuellement inexistant. Ce n’est donc pas la date de remise qui est en cause, mais la conformité de l’objet même de l’obligation. La cour en déduit logiquement que le manquement ne constitue pas un simple retard mais bien une non-production au sens de l’article 37 de la convention, justifiant l’application de la pénalité la plus élevée.
B. La pleine effectivité des clauses contractuelles définissant le manquement
En validant cette interprétation, la cour rappelle la primauté de la volonté des parties, matérialisée par les clauses précises du contrat. Le contrat définissait spécifiquement ce qu’il fallait entendre par « non-production », liant cette qualification au dépassement d’une date butoir. En l’absence de document complet et certifié à cette date, les conditions de la pénalité pour non-production étaient réunies. Le juge du contrat se doit d’appliquer les stipulations claires et précises qui lient les cocontractants, sauf à ce qu’elles contreviennent à l’ordre public.
Cette approche met en lumière l’importance pour les opérateurs économiques de satisfaire à l’intégralité de leurs obligations, y compris formelles, lorsqu’elles garantissent la fiabilité et la transparence de l’information due à l’autorité publique. La certification des comptes n’est pas une simple formalité administrative mais un mécanisme de contrôle essentiel dans une délégation de service public, permettant à la collectivité de s’assurer de la bonne exécution financière de la mission confiée. La sévérité de la pénalité prévue au contrat reflétait d’ailleurs l’importance attachée à cette obligation de transparence.
La qualification du manquement étant établie, il restait à la cour de se prononcer sur le montant de la sanction, en réponse à l’argument subsidiaire de la requérante.
II. L’appréciation restrictive du pouvoir de modulation des pénalités
Après avoir confirmé le bien-fondé de la pénalité, la cour examine la demande de modération formulée par la société. Elle rappelle d’abord les principes encadrant ce pouvoir exceptionnel du juge (A), avant de les appliquer concrètement à l’espèce pour refuser toute réduction de la sanction (B).
A. Le rappel des conditions exceptionnelles de la modération judiciaire
La cour prend soin de détailler le cadre juridique de son intervention, tel qu’il résulte d’une jurisprudence administrative bien établie. Elle énonce que les pénalités contractuelles « sont applicables au seul motif qu’une inexécution des obligations contractuelles est constatée et alors même que la personne publique n’aurait subi aucun préjudice ». Le juge du contrat doit en principe les appliquer, sauf si, à titre exceptionnel, « elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire ».
Le contrôle du juge est donc limité à une erreur manifeste d’appréciation. Il ne s’agit pas de substituer son appréciation à celle des parties, ni de rechercher une adéquation parfaite entre le montant de la pénalité et le préjudice subi. La charge de la preuve d’un tel excès manifeste pèse sur le débiteur, qui doit fournir au juge des éléments probants, « relatifs notamment aux pratiques observées pour des contrats comparables ou aux caractéristiques particulières du contrat en litige ». La cour réaffirme ainsi que la modulation demeure une exception au principe de la force obligatoire du contrat.
B. Le refus de constater un montant manifestement excessif en l’espèce
Pour déterminer si la pénalité de 100 000 euros était manifestement excessive, la cour procède à une analyse concrète. Elle met en balance le montant de la pénalité avec le montant total des recettes attendues sur la durée de la convention, qui s’élevait à 1,9 million d’euros. Le ratio, inférieur à 5 %, ne lui paraît pas, en soi, révélateur d’une disproportion manifeste.
La cour examine ensuite la gravité de la faute. Elle prend acte des arguments de la société, qui invoquait le contexte de la crise sanitaire et le fait que les comptes finalement certifiés étaient identiques aux premiers transmis. Cependant, elle ne considère pas ces éléments suffisants pour minorer la gravité du manquement. Le retard de plusieurs mois dans la production d’un document essentiel à la surveillance du délégataire constitue une faute sérieuse. En conséquence, la cour juge que la pénalité « ne peut être regardée, dans les circonstances de l’espèce, comme atteignant un montant manifestement excessif ». Cette décision confirme que l’absence de préjudice financier direct pour la collectivité ou la bonne foi supposée du cocontractant sont des arguments généralement insuffisants pour obtenir la modération d’une pénalité, dès lors que celle-ci n’atteint pas un niveau exorbitant au regard de l’économie globale du contrat.