Cour d’appel administrative de Lyon, le 6 mars 2025, n°23LY03108

La Cour administrative d’appel de Lyon, par une décision rendue le 6 mars 2025, précise les conditions d’indemnisation des conséquences dommageables d’un retard de diagnostic. Une jeune patiente s’est présentée aux urgences à trois reprises en janvier deux mille onze pour des paresthésies du bras droit et des troubles du langage. Les médecins ont toutefois renvoyé l’intéressée à son domicile sans réaliser d’imagerie cérébrale immédiate malgré l’aggravation manifeste des signes cliniques durant ces consultations successives. Un accident vasculaire cérébral ischémique étendu a finalement été diagnostiqué par un second établissement hospitalier, laissant subsister de graves séquelles motrices, cognitives et de grandes fatigabilités.

Saisi en première instance, le tribunal administratif de Lyon a reconnu la responsabilité du centre hospitalier initial mais a limité la perte de chance à vingt-cinq pour cent. Les requérants ont alors interjeté appel afin d’obtenir une réévaluation du taux de perte de chance ainsi qu’une majoration substantielle des diverses indemnités allouées. Le centre hospitalier a formé un appel incident pour contester tout manquement fautif et solliciter l’annulation du jugement ayant retenu sa responsabilité pour les dommages subis. Le litige porte ainsi sur la détermination du lien de causalité entre les fautes de prise en charge et l’ampleur de la perte de chance d’éviter le dommage. La juridiction d’appel confirme la responsabilité de l’établissement public tout en portant le taux de perte de chance à soixante pour cent au regard des données scientifiques.

I. L’établissement d’une responsabilité hospitalière fondée sur la perte de chance

A. La caractérisation d’une prise en charge médicale fautive

La Cour administrative d’appel de Lyon rappelle que les établissements de santé ne sont responsables des conséquences dommageables des actes de soins qu’en cas de faute prouvée. En l’espèce, l’instruction démontre que la patiente n’a pas bénéficié d’un examen médical lors de sa première présentation aux urgences malgré des troubles de la concentration. Les juges soulignent que « l’absence de prise en charge adaptée à la symptomatologie présentée » constitue un manquement grave aux règles de l’art et aux données acquises de la science. L’absence d’imagerie par résonance magnétique urgente et le défaut de prescription d’un traitement antiagrégant plaquettaire caractérisent ainsi une succession de négligences fautives du service public.

Les magistrats écartent l’argumentation de l’hôpital relative à l’incertitude du début des troubles vasculaires pour justifier l’absence de soins immédiats et appropriés à la situation clinique. Ils considèrent en effet que le report unilatéral de l’examen radiologique programmé a directement contribué à retarder la mise en œuvre d’un traitement pourtant indispensable à la patiente. Cette carence dans le diagnostic et l’orientation vers une unité neuro-vasculaire spécialisée engage pleinement la responsabilité de l’établissement pour les préjudices qui en résultent directement. La reconnaissance de ces fautes permet alors à la juridiction administrative de s’interroger sur l’étendue exacte de la perte de chance subie par la jeune victime.

B. La réévaluation significative du taux de perte de chance

Le juge d’appel s’écarte de l’évaluation initiale de l’expert judiciaire qui limitait la perte de chance d’échapper à l’aggravation de l’état de santé à trente pour cent. Il s’appuie sur des rapports d’analyse privés et des études médicales internationales démontrant les effets bénéfiques majeurs d’une administration précoce d’aspirine lors d’accidents ischémiques transitoires. La Cour affirme que « le taux de perte de chance résultant des manquements fautifs du centre hospitalier doit être fixé à 60 % » compte tenu de l’évolution évocatrice. Cette hausse substantielle traduit une volonté d’ajuster l’indemnisation à la réalité du risque que les fautes médicales ont fait courir à la victime lors de son hospitalisation.

L’analyse de la Cour souligne que l’absence de mesures thérapeutiques immédiates a conduit inéluctablement à l’évolution vers un accident vasculaire cérébral beaucoup plus important que le trouble initial. Le lien de causalité entre les manquements identifiés et la perte de chance d’obtenir une amélioration de l’état de santé est ainsi fermement établi par les juges. Cette nouvelle appréciation de la probabilité d’avoir évité le dommage final commande mécaniquement une révision à la hausse de l’ensemble des postes de préjudices corporels indemnisables. L’arrêt définit dès lors les modalités de réparation intégrale tant pour la victime directe que pour ses proches affectés par les conséquences du drame.

II. Une indemnisation élargie aux préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux

A. La réparation des incidences professionnelles et du besoin d’assistance

La Cour administrative d’appel procède à une évaluation détaillée des préjudices patrimoniaux en tenant compte de la consolidation de l’état de santé intervenue deux ans après l’accident. Elle alloue une somme importante au titre de l’incidence professionnelle puisque l’intéressée a été privée de la possibilité de poursuivre ses études et d’exercer un métier choisi. Les juges estiment le préjudice de scolarisation et de formation à trente mille euros avant application du taux de soixante pour cent pour compenser les difficultés cognitives persistantes. L’indemnisation intègre également le surcoût lié à l’acquisition nécessaire d’un véhicule adapté disposant obligatoirement d’une boîte de vitesse automatique pour pallier le déficit moteur manuel.

La nécessité d’une assistance par une tierce personne fait l’objet d’une attention particulière pour garantir l’autonomie de la victime dans les actes essentiels de sa vie quotidienne. La Cour fixe une rente trimestrielle indexée, calculée sur la base d’un volume horaire de six heures par semaine et d’un taux horaire conforme au marché. Les magistrats précisent les modalités de versement de cette rente afin qu’elle couvre les frais de maintien à domicile tout en prévoyant les déductions pour hospitalisations futures. Cette approche rigoureuse assure une protection financière pérenne pour la patiente dont les capacités de gain et d’autonomie resteront durablement limitées par ses séquelles neurologiques.

B. L’indemnisation des préjudices propres aux victimes par ricochet

Le préjudice extra-patrimonial est évalué en distinguant les souffrances endurées, le déficit fonctionnel permanent et les préjudices spécifiques tels que le préjudice d’agrément ou le préjudice sexuel. Les juges accordent une indemnité de vingt-quatre mille euros pour le préjudice d’établissement, soulignant les difficultés de la victime à assumer une charge familiale ou éducative à l’avenir. Ils retiennent également l’existence d’un préjudice esthétique permanent lié aux tremblements de la main droite et aux troubles de la fluence verbale constatés lors de l’expertise. Cette indemnisation globale vise à compenser la perte de qualité de vie et la souffrance psychologique découlant de la perte d’estime de soi après l’accident.

L’arrêt reconnaît enfin le droit à réparation des membres de la famille qui subissent des troubles dans leurs conditions d’existence en raison du handicap de leur proche. Les parents reçoivent chacun une somme de six mille euros pour la souffrance morale et l’accompagnement quotidien qu’ils fournissent à leur fille résidant toujours au domicile. La sœur et le frère de la victime bénéficient également d’une indemnisation pour le préjudice d’affection et la moindre disponibilité parentale durant leur propre enfance. En condamnant l’établissement hospitalier à verser plus de trois cent mille euros, la Cour consacre une vision large de la responsabilité médicale face aux défaillances diagnostiques.

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Hassan KOHEN
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