Par un arrêt en date du 6 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a rejeté la requête d’un ressortissant étranger dirigée contre un jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand qui avait validé les décisions préfectorales lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, lui interdisant le retour pour un an et l’assignant à résidence. Cette décision illustre l’articulation entre les prérogatives de l’administration en matière de police des étrangers et l’appréciation de la situation personnelle des individus, notamment au regard de leurs efforts d’intégration.
En l’espèce, un ressortissant géorgien, entré en France en 2018, avait vu sa demande d’asile définitivement rejetée en 2019, entraînant une première obligation de quitter le territoire qu’il n’avait pas exécutée. Par la suite, il s’était maintenu sur le territoire et avait intégré un organisme d’accueil reconnu, au sein duquel il exerçait une activité depuis plusieurs années. Une tentative de dépôt de demande de titre de séjour en 2022 fut refusée pour dossier incomplet. Le 28 décembre 2023, le préfet du Puy-de-Dôme a pris de nouvelles mesures d’éloignement, motivant un recours de l’intéressé.
La procédure a débuté par une requête devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, qui a rejeté la demande d’annulation des arrêtés préfectoraux par un jugement du 3 janvier 2024. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’administration n’avait pas examiné correctement sa situation, qu’il pouvait prétendre à un titre de séjour en raison de son activité associative et que la mesure d’éloignement portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le problème de droit soulevé était de savoir si l’activité continue au sein d’un organisme d’accueil, en l’absence d’une demande de régularisation formellement enregistrée, suffisait à faire obstacle à une mesure d’éloignement et à caractériser une protection au titre de la vie privée.
La Cour administrative d’appel a répondu par la négative, confirmant la légalité des décisions préfectorales. Elle a jugé que les dispositions législatives permettant une régularisation exceptionnelle au regard de l’activité associative confèrent à l’administration un large pouvoir d’appréciation et non un droit de plein droit au séjour. En l’absence d’une demande valablement déposée, le moyen était inopérant. De surcroît, elle a estimé que l’intégration de l’intéressé n’était pas suffisante pour considérer l’obligation de quitter le territoire comme une atteinte disproportionnée à sa vie privée, eu égard à l’irrégularité de son séjour et à la persistance de ses attaches dans son pays d’origine.
La décision de la Cour repose sur une application rigoureuse des prérogatives de l’administration, conditionnant l’examen d’un droit au séjour à des exigences procédurales strictes (I), ce qui conduit à une appréciation restrictive des éléments d’intégration présentés par le requérant (II).
I. La confirmation de la primauté des exigences procédurales en matière de séjour
La Cour administrative d’appel valide l’approche du préfet en s’appuyant sur une lecture stricte des conditions de recevabilité d’une demande de titre de séjour, écartant ainsi l’argument d’un droit au séjour qui ne serait pas formellement sollicité (A). Cette rigueur formelle s’accompagne d’une validation de la motivation de l’acte administratif contesté (B).
A. L’inopposabilité d’un droit au séjour potentiel non formalisé
Le requérant invoquait le bénéfice potentiel des dispositions de l’article L. 435-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ouvrent une voie de régularisation pour les étrangers accueillis par certains organismes et justifiant de trois années d’activité. La Cour rappelle cependant la nature de ce dispositif, qui ne crée pas un droit de plein droit au séjour. Elle souligne que « le législateur n’a ainsi pas entendu imposer à l’administration d’examiner d’office si l’étranger remplit les conditions prévues par cet article ». La délivrance d’un titre sur ce fondement relève d’un « large pouvoir pour apprécier si le demandeur peut exceptionnellement être admis au séjour ».
Par conséquent, en l’absence d’une demande valablement présentée et enregistrée, le requérant ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions pour contester la légalité de l’obligation de quitter le territoire. La Cour précise que la demande de 2022 a fait l’objet d’un « refus d’enregistrement au motif de son caractère incomplet » et qu’un courrier ultérieur ne pouvait être assimilé à une demande de titre. Cette position réaffirme un principe cardinal du contentieux des étrangers : le contrôle du juge ne peut porter sur un droit potentiel si l’administration n’a pas été mise en mesure de l’examiner à la suite d’une démarche administrative régulière.
B. La validation de l’examen de la situation et de la motivation de la décision
Le requérant soutenait également que la décision était insuffisamment motivée et n’avait pas été précédée d’un examen complet de sa situation. La Cour écarte ces moyens de manière concise mais ferme. Elle constate que l’arrêté litigieux « vise le 4° de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, sur le fondement duquel elle a été prise, et rappelle que la demande d’asile de M. C… a été rejetée ». Pour le juge, une telle motivation, bien que succincte, est suffisante car elle « comporte l’énoncé des circonstances de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde ».
Le fait que l’appartenance de l’intéressé à la communauté Emmaüs ne soit pas explicitement mentionnée dans les motifs de l’arrêté n’est pas jugé déterminant. La Cour déduit de la motivation existante que « le préfet du Puy-de-Dôme a, contrairement à ce que prétend M. C…, préalablement procédé à un examen de sa situation particulière ». Cette approche pragmatique conforte la pratique administrative consistant à ne pas détailler l’ensemble des éléments de la situation personnelle d’un étranger dans la motivation d’une OQTF, dès lors que les fondements juridiques et les faits essentiels sont présents.
II. L’appréciation restrictive de l’intégration de l’étranger face à l’irrégularité du séjour
Après avoir écarté les moyens de légalité externe et de procédure, la Cour procède à une analyse de fond de la situation du requérant. Elle effectue une mise en balance classique des intérêts en présence, qui aboutit à minimiser la portée des efforts d’intégration au regard du droit au respect de la vie privée et familiale (A), justifiant par voie de conséquence la sévérité des mesures accessoires à l’OQTF (B).
A. La portée limitée de l’activité associative dans la balance des intérêts
Face au moyen tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour se livre à une appréciation concrète. Elle reconnaît l’activité exercée par le requérant durant quatre années au sein d’un organisme d’accueil. Toutefois, elle relativise fortement cet élément d’intégration en le confrontant à d’autres facteurs. Sont ainsi relevés le fait qu’il n’a jamais été admis au séjour en dehors de l’examen de sa demande d’asile, qu’il a ignoré une précédente mesure d’éloignement, et qu’il n’est pas dépourvu d’attaches en Géorgie « où il a vécu jusqu’à l’âge de quarante-cinq ans et où réside, notamment, sa fille ».
La Cour conclut que l’attestation produite, bien qu’elle fasse état de l’activité de l’intéressé, « ne permet cependant pas de justifier de perspectives d’intégration professionnelle ni de l’existence de réelles attaches privées en France ». Cette formule révèle une appréciation exigeante de la notion d’intégration, qui ne saurait se déduire de la seule participation à une activité, même prolongée. L’arrêt confirme que, pour le juge administratif, l’irrégularité continue du séjour et la précarité des attaches en France l’emportent sur des efforts d’insertion qui ne se sont pas traduits par une perspective de stabilisation professionnelle ou personnelle solide.
B. La justification des mesures accessoires de l’éloignement
La conclusion tirée de l’appréciation de la situation personnelle du requérant emporte des conséquences directes sur la légalité des mesures aggravant l’obligation de quitter le territoire. Concernant le refus d’un délai de départ volontaire, la Cour relève que l’intéressé « n’ayant pas exécuté une précédente mesure d’éloignement », le préfet pouvait légitimement considérer comme établi « le risque qu’il se soustraie à la nouvelle obligation de quitter le territoire ». Cet antécédent suffit à justifier le refus, malgré l’existence d’une domiciliation stable.
De même, s’agissant de l’interdiction de retour d’une durée d’un an, la Cour estime que « l’appartenance à la communauté Emmaüs, ne constitue pas, eu égard à ce qui a été dit précédemment, une circonstance humanitaire ». L’absence d’attaches privées et familiales « intenses et stables » est de nouveau mise en avant pour conclure que le préfet n’a pas commis d’erreur d’appréciation. Cet enchaînement logique montre comment l’appréciation initiale portée sur la précarité de l’intégration du requérant sert de fondement à l’ensemble du dispositif d’éloignement, illustrant une approche cohérente mais sévère du contrôle de l’administration.